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3 questions à Mwanahamisi Singano, responsable de la stratégie internationale de WEDO

Publié le 14 juin 2023 dans Actualités

Les 22 et 23 juin 2023, un Sommet pour un nouveau pacte financier mondial se tiendra à Paris, organisé par la France. De nombreux dirigeant·e·s d’États, de gouvernements, d’organisations internationales, de la société civile et du secteur privé seront invités à discuter des solutions de financement du développement mondial et de la transition climatique. 

Afin de décrypter les enjeux de ce Sommet, Focus 2030 souhaite recueillir et mettre en avant le point de vue d’organisations expertes dans leurs domaines respectifs et réalise une série d’entretiens avec des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. 

Découvrez le dossier spécial sur le Sommet, ainsi que l’ensemble des autres entretiens avec des expert·e·s, personnalités et acteurs de la solidarité internationale en amont de l’évènement.

 

3 questions à Mwanahamisi Singano, responsable de la politique mondiale à WEDO

Propos recueillis le 6 juin 2023 par Focus 2030.

Focus 2030 : Le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial vise à trouver des solutions de financement pour répondre aux défis liés à la pauvreté et aux changements climatiques, en mettant l’accent sur les pays vulnérables. WEDO travaille depuis plus de 20 ans sur les liens entre la justice climatique et l’égalité de genre : pourriez-vous nous expliquer dans quelle mesure les femmes sont confrontées à de plus grandes difficultés que les hommes en matière de changements climatiques et de pauvreté, en particulier sur le continent africain ?

 

Mwanahamisi Singano : À première vue, étudier la dimension de genre et des changements climatiques, c’est s’intéresser à la manière dont les femmes, les hommes et les minorités sexuelles et de genre vivent différemment les effets du climat et de l’environnement. Toutefois, aborder la crise climatique sous l’angle du genre nous permet également de considérer le pouvoir de manière plus large et de voir les schémas et les structures qui, dans le monde, maintiennent les inégalités systémiques en place. 

Conséquence de la discrimination structurelle et des normes sociales, les femmes, les filles et les minorités sexuelles et de genre sont touchées de manière disproportionnée par le changement climatique. Nous savons, par exemple, que les chaleurs extrêmes et les polluants environnementaux ont des effets dévastateurs sur la santé des personnes enceintes et sur la santé reproductive. Nous savons qu’en raison des normes sociales qui attribuent aux femmes le rôle d’aidantes, les femmes sont plus susceptibles de mourir lors de catastrophes climatiques et assument de manière disproportionnée les tâches de soin aux autres après de tels événements. 

L’année dernière, dans le cadre du «  African Feminist Taskforce  » de la «  Women and Gender Constituency » [le groupe d’intervenants dédié à la participation effective des femmes dans les processus de la CCNUCC], nous avons formulé 27 demandes collectives émanant de femmes et de filles africaines, qui reflètent les réalités auxquelles nous sommes confrontées sur le continent africain. Il s’agit entre autres de l’accès et du contrôle de la propriété foncière par les femmes, du respect de l’agroécologie communautaire, de la mise en place de projets d’énergie renouvelable et propre qui réduisent le fardeau des tâches non rémunérées, et du renforcement de la sécurité des femmes qui défendent l’environnement dans les zones de conflit. 

 


Focus 2030 : WEDO a contribué à inscrire dans l’accord de Paris, lors de la COP21 en 2015, des éléments de langage sur la spécificité de l’expérience des femmes face au changement climatique. Quels sont, selon vous, les meilleurs moyens de s’assurer que les voix des femmes sont prises en compte dans les espaces de décisions liées à l’environnement, au climat et au développement, et comment pouvons-nous nous assurer que ce soit le cas pendant le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial ?

 

Mwanahamisi Singano : Tout d’abord, nous devons reconnaître le droit fondamental des femmes à participer pleinement, de manière égale et significative, à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques liées aux changements climatiques et à l’environnement. Dans les COP de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), par exemple - où la WEDO a historiquement suivi la participation des femmes et dispose de nombreuses données - nous savons que les femmes ne participent pas pleinement, significativement et de manière égale aux négociations sur les changements climatiques. Nous savons également que les progrès ont été inégalement lents et qu’ils ont parfois été marqués par des reculs. 

Pour lutter contre cette inégalité, nous avons besoin d’un engagement et d’une volonté plus marqués de la part des gouvernements et des autres parties prenantes pour que les délégations respectent la parité femmes-hommes. Nous devons également garantir que les femmes occupent les mêmes positions de pouvoir dans toutes les négociations sur le climat, y compris dans les espaces (comme les COP) où les décisions ont le plus de poids. La représentation équitable ne se limite pas au genre, mais englobe également l’origine raciale ou ethnique, la classe sociale, le handicap, l’éducation, l’âge et la géographie, entre autres. 

Ces recommandations peuvent être appliquées à tous les espaces politiques multilatéraux, y compris le sommet. 


Focus 2030 : Selon vous, quelles actions devraient être entreprises pour mobiliser de nouveaux financements en faveur de la justice climatique et de l’égalité de genre à l’échelle mondiale ? Dans quelle mesure pensez-vous que l’Initiative de Bridgetown peut contribuer à faire avancer ces questions ? Comment cet aspect du Sommet peut-il contribuer à la prochaine COP28 ?

 

Mwanahamisi Singano : Notre plaidoyer au sein de la CCNUCC et au-delà est fondé sur la conception du financement du climat comme une obligation pour les pays du Nord de s’acquitter de leur dette climatique historique à l’égard du monde. Il ne s’agit pas d’une question de solidarité, mais d’obligations, y compris juridiques, et de réparations. Dans cette optique, le financement de la lutte contre les changements climatiques devrait également être basé sur les dons ; transformateur en matière de genre ; centré sur les droits humains ; axé sur le financement public et directement disponible, y compris en améliorant l’accès direct des communautés touchées. Plus important encore, les engagements en matière de financement de la lutte contre les changements climatiques doivent aller de pair avec des changements structurels, en alignant les flux financiers sur un monde juste sur le plan climatique et en démantelant l’ordre économique mondial injuste. 

Bridgetown présente des propositions à grande échelle pour une réforme systémique, avec des implications significatives à la fois pour le climat et le développement. Menée par les pays du Sud et les petits États insulaires et adoptant le langage des institutions financières internationales (IFI), l’initiative a ouvert un espace de dialogue sur notre gouvernance économique et financière mondiale dans le contexte de l’urgence climatique et a permis de reconnaître que des changements systémiques majeurs sont nécessaires pour que les pays puissent échapper à leurs crises de la dette, du développement et du climat. 

Dans le même temps, notre analyse féministe de Bridgetown est source de sérieuses préoccupations. L’amalgame établi entre le développement et le climat dans le cadre de Bridgetown risque d’affaiblir l’exigence selon laquelle le financement de la lutte contre le changement climatique doit être "nouveau et additionnel" à l’aide existante, et de nuire à la notion que le financement de la lutte contre le changement climatique est enraciné dans les obligations historiques et actuelles des pays industrialisés. Cette approche encourage le recours excessif au financement privé, ce qui a pour effet de déplacer la responsabilité des biens publics mondiaux vers le secteur privé (plutôt que vers les gouvernements, par exemple par le biais de la fiscalité). Et peut-être plus préoccupant encore, Bridgetown opère complètement en dehors des cadres des accords et structures multilatéraux tels que la CCNUCC et l’Agenda 2030. 

En tant que féministes, nous considérons le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial et la COP28 comme des espaces de discussion autour des changements systémiques requis dans la gouvernance économique, financière et climatique mondiale, dans une démarche qui s’attaque aux causes profondes de la crise de la dette et du sous-financement des services publics et de la protection sociale. 

 

  • Cet entretien a été traduit par Focus 2030 depuis l’anglais. Se référer à ce lien pour le consulter en version originale.
     
  • Les opinions exprimées dans cet entretien sont celles de Mwanahamisi Singano et ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

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