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3 questions à Peter Sands, Directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme

Publié le 12 novembre 2025 dans Actualités

Le 21 novembre 2025, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme organise une conférence afin de rassembler les financements nécessaires à son action jusqu’en 2029.

À cette occasion, Focus 2030 met à disposition informations, faits et chiffres, campagnes et entretiens avec des spécialistes afin de faire état des avancées permises par ce partenariat et du chemin qu’il reste à parcourir pour éradiquer le sida, la tuberculose et le paludisme.

Consulter notre dossier spécial.

Entretien avec Peter Sands, Directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludsime

Focus 2030 : Vous dirigez le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, un partenariat international qui a permis de préserver 70 millions de vies et de diminuer de 63 % le taux de mortalité combiné de ces trois maladies depuis 2002. Comment expliquer un tel impact  ?

 

Peter Sands : Le Fonds mondial est un modèle de partenariat éprouvé pour transformer les contributions des donateurs en résultats à grande échelle concrets et durables. En alliant leadership local et expertise internationale, connaissances et implication des communautés et agilité du secteur privé, puissance publique et engagement de la société civile, ce partenariat unique se distingue par une efficacité, une efficience et une capacité d’adaptation sans équivalent. Nous exprimons notre profonde reconnaissance envers l’ensemble de nos donateurs – en particulier la France, premier donateur européen et deuxième donateur public mondial du Fonds mondial – dont le soutien accompagne notre action depuis sa création.

Notre impact repose sur un modèle singulier, centré sur les pays et les communautés. Les populations touchées par les maladies sont au cœur de notre démarche : elles participent à toutes les étapes de la riposte. En renforçant leur leadership, nous veillons à ce que les réponses soient mieux adaptées à leurs réalités et à leurs besoins. Les pays partenaires définissent eux-mêmes leurs priorités et leurs stratégies pour lutter contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme, en tenant compte de leur contexte politique, culturel et épidémiologique.

Un autre moteur essentiel de notre impact réside dans notre capacité à mobiliser l’innovation afin que les nouveaux outils parviennent aux populations rapidement, à un coût abordable et de manière équitable. Le Fonds mondial identifie les avancées majeures – qu’il s’agisse de nouveaux traitements, de diagnostics de pointe ou d’outils alimentés par l’intelligence artificielle – et les déploie à grande échelle. Ainsi, les investissements dans le dépistage de la tuberculose assisté par l’IA, les nouvelles approches de prévention et de traitement du VIH, les moustiquaires de nouvelle génération, les plateformes numériques de santé ou d’autres innovations de pointe permettent aux pays d’améliorer l’efficacité de leurs systèmes de santé et les résultats pour les populations.

Le Fonds mondial joue également un rôle clé dans la régulation des marchés afin de rendre les produits vitaux plus accessibles et plus abordables. Par le biais d’achats groupés, de partenariats stratégiques et de négociations avec les fabricants, nous avons fait chuter de façon spectaculaire le coût des médicaments essentiels et des outils de prévention. Le prix annuel d’un traitement contre le VIH, par exemple, est passé de plusieurs milliers de dollars au début des années 2000 à quelques dizaines aujourd’hui – une baisse qui a permis d’élargir considérablement l’accès aux soins et d’accélérer la maîtrise de l’épidémie.

Cependant, ces progrès demeurent fragiles. Ils sont menacés par le manque de financement, la résistance aux traitements, les chocs climatiques et les conflits. Les épidémies ne disparaissent pas lorsque l’attention s’en détourne : elles prennent fin lorsque nous maintenons la mobilisation, investissons dans les solutions qui fonctionnent et assumons pleinement nos responsabilités. Le financement durable, l’innovation et le travail en partenariat restent indispensables. La huitième conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial, qui se tiendra dans quelques jours à Johannesburg, constitue une occasion historique de freiner la propagation des maladies infectieuses et de renforcer les systèmes de santé et les communautés dans les pays les plus vulnérables.


Focus 2030 : De nombreux pays ont annoncé une diminution de leurs budgets alloués au financement de la solidarité internationale. Ainsi, l’OCDE anticipe une baisse de 9 à 17 % de l’aide publique au développement nette en 2025, après une baisse de 9 % en 2024. Dans quelle mesure ces coupes pourraient-elles affecter les activités du Fonds mondial ?

 

Peter Sands : Les coupes dans le financement de l’action mondiale en matière de santé représentent un défi pour le Fonds mondial, mais également une opportunité de transformation majeure. Nous évoluons et révisons notre modèle pour être encore plus efficaces, équitables et durables, tout en veillant à rester performants en termes de coûts.

Face à ces contraintes financières, nous avons ajusté notre modèle d’allocation afin de concentrer davantage de ressources sur les pays les plus pauvres – là où les besoins sont les plus pressants et la capacité de financement la plus faible. Cela permet de garantir que chaque dollar soit utilisé de manière optimale pour maximiser son impact et favoriser l’équité.

Parallèlement, la diminution des financements des donateurs souligne l’urgence pour les pays de se tourner progressivement vers des systèmes de santé nationaux gérés et financés localement. Le Fonds mondial soutient cette transition en renforçant la planification de cette évolution, en augmentant les exigences de cofinancement et en offrant davantage d’assistance technique dans des domaines comme la mobilisation des ressources domestiques, la gestion des chaînes d’approvisionnement et les systèmes financiers publics. Toutefois, cette transition doit être menée avec précaution : il s’agit d’un processus graduel, pas d’un changement brutal. Il est crucial de garantir que les progrès ne soient pas fragilisés et que les populations vulnérables ne soient pas laissées de côté.

Nous accélérons également l’accès aux innovations biomédicales et technologiques – des nouveaux outils de prévention et de traitement aux diagnostics soutenus par l’intelligence artificielle. Un exemple récent est notre accord avec Gilead Sciences pour la fourniture du Lénacapavir, un injectable à longue durée d’action pour la prévention du VIH, aux pays à revenu faible et intermédiaire.

Enfin, nous renforçons et élargissons nos partenariats avec la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement, l’Union africaine, ainsi que d’autres acteurs majeurs de la santé mondiale comme Gavi et Unitaid.

En ajustant notre fonctionnement et en contribuant à la transformation de l’écosystème mondial de la santé, nous pouvons améliorer notre efficacité et répondre mieux aux besoins des pays, tout en remplissant notre mission de garantir la santé et le bien-être pour tous. Notre engagement à sauver des vies et à éradiquer les épidémies de VIH, de tuberculose et de paludisme reste plus fort que jamais.


Focus 2030 : Le Fonds mondial a annoncé en juillet qu’il allait garantir l’accès au Lénacapavir, un traitement extrêmement prometteur pour la prévention du VIH, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire en même temps que dans les pays à haut revenu. Il s’agirait d’une première mondiale, car les innovations médicales arrivent souvent avec des années de retard dans les pays les moins riches. Sous quelles conditions cette avancée scientifique permettra-t-elle d’infléchir la trajectoire de l’épidémie de VIH  ?

 

Peter Sands : L’arrivée du Lénacapavir, premier médicament à longue durée d’action pour la prévention du VIH, pourrait véritablement changer la donne – non seulement pour les individus, mais aussi pour la santé publique. Nous vivons un moment décisif : non seulement pour la lutte contre le sida, mais aussi pour affirmer un principe fondamental – celui selon lequel les innovations vitales doivent atteindre en priorité les personnes qui en ont le plus besoin, où qu’elles vivent et qui qu’elles soient.

Aux côtés de nos partenaires, nous nous sommes fixés pour objectif de rendre le Lénacapavir accessible à deux millions de personnes au cours des trois prochaines années. Nous travaillons avec les pays, les communautés et nos partenaires techniques afin de préparer un déploiement rapide et équitable, en soutenant la préparation réglementaire, les infrastructures de distribution et la mobilisation communautaire. Mais tout cela ne sera possible que si la communauté internationale se mobilise et apporte les ressources nécessaires.

Il est également essentiel de rappeler que l’innovation biomédicale ne change véritablement le cours d’une épidémie que lorsqu’elle atteint les populations qui en ont le plus besoin. Alors que 70 % des nouvelles infections au VIH concernent des populations clés et leurs partenaires, nous devons faire face aux obstacles auxquels ces communautés sont confrontées – la stigmatisation, la discrimination et la criminalisation. Sans action sur ces fronts, nous ne pourrons pas exploiter tout le potentiel du Lénacapavir.

Cette réalité vaut pour les trois maladies que nous combattons. Les obstacles à l’accès aux services de santé – notamment les violations des droits humains et les inégalités structurelles entre les genres – freinent directement les progrès contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Ces enjeux ne sont pas périphériques : ils sont au cœur même de la santé mondiale. En réponse, le Fonds mondial investit dans des programmes qui renforcent les droits humains liés à la santé. Nos investissements contribuent à bâtir des systèmes durables, capables d’aider les personnes à surmonter les obstacles liés aux droits humains, aux inégalités de genre et à d’autres inégalités structurelles qui les empêchent d’accéder aux soins.

 

  • Cet entretien a été traduit par Focus 2030 depuis l’anglais. Se référer à ce lien pour le consulter en version originale.
     
  • Les opinions exprimées dans cet entretien sont celles de Peter Sands et ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

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