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    3 questions à Martin Kessler, Directeur exécutif du Finance for Development Lab

    Publié le 08/11/2023, modifié le 07/10/2025.

    Les 22 et 23 juin 2023, s’est tenu à Paris le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Depuis, les dirigeant·e·s d’États, les gouvernements, les organisations internationales, la société civile et le secteur privé ont été invités à discuter et mettre en oeuvre des solutions pouvant répondre aux crises du climat et de la pauvreté, étroitement liées. Réforme de l’architecture financière internationale, financements innovants, annulation et rééchelonnement de dettes sont autant de sujets discutés pour adapter le financement du développement aux besoins des pays les plus vulnérables. 

    Afin de décrypter les enjeux actuels du financement du développement, Focus 2030 met en avant le point de vue d’expert·es à travers une série d’entretiens avec des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. 

    Découvrez notre dossier spécial consacré aux enjeux de la refonte de l’architecture financière internationale, qui dresse un bilan des progrès et obstacles observés depuis la tenue du Sommet pour un Nouveau pacte financier mondial.

     

    3 questions à Martin Kessler, Directeur exécutif du Finance for Development Lab.

    Propos recueillis le 7 novembre 2023 par Focus 2030.

    Focus 2030 : 9 pays ont fait défaut sur leur dette depuis 2020, contre 13 sur les 20 années précédentes : quelles sont les causes de cette situation d’endettement alarmante et quels sont les pays les plus touchés ?

     

    Martin Kessler : Les causes fondamentales datent d’avant la crise du COVID. Après la réduction des dettes des pays pauvres au début des années 2000, il était urgent d’investir dans des infrastructures qui manquaient cruellement. Cette demande a rencontré une offre abondante de capitaux : après la crise financière mondiale de 2008, les taux d’intérêts à zéro pratiqués par les pays avancés ont mené les investisseurs à chercher des rendements dans les pays en développement. D’autre part, la Chine a pris la décision de se lancer dans l’initiative « Belt and Road » : un grand plan de construction d’infrastructures financées par des prêts.

    Ces programmes d’investissements ont parfois porté leurs fruits, mais ils ont aussi souvent contribué à financer des dépenses non productives, voire même dans certains cas, à alimenter la corruption. Le résultat est qu’avec davantage d’emprunts chers – auprès des marchés ou de la Chine, une dynamique de croissance décevante et des prix des matières premières en berne, de nombreux pays en développement ont commencé à être en difficulté de paiement.

    Pour la Zambie ou l’Equateur, le COVID a été le point de rupture : il était désormais impossible de rembourser les dettes, et ces pays ont cherché à négocier leur restructuration. Pour le Ghana et le Sri Lanka, c’est la guerre en Ukraine qui a transformé une situation difficile en situation intenable.

    Cependant, on aurait pu s’attendre à davantage de défauts, étant données l’augmentation rapide des montants des dettes publiques et des taux d’intérêts dans les pays en développement. Aujourd’hui, le FMI estime qu’environ la moitié des pays à bas revenus présente un risque élevé de crise de la dette.

    Des pays comme le Pakistan ont été victimes d’inondations catastrophiques et de graves crises politiques, mais continuent tout de même à rembourser leurs créanciers. C’est le cas de l’Egypte également. Au-delà de la grande diversité des situations et des trajectoires, les facteurs communs sont les difficultés à lever l’impôt, ce qui limite la capacité à rembourser, les cycles des matières premières, et l’exposition excessive à des sources de financement chères.


    Focus 2030 : Les 10 et 11 novembre prochains aura lieu la 6ème édition du Forum de Paris sur la Paix. L’un de ses objectifs sera de faire le point sur les progrès effectués depuis le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui avait pour ambition de trouver des solutions en faveur des pays endettés : quelles évolutions avez-vous observées en ce sens depuis juin dernier ?

     

    Martin Kessler :

    L’ambition du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial de faire entendre la voix des pays du Sud sur les solutions financières à la crise climatique a permis de lancer un certain nombre de pistes. La plupart sont au long cours : l’architecture de la dette est complexe. Il n’y a pas un acteur qui décide, mais une multitude d’intérêts sans institution centrale pour les réguler ou les amener à des compromis.

    Le Sommet était donc mal placé pour faire avancer directement les choses : c’est plutôt le rôle du G20 ou des institutions telles que le FMI et la Banque mondiale. Il a donc lancé des pistes. L’idée d’une réflexion plus profonde sur l’adaptation des règles d’endettement à la crise climatique, portée par le Kenya, la Colombie et la France en est une importante. L’adoption de clauses résilientes aux catastrophes naturelles en est une autre, et a progressé depuis juin avec les premières expérimentations de la Banque mondiale qui verront bientôt le jour.

    Le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial a aussi montré de l’ambition sur des sujets connexes : par exemple, souligner le besoin d’un abondement ambitieux pour le fonds concessionnel de la Banque mondiale, qui prête à taux zéro aux pays les plus pauvres – et souvent les plus surendettés.


    Focus 2030 : Trouver des solutions à la crise de la dette était également l’un des thèmes abordés lors des réunions annuelles de la Banque mondiale et du FMI. Quelles actions peuvent entreprendre ces institutions pour les aider à sortir de cette crise ?

     

    Martin Kessler :

    Le rôle de ces institutions est essentiel. Le FMI est le pompier appelé pendant les crises, il prête aux pays en difficulté. La Banque mondiale fait des prêts de long terme pour des projets ou du soutien au budget des pays en développement.

    Ces deux institutions, nées de l’accord de Bretton-Woods en 1944, et qui vont donc bientôt fêter leurs 80 ans, ont beaucoup évolué. Elles prennent mieux en compte la vulnérabilité climatique, ayant toutes deux développé des instruments de diagnostic et de financement de l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.

    Elles se sont éloignées – en partie – des préceptes du consensus de Washington.

    Deux évolutions majeures sont nécessaires : l’une opérationnelle, l’autre stratégique. Dans les opérations, le FMI devrait prêter plus vite même quand des blocages surgissent, être plus transparent dans ses décisions de considérer que la dette d’un pays est soutenable ou non. Pour la Banque mondiale, cela signifie insuffler des perspectives de long terme, même dans les crises. Le FMI a un horizon de 4 ans dans ses prêts, qui visent à aider les pays à sortir au plus vite des crises ; la Banque mondiale en a un de 30 à 50 ans et elle doit mettre en avant cet avantage comparatif.

    L’évolution plus stratégique consistera à adapter la gouvernance en donnant plus de voix aux pays du Sud global, à mieux intégrer les pays débiteurs dans les règles de restructuration. Cela nécessitera des évolutions difficiles, un rééquilibrage des voix dans les conseils d’administration. Ces évolutions ne viendront pas du jour au lendemain mais peuvent bénéficier à tous.

     

    • Les opinions exprimées par la personne interviewée ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

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