Publié le 27 février 2025 dans Actualités
La prochaine édition du Sommet Nutrition for Growth, organisée par la France les 27 et 28 mars 2025 à Paris, constitue une occasion unique d’engager la communauté internationale dans une lutte plus efficace contre la malnutrition. En amont de ce Sommet international, Focus 2030 consacre un dossier spécial aux enjeux de (mal)nutrition dans le monde et met en avant les points de vue et attentes d’organisations, de personnalités ou d’acteurs du domaine de la nutrition. |
Focus 2030 : Depuis près de trente ans, le GRET intervient à Madagascar pour lutter contre la malnutrition. Quels sont les principaux défis nutritionnels auxquels le pays est confronté aujourd’hui ?
Andrimampionona Razakandrainy, Responsable programme Nutrition et Santé du Gret Madagascar : La malnutrition représente un problème majeur de santé publique à Madagascar. Si nous nous focalisons sur la malnutrition chronique – état dû à des carences alimentaires ou à des maladies dans le long terme et qui se manifeste par une petite taille par rapport à l’âge- chez les enfants de moins de 5 ans, la plus problématique, la situation nationale a positivement évolué ces 30 dernières années. La prévalence de la malnutrition chronique est passée de près de 55% en 1992 à 40% en 2021. Toutefois, la situation demeure alarmante et beaucoup de défis restent à relever. En effet, même pour le retard de croissance, la prévalence reste très élevée et Madagascar figure parmi les pays au monde ayant le plus d’enfants touchés. La maigreur demeure également très élevée chez les jeunes enfants, plus particulièrement dans le sud du pays avec 15,2% d’enfants maigres selon l’enquête démographique et de santé (EDS) de 2021. Ceci, en raison notamment de l’insécurité alimentaire récurrente causée par des phénomènes climatiques : peu de pluies, vents violents. Au niveau des prévalences en carence en micronutriments, les résultats d’une enquête nationale seront diffusés bientôt mais en ne citant que la carence en fer, un enfant sur deux est anémié et une femme sur quatre l’est.
Les causes sous-jacentes et fondamentales de la malnutrition sont très diverses pour Madagascar. Au-delà de la qualité, l’accessibilité et l’utilisation des services de santé très souvent problématiques, de multiples facteurs entrent en jeu. Je peux citer quelques exemples.
La mauvaise gestion des ressources agricoles conduit à ce que ce soient les producteurs eux-mêmes qui sont les plus souvent touchés par l’insécurité alimentaire et nutritionnelle en période de soudure (entre deux récoltes). Ceci est un paradoxe sachant que c’est surtout dans les zones à très fortes potentialités de production agricole, comme les hautes terres, que sont répertoriés les taux de malnutrition chronique les plus élevés : entre 49 et 52% selon l’enquête EDS de 2021.
Les mauvaises pratiques alimentaires sont dues à la fois au manque de connaissance et à la difficulté de changer les mauvais comportements malgré les efforts de sensibilisation sur les pratiques recommandées. Ainsi, l’alimentation des Malgaches est généralement très peu variée et très peu équilibrée, avec beaucoup de glucides et très peu d’apport en nutriments essentiels comme les protéines et les vitamines ainsi que les éléments minéraux. Pour illustrer : 20% des jeunes enfants seulement ont accès à un apport alimentaire minimum acceptable.
Par ailleurs, la qualité nutritionnelle des produits alimentaires sur le marché est très souvent mauvaise, et les ménages pauvres ont un accès financier restreint aux aliments de bonne qualité.
Focus 2030 : Quelle est l’approche du Gret pour contribuer à la lutte contre la malnutrition à Madagascar ? Quels principaux projets avez-vous développés ou êtes-vous actuellement en train de mettre en œuvre pour améliorer la situation nutritionnelle de la population malgache ?
Andrimampionona Razakandrainy : La stratégie d’intervention du Gret vise à prévenir durablement les différentes formes de malnutrition. Pour cela, le Gret prône une approche globale. Il traite à la fois les déterminants immédiats de la malnutrition que sont l’apport alimentaire insuffisant et les maladies, et ses déterminants sous-jacents – insécurité alimentaire, pratiques de soins et d’alimentation inadaptées, accès insuffisant à des ressources et à des services de santé de qualité, niveau d’éducation et de protection sociale.
Pour le Gret, la prévention et la mobilisation de tous les secteurs sont des enjeux clefs. Il priorise des actions spécifiques permettant d’améliorer les régimes alimentaires et la santé des femmes et des jeunes enfants, cibles prioritaires .
A Madagascar, deux approches complémentaires et adaptées ont été mises en œuvre : l’appui au système de santé dans la diffusion de conseils sur les bonnes pratiques d’alimentation en complément du lait maternel, notamment sur la préparation de repas équilibrés ; et l’appui au secteur privé local pour la production et la commercialisation de farines infantiles de bonne qualité et accessibles financièrement et géographiquement au plus grand nombre.
Au moins une cinquantaine de projets et d’expertises en nutrition ont été menés par le Gret à Madagascar. J’en cite ici quelques-uns.
Dans les années 2000, les projets Nutrimad ont permis de concevoir et de mettre à la disposition de la population diverses farines infantiles fortifiées, encore en vente actuellement : pour la prévention de la malnutrition : la farine fortifiée Koba Aina, pour la prise en charge des enfants en situation de malnutrition aiguë modérée : la farine PECMAM, une collation fortifiée pour les enfants d’âge scolaire Koba Tsinjo.
Dans le sud du pays, le Gret mène depuis plusieurs années des projets d’aides alimentaires et de filets sociaux pour faire face aux crises alimentaires en période de soudures. Ils comprennent un paquet d’activités incluant de la sensibilisation, d’aides alimentaires en nature pour les ménages vulnérables, des activités de prises en charge des enfants malnutris et de dotation de semences améliorées pour renforcer la capacité de résilience de la population.
Pour faire face aux problématiques de carences en micronutriments, un projet de fortification alimentaire pour les populations vulnérables en milieu urbain a été mené de 2017 à 2021. Il a permis de développer une approche innovante de sensibilisation multicanale et plus impactante pour favoriser les changements de comportement en faveur de la nutrition, de développer et d’améliorer les offres de produits de qualité pour les groupes vulnérables, ainsi que d’améliorer les cadres règlementaires en matière de fortification alimentaire et de normalisation.
Actuellement, le Gret mène principalement un projet intégré de lutte contre la malnutrition, appelé « Tambatra » en phase avec le plan national d’action multisectorielle pour la nutrition ; un projet nommé « Aintsoa » pour lutter contre la malnutrition et les inégalités sanitaires et sociales en milieu urbain à Madagascar par une approche genre et d’entrepreneuriat social, tout en développant diverses activités sensibles à la nutrition comme l’agriculture urbaine ou des services sociaux.
Focus 2030 : En mars 2025, la France accueillera le sommet Nutrition for Growth, qui aura pour objectif de renforcer l’engagement mondial dans la lutte contre la malnutrition. En tant qu’acteur du terrain, quelles sont vos attentes vis-à-vis de cet événement ? Quels engagements vous semblent essentiels pour renforcer l’efficacité de la lutte contre la malnutrition dans le monde ?
Andrimampionona Razakandrainy : Les engagements restent souvent au niveau des discours prononcés par les pays et restent politiques. Par contre, les acteurs de terrain sont incontournables pour la réalisation des actions qui visent à atteindre les engagements.
J’attends du sommet N4G 2025 :
Pour le cas de Madagascar, le seul engagement programmatique qui soit en lien avec la feuille de route pour la transformation des systèmes alimentaires, en intégrant un objectif sur l’alimentation diversifiée, saine et nutritive est à renforcer pour atteindre les engagements d’impact déjà très ambitieux.
Il faut mettre plus d’accent sur les régimes nutritifs, sûrs, abordables et durables, sur la production locale, sur les contributions des acteurs des secteurs public et privé en vue de plaider en faveur de politiques, de pratiques et de produits alimentaires, commerciaux ou non, garantissant une nutrition optimale à tous les enfants, tou.te.s les adolescent.e.s et toutes les femmes, dans tous les contextes
A mon avis, pour renforcer l’efficacité de la lutte contre la malnutrition dans le monde, les engagements essentiels sont : d’un, celui du financement domestique démontrant, si effectif, une réelle volonté de l’Etat ; et de deux, des engagements sur des actions concrètes avec impacts à long terme, des initiatives locales et innovantes.
Un des enjeux de l’évènement est également l’engagement des bailleurs pour la mobilisation de fonds en faveur de la lutte contre la malnutrition. Il est crucial d’accorder autant d’importance aux acteurs de développement qu’aux organismes des Nations unies et de financer des actions ayant montré leur efficacité, réalistes et pérennes. Il est tout aussi important de considérer les enjeux forts du changement climatique, leurs impacts sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle, particulièrement sur les populations vulnérables, de plus en plus visibles et forts.
NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.