Publié le 8 mars 2023 dans Actualités
À l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, Focus 2030 met en valeur l’action et l’expertise de celles et ceux qui se mobilisent quotidiennement pour l’égalité femmes-hommes dans le monde. Retrouvez notre dossier spécial. |
Focus 2030 : Quel état des lieux dressez-vous sur les droits des femmes dans le monde ?
Fanny Benedetti : Les droits fondamentaux des femmes et des filles sont encore largement bafoués à l’échelle mondiale. Leur liberté à disposer de leur corps est entravée : 102 millions de femmes vivent dans des régions où l’avortement est totalement interdit. Leur éducation est perturbée, ce qui compromet gravement leur avenir : près de 130 millions de filles ne sont pas scolarisées dans le monde et 54 % d’entre elles vivent dans des pays touchés par des conflits. Leur leadership et leur participation à la vie politique et publique est limité : seulement 26,4% des parlementaires dans le monde sont des femmes. Le niveau de violences à leur encontre est alarmant : toutes les 11 minutes, une femme ou une fille est tuée par un membre de sa famille.
À ce rythme, il faudra près de 300 ans pour atteindre l’égalité de genre.
Plusieurs obstacles structurels renforcés par des événements conjoncturels continuent d’entraver les progrès. D’abord, la multiplication et l’intensification des crises mondiales mettent particulièrement en danger la sécurité et les moyens de subsistance des femmes et les impactent de façon disproportionnée dans les zones en proie à des crises, conflits ou des catastrophes naturelles et climatiques. En Afghanistan, les talibans appliquent des mesures qui annihilent leurs droits humains, nient leur existence et mettent en péril leur survie et celle de leurs familles. En Ukraine, un an de guerre a causé un nombre désastreux de morts, de destructions, de déplacements forcés et de privations qui affectent les femmes et les filles de manière considérable. Dans chaque région du monde, les conditions de vie des femmes et des filles sont menacées par un conflit, une guerre, une catastrophe naturelle, une maladie infectieuse ou plus systématiquement par des normes discriminatoires. Ensuite, le backlash est instigué par des mouvements conservateurs de plus en plus organisés et financés. Enfin, les financements ne sont pas à la hauteur de l’urgence, de l’ampleur et de la gravité de ce que vivent les femmes et les filles dans le monde.
Face à ce constat, ONU Femmes s’emploie chaque jour à faire de l’égalité de genre une réalité. Des avancées notables dans de nombreux pays composent aussi l’état des lieux des droits humains dans le monde. Au cours de ses 12 années d’existence, ONU Femmes a obtenu des résultats significatifs en aidant les pouvoirs publics dans plus de 110 États à renforcer les normes et standards internationaux, à traduire ces normes en un changement réel dans la vie des femmes et des filles et à renforcer la cohérence et l’impact du travail de l’ONU sur l’égalité de genre et la condition des femmes. Par exemple, au cours des 20 dernières années, des progrès considérables ont été réalisés dans l’accès à l’éducation et à l’apprentissage des filles et des femmes. Les données d’ONU Femmes montrent une augmentation lente mais régulière du nombre de pays comptant des femmes chefs d’État ou de gouvernement (vingt-deux pays à date), ainsi que la part mondiale de femmes ministres (autour de 22 % à date) et parlementaires (autour de 26 %). Il nous faut aujourd’hui reprendre et accélérer les progrès de cette nature partout dans le monde.
Focus 2030 : La 67ème session de la Commission de la condition de la femme s’ouvre ce 6 mars 2023 à New York avec pour thème principal « L’innovation, le changement technologique et l’éducation à l’ère du numérique pour réaliser l’égalité de genre et autonomiser toutes les femmes et les filles ». Les progrès technologiques peuvent être un levier pour l’atteinte des ODD et de l’Agenda 2030, comment s’assurer qu’ils prennent en compte les besoins spécifiques des femmes, qu’ils soient un outil d’émancipation et non un facteur de renforcement des inégalités existantes (fracture numérique, violences en ligne, IA inclusive, lutte contre la désinformation, éducation en ligne, etc.) ? Quels seront les grands enjeux débattus autour du thème prioritaire de la CSW67 ?
Fanny Benedetti : Malgré le vaste potentiel du digital, les inégalités de genre dans l’espace hors ligne se reproduisent, se perpétuent et sont exacerbées dans l’espace en ligne. Les normes discriminatoires empêchent les femmes et les filles de bénéficier pleinement, également et sûrement de la transition numérique. Il est impératif d’adresser des facteurs clés tels que l’accès à l’électricité, les coûts du digital, l’apprentissage des compétences numériques, la sécurité, la confidentialité et la vie privée en ligne ou encore les stéréotypes de genre qui freinent l’accès et l’attractivité du digital auprès des femmes et des filles.
Pour répondre à ces enjeux, nous avons globalement besoin de développer des technologies et une innovation au service de l’égalité femmes-hommes. Pour cela, il nous faut combler les disparités en matière d’accès et de compétences numériques. Depuis 2019, les résultats en la matière se sont améliorés mais la différence en chiffres absolus entre le nombre d’hommes et de femmes actifs·ves en ligne a en fait augmenté de 20 millions.
Il nous faut également appuyer l’éducation et l’emploi des filles et des femmes dans les domaines scientifiques, technologiques, d’ingénierie et mathématiques. L’objectif est de remédier à leur sous-représentation dans ces filières et dans ces carrières car elles sont seulement 28 % des diplômé·e·s en ingénierie et moins d’un tiers des effectifs du secteur technologique dans le monde. Dans cette perspective, repérer et éliminer les stéréotypes de genre, en particulier sur le prétendu manque de disposition et d’intérêt des filles, est incontournable.
Il nous faut aussi effectivement créer des technologies qui répondent aux besoins des femmes et des filles. La création de technologies plus inclusives et moins biaisées commence par des processus de conception et de réglementation axés sur les droits humains. Une analyse globale de 133 systèmes d’IA, entre 1988 et aujourd’hui, a révélé que 44 % de ceux-ci présentaient des préjugés sexospécifiques, et 26 %, à la fois des préjugés de genre et racistes. Seules 22% des employé·e·s dans la filière Intelligence artificielle sont des femmes.
Une dernière priorité est incontestablement de lutter contre les violences en ligne d’autant plus que leurs effets se poursuivent lorsque les femmes se déconnectent. Il s’agit d’un continuum qui les contraint à l’auto-censure et au retrait des plateformes au détriment du mouvement, de l’expression des femmes en ligne et de leur capacité à participer aux activités virtuelles. Dans l’Union européenne, 1 femme sur 10 indique avoir subi du cyberharcèlement depuis l’âge de 15 ans.
Par conséquent, la CSW a pour objectif de tirer parti de la transition numérique pour donner aux femmes et aux filles les moyens de jouir de l’égalité, de leurs droits, d’acquérir les compétences nécessaires à la participation aux processus d’innovation et de façonner les valeurs et les principes contribuant à une utilisation sûre et équitable des technologies.
Focus 2030 : Un sommet sur les ODD se tiendra les 19 et 20 septembre 2023, à mi-parcours de la mise en œuvre des Objectifs de développement durable des Nations unies adoptés en 2015, quelles sont les actions attendues en faveur de l’atteinte de l’ODD 5 pour l’égalité femmes-hommes de la part des États membres et du système multilatéral ?
Fanny Benedetti : Les financements actuels ne suivent pas le rythme croissant des crises mondiales et des réactions hostiles envers les droits des femmes. Ils restent erratiques et insuffisants, compte tenu de la dimension des défis auxquels nous sommes confrontées. Seulement 4,6% de l’aide publique au développement (APD) bilatérale allouable est consacrée à des programmes dont l’égalité de genre est l’objectif principal en 2020, ce qui compromet sérieusement les perspectives d’un réel changement. Il nous faut désormais financer des changements significatifs, transformateurs et durables dans la vie des femmes et des filles - dans toute leur diversité - du monde entier. C’est le mandat d’ONU Femmes, l’agence avec un mandat des plus urgents et ambitieux, mais à ce jour la moins dotée du système des Nations Unies, en revanche. Alors pour mobiliser davantage d’acteur·ice·s du changement en ce sens, ONU Femmes a initié en juillet 2021 le Forum Génération Égalité.
Génération Egalité est un mouvement historique, mondial et multipartite composé d’États membres et du système multilatéral. Il porte des engagements ambitieux - financiers, politiques, programmatiques et de plaidoyer - pour concrétiser une feuille de route quinquennale avec des mesures, objectifs, cibles et indicateurs prédéfinis. Ce Plan d’accélération mondial pour l’égalité femmes-hommes vise à : prévenir et éliminer les violences, garantir la justice et les droits économiques, assurer la liberté à disposer de son corps, la santé et les droits sexuels et reproductif, appuyer l’action des femmes en faveur de la justice climatique, développer des technologies et une innovation au service de l’égalité femmes-hommes ainsi que soutenir les mouvements et le leadership féministes.
Depuis le lancement du Forum Génération Égalité, les parties prenantes ont pris plus de 2 500 engagements à ce jour pour faire progresser la pleine réalisation de l’égalité de genre dans le monde. Près de 80% des engagements déclarés sont en cours de mise en œuvre. En revanche, toutes les ressources requises pour pleinement concrétiser leurs engagements n’ont pas encore été confirmées à ce stade. Au moins 5 milliards de dollars (sur les 24 milliards de dollars de ressources déclarées) restent non garantis et le statut d’au moins 2 milliards de dollars reste inconnu. De plus, ce sont des montants encore en deçà des discours, des annonces à hauteur de 40 milliards. La coopération, les partenariats et les investissements dans les programmes d’ONU Femmes et le Forum Génération Égalité sont ainsi essentiels pour corriger le parcours actuel et remettre l’ODD 5 sur la bonne voie.
NB : Les opinions exprimées dans cet entretien sont celles de l’interviewée et ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.
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