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Qui soutient le secours en Méditerranée des personnes qui fuient leur pays  ?

Publié le 28 novembre 2025 dans Sondages

L’information à laquelle les Français sont exposés au sujet des personnes qui traversent la Méditerranée au péril de leur vie, est alimenté par des vents contradictoires. Tout se passe comme si on observait d’un côté des reportages qui font état de tragiques naufrages entrainant dans les fonds marins, souvent glacés, des destins qui n’en étaient souvent qu’à l’aube des promesses de la vie. Et de l’autre, une couverture médiatique des déclarations ou des décisions politiques qui entérinent la volonté de contrôler les flux migratoires (jusqu’au récent projet de mettre d’intercepter les "small boats" à l’aide de filets) en espérant décourager les filières de passeurs tout autant que les candidats à l’entrée illégale en France, en Italie, en Grèce ou ailleurs sur le continent européen.

Dans l’espace public, les personnes traversant la Méditerranée sur des bateaux de fortune sont tantôt perçues comme des individus à repousser tantôt comme des individus devant être sauvés d’une mort certaine. Dans les faits, l’Organisation mondiale des migrations (OIM) décompte plus de 33.000 migrants disparus en Méditerranée depuis 2014, avec un pic en 2015 lors de la guerre civile en Syrie.

C’est pour mieux comprendre les conséquences de ce récit binaire et des représentations qu’il implique dans l’opinion publique que Focus 2030 en partenariat avec le Development Engagement Lab (DEL), mesure trois fois par an depuis fin 2019, la manière dont les Français se positionnent vis-à-vis du principe selon lequel «  Tout doit être mis en œuvre pour porter secours en Méditerranée aux personnes qui fuient leur pays.  ».

On notera qu’ainsi formulée, la question ne porte pas sur les enjeux migratoires en tant que tels mais sur le principe du sauvetage en mer de populations en détresse.

1. Une majorité relative de Français soutient le principe d’un soutien au secours en Méditerranée

Au fil du temps, approximativement, 40 % des Français déclarent  être d’accord (ou tout à fait d’accord) avec l’affirmation selon laquelle «  tout doit être mis en œuvre pour porter secours en Méditerranée aux personnes qui fuient leur pays  ».

30 % des sondés ne sont ni en accord ni en désaccord avec ce principe tandis qu’un quart d’entre eux (24%) déclarent être en désaccord (plutôt ou tout à fait).

2. Le degré de soutien au sauvetage des personnes en détresse en Méditerranée demeure relativement stable dans le temps

Entre 2019 et 2024, on remarque que l’opinion des Français à propos de cette même question posée trois fois par an est relativement stable en dépit de contextes politiques, sociaux et économiques fluctuant selon le contexte national ou international.

Indépendamment de l’actualité liée aux phénomènes migratoires dont l’intensité n’a fait que décroitre ces dernières années, le soutien au secours en Méditerranée oscille dans un sens et dans un autre, entre 36% (janvier 2021) et 42% (janvier 2021, juin 2023 & 2024). Parallèlement la proportion de répondants qui ne souhaitent pas que tout soit mis en oeuvre pour porter secours aux personnes qui fuient leur pays alterne entre 22% (janvier 2020 & 2022 et juin 2022) et 30% (juin 2025).

3. Le soutien au sauvetage en mer varie selon l’orientation politique

Le soutien ou l’opposition au secours en Méditerranée sont fortement corrélés à l’orientation politique des répondants.

Plus les personnes interrogées se déclarent à gauche de l’échiquier politique et plus elles sont proportionnellement nombreuses (jusqu’à 74%) à être d’accord avec le principe de porter secours en Méditerranée aux personnes qui fuient leur pays (soit +34 points de pourcentage par rapport à la moyenne des répondants).

En cohérence avec leur niveau élevé d’adhésion au principe du secours, les personnes se déclarant « très à gauche » sont aussi les moins nombreuses à s’y opposer : seulement 10 %, soit 15 points de moins que la moyenne nationale (24 %).

A l’opposé, seules 13% des personnes se déclarant «  très à droite  » sont en accord avec le principe de porter secours en Méditerranée (soit -27 points de moins que la moyenne des Français) tandis que jusqu’à 68 % d’entre elles déclarent être en désaccord (soit -44 points de pourcentage par rapport à la moyenne des Français).

Sur cette question, les répondants se déclarant du «  centre  » se rapprochent de celles se déclarant de «  gauche  ». Par rapport à la moyenne des Français interrogés, ils sont plus nombreux à soutenir le secours en Méditerranée (+12 points) et moins nombreux à s’y opposer (-10 points).

A noter que les électeurs de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 sont respectivement plus nombreux (+4 points de pourcentage) que les personnes se déclarant «  très à droite   » à soutenir le principe du secours en Méditerranée et nettement moins nombreux à s’y opposer (-22 points).

4. Un soutien au principe du sauvetage en mer inconditionnel corrélé à l’âge et au niveau d’éducation

Le soutien au secours en Méditerranée est respectivement plus marqué parmi les jeunes et parmi les personnes déclarant un niveau d’étude élevé.

59% des 18 à 25 ans soutiennent le principe de secourir en Méditerranée les personnes qui fuient leur pays, soit +19 points de pourcentage par rapport à la moyenne des répondants (40%) et +22 points par rapport à ceux qui ont plus de 35 ans (37%). En cohérence, seuls 11% des 18-25 ans se déclarent en désaccord avec le fait de porter secours en Méditerranée, soit -13 points par rapport à la moyenne des Français (24%) et -15 points par rapport à ceux qui ont plus de 35 ans (26%).

En regardant le niveau d’études des personnes interrogées, on remarque que les répondants déclarant avoir au moins un Bac+2 sont plus nombreux à soutenir le secours en Méditerranée (respectivement +9 points et +6 points) que la moyenne des Français (40%) et que ceux qui n’ont pas le Bac (33%). Les différences selon le niveau d’étude apparaissent en revanche moins marquées parmi les opposants au principe de sauvetage inconditionnel.

Notons que la répartition des réponses ne varie pas ou sinon de manière marginale selon le genre des personnes interrogées.

5. Dans quelles régions françaises le soutien au principe du sauvetage en mer est-il le plus marqué  ?

Sans qu’il soit possible d’apporter une explication précise aux divergences d’opinions sur cette question en fonction de la géographie des répondants, on remarque cependant que les résultats obtenus dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Ile de France et Normandie, montrent un soutien plus élevé au principe du sauvetage en Méditerranée, tandis qu’à l’inverse, les régions Centre-Val de Loire, Bretagne, Occitanie, Hauts-de-France ou Bourgogne-Franche Comté montrent un soutien plus relatif.

En conclusion, indépendamment d’une majorité (relative) de Français et de Françaises (40%) soutenant le principe selon lequel tout doit être mis en œuvre pour porter secours en Méditerranée aux personnes qui fuient leur pays, il importe de prendre conscience qu’au gré des différentes catégories sociales (âge, éducation, genre, orientation politique, etc.), entre 9% et 68% de répondants s’opposent à ce principe pourtant juridiquement consacré.

Rappelons ici que selon les dispositions du code du transport (maritime),  « Tout capitaine est tenu, autant qu’il peut le faire sans danger sérieux pour son navire, son équipage ou ses passagers au sens de l’article L. 5511-6, de prêter assistance à toute personne trouvée en mer en danger de se perdre. ». Tout manquement à cette obligation est réprimé par la loi  ».

Si la société s’est progressivement organisée autour d’une doctrine éthique (ou morale) consistant à sacraliser la vie des êtres humains, par exemple en mettant en place des dispositifs de sauvetage en mer pour l’ensemble des navigateurs (sportifs, professionnels, plaisanciers, etc.), on peut interroger le fait qu’un quart des Français (24%) déclarent s’opposer au principe de tout mettre en œuvre pour empêcher la noyade de personnes migrantes en détresse.

Ce qui signifie, que dans notre société contemporaine, au cœur d’un pays à revenu élevé, il semble admis que le prix de la vie, à quelques miles nautiques des côtes de l’Europe, n’est pas le même en fonction de la nationalité concernée ; certains doivent survivre tandis que d’autres peuvent mourir.

Cette répartition des opinions face à une question qui interroge la vie et la mort, questionne la manière dont les Français se figurent concrètement ce que veut dire accepter le risque de vaciller par tous les temps, sur une embarcation de fortune. Au-delà des opinions xénophobes ou des théories du grand remplacement qui alimentent un désir de repli associé à une peur de l’envahissement, ces données nous disent, en creux, qu’une partie des citoyens sont sans doute très peu à même de réaliser ce que signifie quitter son pays et ses proches, engloutir son épargne pour prendre le large au péril de sa vie, parfois avec de très jeunes enfants, dans le but d’espérer une vie meilleure. Comme si, sur ce sujet au moins, refuser l’empathie était une posture acceptable. Ainsi, ces réponses questionnent la force des narrations actuellement à l’œuvre dans le débat public sur les phénomènes migratoires où la passion, parfois, l’emporte sur la raison.

 

Ces données sont issues de nos sondages réalisés par l’Institut YouGov et pilotés par l’équipe de recherche du University College London et de l’Université de Birmingham dans le cadre du projet Development Engagement Lab. Information et méthodologie disponible ici.

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