Publié le 29 septembre 2023 dans Actualités , Décryptages
Les 18 et 19 septembre 2023, un Sommet sur les Objectifs de développement durable se tiendra à New York, en marge de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies. De nombreux dirigeant·e·s d’États, de gouvernements, d’organisations internationales, de la société civile et du secteur privé seront invités à discuter des solutions à mettre en place et à prendre des engagements pour accélérer la mise en oeuvre des ODD d’ici 2030 Afin de décrypter les enjeux de ce Sommet, Focus 2030 a réalisé une série d’entretiens avec des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. Découvrez le dossier spécial sur le Sommet, ainsi que l’ensemble des autres entretiens avec des expert·e·s, personnalités et acteurs de la solidarité internationale en amont de l’évènement. |
Propos recueillis le 27 septembre 2023 par Focus 2030.
Focus 2030 : L’Institut du Genre en Géopolitique a participé à la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies qui s’est tenue du 19 au 26 septembre 2026 à New York dans le contexte de la revue à mi-parcours des Objectifs de développement durable. Quel bilan dressez-vous de cette session du point de vue de l’égalité de genre ? Quels thèmes ont occupé les débats ? Où en est l’Objectif 5 dédié à l’égalité des sexes ?
Institut du Genre en Géopolitique : Selon les dernières estimations d’ONU Femmes France en 2023, il faudra 300 ans pour atteindre l’égalité femmes-hommes dans le monde. Trois siècles sont donc encore nécessaires pour réaliser l’Objectif de développement durable n°5 sur l’égalité des genres, alors même que les États, le secteur privé et les ONG se sont engagés à rendre nos sociétés égalitaires d’ici 2030. Une étude menée par Equal Measures 2030 a démontré qu’au rythme actuel seuls 15% des ODD seront atteints d’ici 2030, alors que 73% des cibles des ODD dépendent directement ou de manière significative de l’égalité des genres.
C’est donc un bilan préoccupant pour les droits des femmes et des filles dans le monde qui devrait être un sujet incontournable à la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies. Pourtant les représentants de pays ont peu évoqué l’égalité des genres lors de leurs propos introductifs, témoignant de leur faible mobilisation sur le sujet et d’un manque de priorisation par rapport à d’autres enjeux considérées comme plus importants. La portée transversale de l’égalité des genres n’a pas été appliquée, au contraire, les droits des femmes sont principalement abordés lors de déclarations au cours d’événements thématiques dédiés au sujet.
Concernant les principaux enjeux évoqués, on retrouve dans certains discours notamment celui du numérique comme lieu de violences et de discriminations envers les femmes, l’Agenda Femmes, Paix et Sécurité et la place et le rôle des femmes pour le développement durable qui ne doit laisser personne pour compte.
À l’inverse, le sujet des femmes et des filles dans les migrations, la jeunesse, les droits sexuels et reproductifs et bien d’autres priorités thématiques n’ont pas été mentionnées, ce qui est décevant. Pire, des positions hostiles aux enjeux LGBTI+ ont été assumées.
Focus 2030 : La revue à mi-parcours du Forum génération égalité, organisée par ONU Femmes avec le soutien des gouvernements de la Tanzanie et de l’Islande, a examiné les engagements pris dans le cadre de cette rencontre internationale qui s’est tenue à Mexico et Paris en 2021. Quelles sont les principales conclusions de ce bilan et quelles sont les étapes à venir ? Comment la jeunesse peut-elle contribuer de manière significative à de tels processus multilatéraux ?
Institut du Genre en Géopolitique : Les principales conclusions de la revue à mi-parcours du Forum Génération Égalité (FGE) exposent un bilan plutôt positif. D’après les chiffres exposés lors de l’évènement, le FGE a permis la mise en œuvre de 849 politiques, de 2 306 programmes et de 3 649 initiatives de plaidoyer. Le FGE assume également sa portée transformative et disruptive : 83 % des engagements intègrent une perspective intersectionnelle, 72 % remettent explicitement en question les dynamiques de pouvoir, 89 % des engagements soutiennent les communautés marginalisées. Cette volonté d’intersectionnalité a également été affichée par l’intervention de Maria Sjodin, directrice exécutive d’Outright International, organisation internationale qui défend les droits des personnes LGBT et des personnes séropositives.
Il existe certes des priorités divergentes entre les partis prenantes telles que la santé mentale, l’écart salarial entre les femmes et les hommes, le numérique, mais on retrouve une base commune à travers la lutte contre les violences basées sur le genre placée comme priorité, le besoin général de plus de données identifié et la reconnaissance d’un recul des droits des femmes dans le monde. Dans ce cadre, la France a annoncé un engagement de 250 millions d’euros sur cinq ans qui seront investis dans le cadre du Fond de soutien aux organisations féministes (FSOF).
Deux panels étaient dédiés à la jeunesse rassemblant des militantes porteuses d’engagement au Forum Génération Égalité : elles ont reconnu l’effort d’inclusion de la jeunesse mais ont déploré l’absence de participation concrète de la jeunesse dans le système onusien, y compris dans le cadre du Forum Génération Égalité. La jeunesse dénonce le ‘tokenisme’ (la présence de jeunes pour la forme) et demandent plus qu’une fonction consultative pour disposer d’un réel pouvoir de décision et d’influence à l’instar des autres acteurs onusiens. Ce manque de prise en compte de la parole des jeunes se reflète dans les chiffres présentés par les organisateurs du Forum : seulement 10 % des engagements financiers promis sont destinés au soutien des filles adolescentes et des organisations dirigées par des jeunes.
Les jeunes féministes du Forum Génération Égalité ont présenté leurs recommandations pour un cadre de redevabilité plus adapté aux jeunes porteur·euses de la jeunesse, demandant des financements pour pouvoir prendre part aux événements de rencontre officiels et avoir des réunions avec des bailleurs de fonds et des organisations de la société civile ; créer des informations adaptées aux jeunes et un espace pour les jeunes leaders des coalitions d’action ; suivre la mise en œuvre de l’engagement significatif des jeunes ; discuter ouvertement de l’expérience des jeunes dans des espaces de haut niveau ; créer de la flexibilité en prenant en compte les réalités et les défis des jeunes (voyager en tant que personnes mineures, la temporalité des événements, les moyens pour se déplacer..).
Enfin, le point de mi-parcours a marqué la passation du leadership du Forum du Mexique et de la France, à la Tanzanie et l’Islande. Þórdís Kolbrún Reykfjörð Gylfadóttir, Ministre des affaires étrangères d’Islande, fait d’ailleurs partie des rares représentantes qui ai proclamé son soutien à l’égalité des genres, et son regret de constater un recul des droits des femmes en Afghanistan et des positions lgbtiphobe au sein de l’ONU lors de son discours introductif à l’Assemblée générale des Nations unies. La relève pour la deuxième moitié du temps d’actions du Forum Génération Égalité semble assurée.
Focus 2030 : À l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies, vingt pays, dont la France, représentés par leur ministre des affaires étrangères se sont regroupés au sein d’un réseau dénommé "Feminist Foreign Policy +" et se sont accordées autour d’une déclaration commune pour renforcer leur engagement en faveur de l’égalité de genre dans le monde dans leur politique étrangère. Dans quelle mesure ce regroupement constitue-t-il une avancée selon vous ? Qu’attendez-vous plus spécifiquement de la France en la matière à l’heure où se définit la nouvelle stratégie internationale pour l’égalité femmes-hommes ?
Institut du Genre en Géopolitique : Ce regroupement de vingt pays au sein de "Feminist Foreign Policy +", dont quatorze qui ont une politique étrangère féministe, est un progrès au vu du recul des droits des femmes dans le monde et la montée de groupes conservateurs anti-droits organisés à l’échelle mondiale. Pour les pays de ce groupe qui n’ont pas encore de politique étrangère féministe, cela envois un message fort aux autres pays non parties prenantes de "Feminist Foreign Policy +", les droits des femmes doivent être considérés comme une priorité et une condition pour construire un avenir où nos sociétés sont égalitaires, démocratiques, respectueuses des droits humains, justes et durables.
Ce groupe permet de créer un contre-pouvoir positif et de prioriser l’approche féministe, fondée sur les droits humains, dans les relations entre pays et des enjeux mondiaux. En outre, ces vingt pays ont reconnu la nécessité d’adopter une approche intersectionnelle et transversale dans la mise en oeuvre d’une politique étrangère féministe efficace. Cela participe à un vrai effort de cohésion malgré l’hétérogénéité des pratiques, définitions et mise en oeuvre des différentes politiques étrangères féministes qui existent aujourd’hui.
Un autre consensus important est à souligner. Il a été reconnu qu’une politique étrangère féministe est cruciale à l’atteinte des Objectifs de développement durable. C’est une prise de position forte qu’il faudra mettre en place de manière concrète. Sur ce même sujet, ONU Femmes a publié une déclaration et l’Institut du Genre en Géopolitique a réalisé un rapport en mars 2023 intitulé La politique étrangère féministe pour atteindre les objectifs de développement durable.
Concernant la France de manière plus spécifique, elle travaille actuellement à la définition de sa politique étrangère féministe et à sa nouvelle stratégie internationale pour l’égalité des genres, il est donc crucial qu’elle s’aligne sur un ensemble de concepts et d’approches constitutives des politiques étrangères féministes existantes afin qu’elle soit exemplaire et participe pleinement à cette coalition de pays qui s’engagent sur la scène internationale pour la défense des droits des femmes.
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