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3 Questions à Achim Steiner, Administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD)

Publié le 9 juin 2023 dans Actualités

Les 22 et 23 juin 2023, un Sommet pour un nouveau pacte financier mondial se tiendra à Paris, organisé par la France. De nombreux dirigeant·e·s d’États, de gouvernements, d’organisations internationales, de la société civile et du secteur privé seront invités à discuter des solutions de financement du développement mondial et de la transition climatique. 

Afin de décrypter les enjeux de ce Sommet, Focus 2030 souhaite recueillir et mettre en avant le point de vue d’organisations expertes dans leurs domaines respectifs et réalise une série d’entretiens avec des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. 

Découvrez le dossier spécial sur le Sommet, ainsi que l’ensemble des autres entretiens avec des expert·e·s, personnalités et acteurs de la solidarité internationale en amont de l’évènement.

 

Entretien avec Achim Steiner, Administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement

Propos recueillis le 26 mai 2023 par Focus 2030.

Focus 2030 : En tant qu’agence de développement des Nations unies, le PNUD joue un rôle essentiel de soutien aux pays dans la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD). Un récent rapport des Nations unies, intitulé « SDG Stimulus to deliver Agenda 2030 », met en garde contre les multiples chocs auxquels l’économie mondiale est confrontée (pandémie de Covid-19, conséquences de la guerre en Ukraine, forte inflation et faible croissance économique, contraction de l’espace fiscal, surendettement et accélération de l’urgence climatique) qui risquent d’inverser les progrès accomplis dans la réalisation des ODD. Comment s’assurer que la communauté internationale renouvelle son engagement en faveur de la réalisation des ODD ?

 

Achim Steiner : À l’échelle mondiale, les progrès sont trop lents en ce qui concerne de nombreux objectifs de développement durable (ODD). Une évaluation récente de quelques 140 cibles des ODD pour lesquelles nous disposons de données montre que seulement 12 % d’entre elles sont sur la bonne voie, tandis que 30 % n’ont pas progressé ou ont même régressé par rapport à la situation de référence établie en 2015. 

Ceci est le résultat de la période de polycrise, marquée par les répercussions socio-économiques concomitantes d’une pandémie et de conflits violents sans précédent depuis 1945, y compris la guerre en Ukraine et ses conséquences. Le coût de la vie a augmenté, les prix des denrées alimentaires ont grimpé en flèche, entraînant des niveaux de famine que nous n’avions pas connus depuis 2005.

Par ailleurs, de nombreux pays en développement sont confrontés au fardeau grandissant de la dette, entraînant une détérioration de leurs conditions économiques et financières. Une analyse récente du PNUD a ainsi révélé que 52 économies en développement à revenu faible ou intermédiaire sont actuellement soit en situation de surendettement, soit exposées à un risque élevé de surendettement. Si l’on ne remédie pas à cette situation, ces pays seront tout simplement incapables d’investir dans des secteurs clés tels que la réduction de la pauvreté, l’égalité de genre et les initiatives en matière d’énergie propre.

Or c’est précisément au milieu de la tourmente géopolitique actuelle et de l’escalade des crises que l’importance des ODD doit être réaffirmée. Ces objectifs demeurent l’un des rares socles à partir desquels toutes les nations peuvent s’entendre pour travailler ensemble en vue d’un avenir plus prometteur. C’est pourquoi le prochain sommet sur les ODD, qui se tiendra en septembre 2023, revêt une importance particulière. 

Pour répondre à ces besoins urgents, le plan de relance des ODD du Secrétaire général des Nations unies fournit un cadre d’action clair. Ce plan prévoit de nouvelles mesures pour injecter des liquidités, rééchelonner et restructurer la dette, et mobiliser des fonds privés. Nous exhortons le G20 à mobiliser au moins 500 milliards de dollars par an pour les pays en développement. 

Comme l’a si bien dit le Secrétaire général, si nous n’agissons pas avec détermination et de toute urgence, l’Agenda 2030 et les 17 ODD risquent de n’être que le souvenir d’un monde aux possibilités illimitées mais tragiquement inaccomplies. Engageons-nous à prendre des mesures audacieuses pour atteindre les ODD et éviter ce scénario désastreux. Travaillons ensemble pour relever ces défis et assurer un avenir prospère pour tous.


Focus 2030 : Selon vous, que peut apporter le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, organisé par la France les 22 et 23 juin à Paris, dans ce contexte, et sous quelles conditions ?

 

Achim Steiner : Le système multilatéral - qui demeure le meilleur moyen de forger un monde plus juste - est en passe de connaître des mutations inédites depuis sa création il y a près de 80 ans. Ce système, fiable mais éprouvé, nécessite d’évoluer pour nous permettre de bâtir un avenir prospère qui profite à tous les peuples, à la planète et aux générations futures. Il est aujourd’hui impératif d’élaborer une nouvelle architecture financière mondiale adaptée aux besoins actuels.

Le sommet peut jouer un rôle crucial en rassemblant des dirigeants et des experts de différents pays et régions pour négocier des politiques et stratégies financières qui favorisent la croissance et la stabilité de l’économie mondiale. Il vise à créer un « nouveau pacte financier mondial » destiné à renforcer la gouvernance financière mondiale afin de créer une économie plus durable, plus inclusive et plus équitable. 

À bien des égards, il constitue un préambule au sommet du G20 et du Sommet sur les Objectifs de développement durable qui se tiendront en septembre, ainsi que de la COP prévue en novembre, dont l’objectif est de mettre en lumière des questions essentielles telles que la relance des Objectifs de développement durable, l’Initiative de Bridgetown et d’autres processus internationaux afin de parvenir à un consensus. Ces initiatives offrent un plan d’action pour faire face à la "polycrise" mondiale en cours. 

Concrètement, on attend du sommet qu’il facilite un partenariat solide entre les pays du Nord et du Sud, en mettant l’accent sur le financement du développement et de la lutte contre le dérèglement climatique. Ce nouveau partenariat vise à relever plusieurs défis, notamment les financements concessionnels, l’augmentation des flux de capitaux privés et l’atténuation de la vulnérabilité, autant d’éléments cruciaux pour surmonter les défis actuels.


Focus 2030 : Oxfam a récemment estimé qu’au moins 3900 milliards de dollars supplémentaires par an sont nécessaires d’ici 2030 pour répondre aux besoins de financement dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la protection sociale et de la lutte contre les changements climatiques dans les pays à faibles et moyens revenus. Plusieurs solutions sont envisagées dans le cadre du Sommet pour pallier le déficit de financements des ODD : accord sur une nouvelle taxe internationale, nouveaux engagements sur la réallocation des droits de tirage spéciaux (DTS), allègement de la dette, réforme des banques multilatérales de développement (BMD), nouveaux partenariats pour une transition énergétique juste (JETP), etc. Selon vous, laquelle de ces solutions est la plus susceptible d’aboutir ? À quoi ressemblerait un succès du Sommet et quelles pourraient être les prochaines étapes ?

 

Achim Steiner : De plus en plus, le financement du développement devient un "grand facteur de division" entre les pays industrialisés et les pays en développement, ce qui entrave les progrès vers la réalisation des ODD et des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat.

Avec 120 pays en développement aux prises avec une crise économique en 2023 (65 pays avec une croissance inférieure à 2 % ; 55 pays avec une croissance de 2 à 4 %) et des taux d’intérêt élevés persistants, les conditions pour créer des emplois et attirer les flux privés sont une tâche ardue à la fois pour 2023 et 2024. Cela s’applique à tous les types de financement du développement, y compris l’aide publique au développement, les prêts concessionnels et quasi-concessionnels, les garanties et tous les types d’assurance. 

Le Sommet de Paris doit s’appuyer sur les signaux envoyés par les réunions du G20 et le récent sommet du G7 en visant plus haut et en faisant preuve d’une plus grande ambition. Il n’y a pas de solution miracle, mais plusieurs flux de financement doivent converger, dont beaucoup ont été signalés par le plan de relance des ODD du Secrétaire Général des Nations unies et l’initiative de Bridgetown :

  • Premièrement, la réforme des banques multilatérales de développement (BMD) - y compris l’augmentation des réserves de capital - permettra aux banques de développement de fournir davantage de prêts à faible coût et à grande échelle. La plupart des pays en développement paient une prime de risque élevée - 19 pays paient actuellement plus de 10 points de pourcentage d’écart par rapport aux bons du Trésor américain. Les taux d’intérêt aux États-Unis et en Europe devraient rester élevés jusqu’en 2024, ce qui maintiendra les coûts de prêt à un niveau élevé, donnant ainsi un rôle important aux BMD qui peuvent exploiter les marchés grâce à leur notation AAA et prêter à des taux presque concessionnels.
  • Deuxièmement, le manque de liquidités reste un défi majeur, en particulier pour les pays qui n’ont pas accès aux échanges de devises des banques centrales du G7 (pour accéder au dollar ou à l’euro). Il est possible d’y parvenir en facilitant l’accès aux droits de tirage spéciaux (DTS) non utilisés. À titre de comparaison, le secteur bancaire américain a reçu une injection de 400 milliards de dollars en un seul week-end à la suite de la fuite des dépôts de la banque de la Silicon Valley (SVB), soit plus que toutes les liquidités mises à la disposition des pays en développement depuis le début de la crise du Covid-19.
  • Troisièmement, la dette souveraine est un problème majeur qui empêche les pays d’investir dans l’atteinte des ODD et de l’accord de Paris sur le climat. Actuellement, 25 pays consacrent plus de 20 % de leurs dépenses publiques au service de leur dette extérieure - la moyenne pour l’ensemble des pays en développement est estimée à 16,3 % en 2023. Près de 70 % des dépenses publiques du Ghana étaient consacrées au service de la dette, avant l’accord conclu avec le FMI la semaine dernière. Le Sri Lanka payait 75 % de ses dépenses publiques au plus fort de sa crise budgétaire. Le PNUD surveille 52 pays en situation de surendettement ou menacés de l’être.

En donnant la priorité à ces solutions, nous pouvons établir un dialogue inclusif entre les pays industrialisés et les pays en développement, renforcer notre capacité à coopérer au-delà des frontières et atteindre nos objectifs globaux de manière juste et équitable.

 

  • Cet entretien a été traduit par Focus 2030 depuis l’anglais. Se référer à ce lien pour le consulter en version originale.
     
  • Les opinions exprimées dans cet entretien sont celles d’Achim Steiner et ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

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