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3 questions à Jenny Hedman, Analyste politique sur l’égalité de genre et Coordinatrice du GenderNet du CAD à l’OCDE

Publié le 8 mars 2023 dans Actualités

À l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, Focus 2030 met en valeur l’action et l’expertise de celles et ceux qui se mobilisent quotidiennement pour l’égalité femmes-hommes dans le monde. Retrouvez notre dossier spécial.

 

 

 

Entretien avec Jenny Hedman, Analyste politique sur l’égalité de genre et Coordinatrice du GenderNet du CAD à l’OCDE

Focus 2030 : Au sein du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, vous êtes la coordinatrice du GenderNet, un réseau d’expert·e·s en matière d’égalité de genre travaillant au sein d’agences internationales de coopération au développement et visant à améliorer l’égalité et à contribuer aux Objectifs de développement durable par le biais des politiques de développement. Un « marqueur égalité femmes-hommes » a été mis en place par le CAD au milieu des années 90 et bien que certains pays aient augmenté la part de leur aide publique au développement (APD) allouée à la promotion des droits des femmes, la moyenne de l’OCDE reste stable à 44 % en 2020-2021. Comment expliquer que la situation évolue si peu et comment encourager les États membres à augmenter leurs financements en faveur de l’égalité de genre ?

 

Jenny Hedman : C’est en effet LA question, qui constitue également la base d’une grande partie de notre travail. Cette année, nous observons que la part de l’aide visant l’égalité de genre diminue même légèrement pour la première fois depuis longtemps. Nous espérons qu’il ne s’agit que d’une baisse ponctuelle, mais nous allons étudier avec les membres de GenderNet les raisons de ce phénomène. 

Dans l’ensemble, je pense qu’il y a plusieurs raisons pour lesquelles les États membres augmentent ou non la part accordée à l’égalité de genre dans leur APD, l’une d’entre elles étant le leadership politique en la matière. Nous observons des parts très élevées d’APD genrée de la part des États qui font preuve d’un soutien politique clair et de longue date en faveur de l’égalité de genre. D’autres membres, dont l’engagement est plus récent, semblent commencer à augmenter leur part d’APD dédiée.

Cela étant, afin de renforcer le soutien à l’égalité de genre et à l’autonomisation des femmes, il est indispensable que le système dans son ensemble soit opérationnel, avec des politiques, des stratégies, une expertise, des ressources humaines... C’est pourquoi nous avons élaboré, en collaboration avec les membres de GenderNet, le guide L’égalité des genres et l’autonomisation des femmes et des filles : Orientations pour les partenaires au développement. Ce document identifie les bonnes pratiques à adopter en tant que partenaire de développement souhaitant œuvrer en faveur de l’égalité de genre. Il propose des exemples et fait état des mesures à prendre, de la définition de politiques et de stratégies à la conception de programmes, en passant par le suivi et l’évaluation, ainsi que par sa propre exemplarité - en examinant, par exemple, dans quelle mesure sa propre politique de ressources humaines est sensible à la dimension de genre. Nous avons identifié les éléments essentiels qui devraient idéalement être mis en place dans une agence de développement pour augmenter la part de l’aide en faveur de l’égalité de genre et contribuer à des résultats positifs - ce qui reste bien sûr l’objectif final. 

D’autre part, je pense que le processus d’apprentissage et d’échange entre pairs mené au sein du GenderNet est utile. Il y a une richesse d’expérience au sein du réseau et il compte presque toujours des personnes qui obtiennent de très bons résultats dans un domaine spécifique, ce dont les autres peuvent s’inspirer. Sans oublier que chaque année, nous publions des données sur l’APD genrée et, naturellement, la plupart des membres préfèrent être les premiers de la classe !

 


Focus 2030 : Quelles sont les priorités de financement des Etats membres en matière d’égalité des genres, et inversement, quels sont les secteurs ou les sujets qui semblent être sous-financés ?

 

Jenny Hedman : Si l’on examine l’APD bilatérale consacrée à l’égalité de genre en tant qu’objectif principal, une grande partie est allouée à la santé reproductive et maternelle, et en matière de gouvernance, à des programmes soutenant la participation politique des femmes ou les réformes de l’application de la loi. Une partie de cette aide est également consacrée à la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles, ainsi qu’au soutien aux organisations et mouvements nationaux de défense des droits des femmes. Ce sont des domaines essentiels pour l’égalité femmes-hommes et il est positif que les membres fournissent des fonds à cet effet, mais il faut aussi garder à l’esprit que nous ne parlons que de 5,7 milliards de dollars en moyenne par an au total, au niveau mondial. Cela correspond à 4 % de l’APD totale examinée au regard du marqueur égalité femmes-hommes du CAD - une part qui n’a pas bougé au fil des ans et qui a même diminué par rapport à l’année dernière. 

Si l’on examine les programmes dans différents secteurs qui intègrent l’égalité femmes-hommes comme l’un des principaux objectifs, on constate que les domaines où la part de l’APD genrée est la plus élevée sont les infrastructures et les services sociaux, tels que les politiques de protection sociale et d’emploi, ainsi que l’agriculture et le développement rural, et l’éducation. Dans ces secteurs, 65 à 70 % de l’APD intègre des objectifs d’égalité de genre. 

En revanche, l’accent mis sur l’égalité de genre est très faible dans l’aide humanitaire et dans le secteur de l’énergie. Ces deux domaines sont systématiquement les « moins performants » et je pense que nous pouvons faire plus en tant que communauté pour augmenter l’importance accordée à l’égalité dans ces domaines. Même si un projet ou un programme ne se concentre pas spécifiquement sur l’égalité de genre, il est important de s’assurer au moins qu’il n’aura pas d’impact négatif sur l’égalité femmes-hommes.

 


Focus 2030 : L’un des domaines de travail du GenderNet est l’égalité de genre dans les situations de crise et de conflits, un sujet qui résonne particulièrement dans le monde d’aujourd’hui affecté par des crises multiples et interconnectées. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce travail ?

 

Jenny Hedman : L’inégalité entre les femmes et les hommes et la fragilité sont intimement liées. Nous savons que davantage pourrait être fait pour adopter des approches sensibles au genre dans les crises humanitaires et pour soutenir les environnements fragilisés. L’une des forces du GenderNet est que nous pouvons réunir des experts en matière d’égalité avec d’autres communautés politiques. Depuis plusieurs années, nous travaillons avec le Réseau international sur les conflits et la fragilité (INCAF), en facilitant les échanges entre ces acteurs et en élaborant des recommandations politiques. Plus récemment, le rapport de l’OCDE États de fragilité 2022 a mis en avant les leçons à retenir. En outre, nous sommes engagés à travers le Pacte sur les femmes, la paix, la sécurité et l’action humanitaire du Forum Génération Égalité, principalement pour soutenir le processus de redevabilité et fournir des données sur le financement dans ce domaine. 

Nous travaillons également avec les membres pour mettre en œuvre la Recommandation du CAD sur l’élimination de l’exploitation, des abus et du harcèlement sexuels dans la coopération pour le développement et l’aide humanitaire. Il s’agit d’un outil important pour s’assurer que les partenaires du développement ne nuisent pas à l’égalité de genre en général, et en particulier dans les contextes fragiles où les femmes et les filles sont souvent placées dans des situations vulnérables. 

 

  • Cet entretien a été traduit par Focus 2030 depuis l’anglais. Se référer à ce lien pour le consulter en version originale.
     
  • Consultez ce lien pour découvrir le dossier droits des femmes de Focus 2030.
     

NB : Les opinions exprimées dans cet entretien sont celles de l’interviewée et ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.