Focus 2030
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Trois questions au Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé

Publié le 13 mars 2025 dans Actualités

La prochaine édition du Sommet Nutrition for Growth, organisée par la France les 27 et 28 mars 2025 à Paris, constitue une occasion unique d’engager la communauté internationale dans une lutte plus efficace contre la malnutrition. En amont de ce Sommet international, Focus 2030 consacre un dossier spécial aux enjeux de (mal)nutrition dans le monde et met en avant les points de vue et attentes d’organisations, de personnalités ou d’acteurs du domaine de la nutrition.

 

 

Interview du Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé.

Focus 2030 : Le monde n’est pas sur la bonne voie pour atteindre les objectifs mondiaux en matière de nutrition fixés pour 2025 dans le cadre de la Décennie d’action des Nations unies pour la nutrition, une initiative mondiale menée par l’OMS et la FAO pour relever les défis de la nutrition. Selon l’OMS, quels sont les principaux obstacles à la lutte contre la malnutrition ?

Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé : Les principaux obstacles à la lutte contre la malnutrition sont les conflits, le changement climatique, la pauvreté, la discrimination fondée sur le genre, l’insécurité alimentaire et la hausse des prix des denrées alimentaires. En 2023, on estime qu’une personne sur onze dans le monde, soit 733 millions de personnes, souffrait de la faim en raison des conflits et des défis économiques mondiaux. Cette proportion a atteint 1 sur 5 en Afrique. Dans le même temps la disponibilité d’aliments bon marché et hautement transformés, riches en graisses, en sucres et en sels, combinée au déclin de l’activité physique, alimente une épidémie d’obésité croissante.

Dans les régions fragiles et touchées par des conflits, où les populations sont confrontées à une crise de la faim aiguë ou chronique, nous observons des taux élevés de retard de croissance et d’émaciation chez les enfants. Cette situation est due à un manque de nutrition adéquate pendant les 1000 premiers jours, de la conception à l’âge de deux ans. L’absence d’allaitement maternel, qui fournit des anticorps et des nutriments essentiels aux nourrissons pendant les premiers mois de leur vie, est souvent à l’origine de ce phénomène. Les taux d’allaitement exclusif sont passés de 37 % en 2012 à 48 % en 2022. Mais peu de progrès ont été réalisés dans la réduction de l’insuffisance pondérale à la naissance, qui stagne à près de 15 %. Le manque d’accès à des aliments riches en fer a également contribué à l’augmentation de l’anémie chez les femmes, qui concernait 30 % d’entre elles en 2019.

Dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, on observe aujourd’hui un double fardeau de la malnutrition, avec à la fois la dénutrition et l’augmentation des taux de surpoids et d’obésité.

Cette situation s’explique en grande partie par l’urbanisation, la mondialisation et la croissance des revenus, associées à une modification de la qualité et de la quantité des régimes alimentaires au cours des dernières décennies. L’accès limité à des options alimentaires saines et abordables dans ces environnements contribue à une dépendance excessive à l’égard des aliments transformés, en particulier chez les jeunes ou les populations mal desservies. Cette situation peut entraîner des carences en micronutriments et se transformer au cours de la vie en une série de maladies non transmissibles, telles que le diabète, les maladies cardiaques et l’hypertension.

Les objectifs mondiaux en matière de nutrition ont joué un rôle déterminant dans la lutte contre la malnutrition. Bien que des progrès importants aient été réalisés, l’OMS a proposé d’étendre les objectifs de 2025 à 2030. Pour les indicateurs tels que le retard de croissance, l’anémie, l’insuffisance pondérale à la naissance et l’émaciation, une action continue est nécessaire pour réaliser des progrès significatifs. Pour les objectifs presque atteints, tels que l’allaitement maternel exclusif et la surcharge pondérale chez l’enfant, les efforts doivent se concentrer sur l’accélération des progrès, l’objectif étant de porter à 60 % le taux d’allaitement maternel exclusif au cours des six premiers mois de la vie et de ramener la surcharge pondérale chez l’enfant à un niveau inférieur à 5 %.

Focus 2030 : Comment l’OMS travaille-t-elle pour surmonter ces obstacles et soutenir la lutte contre la malnutrition ? Quelles sont les solutions à privilégier ?

Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus : En tant que principale agence scientifique et normative en matière de santé publique mondiale, l’OMS travaille avec des experts techniques pour élaborer des lignes directrices, des cadres et des outils qui aident les pays à surmonter ces obstacles.

Parmi les solutions prioritaires figurent des orientations sur l’étiquetage nutritionnel qui indiquent clairement le contenu nutritionnel des aliments. Compte tenu de la transition vers des aliments préemballés, l’étiquetage n’est pas seulement un outil de communication, mais aussi un atout marketing précieux pour influencer la prise de décision. L’OMS a également donné la priorité aux orientations sur les politiques fiscales visant à promouvoir une alimentation saine. Il s’agit notamment de politiques qui découragent la consommation d’aliments malsains - comme une taxe sur les boissons sucrées - et encouragent la consommation d’aliments plus sains par le biais de subventions et d’autres moyens. L’élaboration, la mise en œuvre, le suivi et l’application de ces politiques doivent être menés par les pouvoirs publics dans le cadre d’une approche impliquant l’ensemble de la société.

En outre, l’OMS collabore avec d’autres agences des Nations unies pour aider les pays à lutter contre la malnutrition.

Parmi les principales initiatives figurent le Plan d’action mondial sur l’émaciation des enfants, l’Alliance d’action contre l’anémie, le Plan d’accélération pour mettre fin à l’obésité et le Collectif mondial pour l’allaitement.

Ensemble, ces initiatives rassemblent un groupe diversifié de parties prenantes pour s’attaquer à un aspect spécifique du surpoids ou de la dénutrition, en encourageant une action multisectorielle et en engageant les organisations de la société civile à réaliser des progrès significatifs.

Toutes les formes de malnutrition peuvent être évitées. Pour s’attaquer aux causes de la malnutrition, les enfants et leurs familles doivent avoir accès à une alimentation saine et nutritive, à des services de santé essentiels et à des pratiques nutritionnelles positives.

L’élimination de la malnutrition nécessite une approche multisectorielle, intégrant la question de la nutrition dans les systèmes d’alimentation, la santé et la protection sociale.

Cette dernière comprend des filets de sécurité sociale tels que des programmes de transferts monétaires et alimentaires qui brisent le cercle vicieux de la pauvreté et de la malnutrition qui persiste dans de nombreuses régions du monde.

Focus 2030 : Les 27 et 28 mars 2025, la France accueillera le prochain sommet N4G, une occasion cruciale de faire avancer la lutte mondiale contre la malnutrition. Quelles sont les attentes de l’OMS pour cet événement, et quels engagements votre organisation entend-elle mettre en avant ?

Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus : L’OMS attend du Sommet nutrition pour la croissance des engagements politiques et financiers audacieux et décisifs pour lutter contre la malnutrition. L’OMS a travaillé activement avec le gouvernement français pour préparer le sommet et prévoit que ces engagements permettront d’accélérer les progrès vers les objectifs mondiaux en matière de nutrition et les ODD connexes d’ici 2030.

Historiquement, les Sommets nutrition pour la croissance ont permis de faire progresser les efforts mondiaux de lutte contre la malnutrition. À lui seul, le sommet de Tokyo en 2021 a donné lieu à 396 nouveaux engagements en matière de nutrition de la part de 181 parties prenantes dans 78 pays, avec plus de 27 milliards de dollars US promis par des gouvernements et organisations pour des programmes spécifiques et sensibles à la nutrition.

Ce prochain sommet offre une occasion unique de renforcer la collaboration, d’intensifier les interventions qui ont fait leurs preuves et d’obtenir le soutien financier et politique nécessaire pour lutter contre la malnutrition sous toutes ses formes.

Le cadre d’investissement 2024 pour la nutrition de la Banque mondiale identifie la nutrition comme l’un des investissements les plus solides, chaque dollar dépensé pour des interventions précoces rapportant 23 dollars américains. L’OMS appelle toutes les parties prenantes à investir en priorité dans la nutrition et attend avec impatience d’annoncer ses propres engagements lors du sommet N4G en France.

 

NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

 

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