Focus 2030
Abonnez-vous à la newsletter  |  fr  |   | 
   

3 questions à Delphine O, Ambassadrice et Secrétaire générale du Forum Génération Égalité

Publié le 8 mars 2023 dans Actualités

À l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, Focus 2030 met en valeur l’action et l’expertise de celles et ceux qui se mobilisent quotidiennement pour l’égalité femmes-hommes dans le monde. Découvrez notre dossier spécial.

 

 

Entretien avec Delphine O, Ambassadrice et Secrétaire Générale du Forum Génération Égalité

Focus 2030 : Organisé par ONU Femmes et co-présidé par les gouvernements de la France et du Mexique en 2021, le Forum Génération Égalité dont vous avez assuré le secrétariat général fut marqué par des innovations, tant sur le format de l’événement que par le caractère inclusif et multipartite des groupes de travail initiés à cette occasion (les « coalitions d’action »), permettant de mettre en avant des pistes d’actions concrètes pour les années à venir pour les droits des femmes. Selon vous, quel en sera l’héritage et que faut-il retenir de ces nouveaux modes d’action ? Quelles premières leçons tirer des engagements pris à cette occasion ?

 

Delphine O : ONU Femmes a publié en septembre dernier, à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies, un premier bilan des engagements pris et de leur réalisation. Ce bilan montre que la plupart des engagements sont en bonne voie, mais qu’il reste encore un long chemin avant de réaliser la feuille de route lancée à Paris en juin 2021 pour le Forum Génération Égalité.

Ces nouveaux modes d’action – des coalitions multi-acteurs, multi-géographies, qui rassemblent des grandes puissances et des petits États, des fondations milliardaires comme des minuscules associations de terrain – sont incontournables aujourd’hui : les États et les institutions ne peuvent tout faire, et sans une coopération avec les autres acteurs de la société, nous n’avançons pas assez vite.

Mais ces coalitions sont aussi des organisations ad hoc, avec un leadership horizontal, qui peuvent être moins efficaces ou moins rapides dans la mise en œuvre des engagements, que des États.

Il est encore tôt pour parler de l’héritage du Forum Génération Egalité, moins de deux ans se sont écoulés depuis. Mais il est indubitable que ce type d’événement est utile pour re-mobiliser la communauté internationale en invitant les parties prenantes à prendre des engagements chiffrés, limités dans le temps, et soumis à redevabilité – qui ne sont pas que de belles paroles creuses. À mes yeux, le Forum sera un succès s’il est renouvelé à intervalles réguliers, tous les 5 ans par exemple, afin de recruter de nouveaux partenaires et de remobiliser des financements régulièrement.

 


Focus 2030 : La France porte une « diplomatie féministe » depuis 2018, politique prenant en compte les enjeux d’égalité de genre et la promotion des droits des femmes dans les relations diplomatiques. Selon vous, en quoi cet engagement peut-il faire la différence ? Pourriez-vous expliciter cette orientation et les actions qui prévalent le cas échéant afin d’illustrer ce concept ?

 

Delphine O : La diplomatie féministe constitue un atout essentiel non seulement pour mieux comprendre les enjeux propres à notre monde contemporain, mais aussi pour accélérer la réalisation complète de l’égalité de genre, objectif défini et réaffirmé par la France lors du Forum Génération Egalité. Il s’agit d’adopter un nouveau paradigme en intégrant pleinement la question de l’égalité et de l’émancipation des femmes dans toutes les composantes de notre action extérieure. Cette approche intégrée de l’égalité doit faire la différence sur la scène internationale car il est nécessaire, si ce n’est urgent, de ne plus penser et faire le monde de demain sans les femmes. 

C’est pourquoi la diplomatie féministe française se veut avant tout transversale. En réaffirmant que les droits des femmes sont un élément central des droits humains, tous les grands enjeux internationaux sont concernés et pris en charge par la diplomatie féministe : réduction des inégalités et développement durable ; paix et sécurité ; défense et promotion des droits fondamentaux ; enjeux climatiques, culturels et économiques. 

La France, pays des droits humains, se donne pour objectif de devenir leader dans le combat pour les droits des femmes. Sans égalité de genre, pas de développement des sociétés : l’ODD 5 (égalité de genre) est au cœur de la réalisation de tous les autres ODD (santé, éducation, environnement, élimination de la pauvreté, nutrition…). La France l’a intégrée dans sa Stratégie Droits humains et développement, qui stipule que les « programmes de développement ne sont plus appréhendés uniquement comme une action de solidarité mais également comme un outil de soutien à la mise en œuvre des obligations internationales des États en matière de droits humains », et sa Stratégie internationale pour l’égalité femmes–hommes.

La diplomatie féministe ne se limite pas simplement à un exercice de plaidoyer ou de grandes déclarations. Il faut non seulement transversaliser le genre, mais aussi le prioriser : c’est l’objectif d’un événement mondial comme le Forum Génération Egalité, où plus de 40 milliards de dollars ont été mobilisés pour faire avancer les droits des femmes, avec plus de 70 États, des centaines d’ONG, des entreprises, etc.

La diplomatie féministe française agit au niveau multilatéral mais aussi bilatéral, en mettant en œuvre des programmes de terrain, plus ciblés, avec un impact direct pour les filles et les femmes concernées. Pour ne prendre qu’un exemple, le Fonds de Soutien aux Organisations Féministes (FSOF) lancé en 2020, ambitionne de réduire les inégalités de genre en apportant un soutien financier, technique et administratif aux organisations et mouvements féministes de la société civile. Ce fonds répond à une demande formulée par la société civile de longue date : mieux financer les organisations féministes de terrain, qu’elles agissent pour lutter contre les violences, pour préserver la planète, pour faire entendre la voix des femmes dans les conflits, etc. Par un mécanisme de concertation et de coopération horizontale, le FSOF soutient les défenseures des droits des femmes, contribue à porter les luttes féministes et à amplifier leur voix.

 


Focus 2030 : À l’échelle du monde, le soutien aux droits des femmes semble se polariser : tandis qu’on observe de nombreux reculs ou un phénomène dit de « backlash » sur les droits des femmes dans certains pays (Iran, Afghanistan, Roe vs. Wade aux États-Unis, Pologne…), des pays adoptent parallèlement des politiques publiques ambitieuses à l’échelle nationale et/ou internationale (diplomatie féministe, aide au développement en faveur de l’égalité de genre…). Dans un monde à deux vitesses, quel positionnement adopter et quelles pourraient être les mesures les plus pertinentes à mettre en œuvre ?

 

Delphine O : Le phénomène du « backlash », et en miroir, l’émergence de diplomaties féministes qui font de l’égalité de genre une priorité affichée de leur politique extérieure, nous rappelle une vérité : la liberté des femmes, et plus particulièrement la liberté des femmes à disposer de leur corps, est au cœur d’une opposition, pour ne pas dire un combat, entre forces progressistes et mouvements réactionnaires puissants. 

Ce backlash n’est pas nouveau, il est concomitant à toutes les avancées féministes. Il nous donne donc un indice : nous sommes sur la bonne voie. Contre la résurgence de mouvements ultraconservateurs et anti-droits, nous devons reprendre du terrain, ne pas laisser le champ libre aux « anti-droits » et assumer notre propre credo : les droits des femmes ne sont pas négociables. Nous devons aussi sortir d’un cadre exclusivement onusien – qui est toujours nécessaire puisqu’il demeure le seul lieu de négociations et de discussions légitimes entre Etats – et inter-gouvernemental et construire de nouvelles alliances : en coopérant avec d’autres acteurs de la société civile, d’ONG et du secteur privé, nous pouvons mener efficacement, main dans la main, cette bataille culturelle et politique pour les droits des femmes. 

Nous développons cette coopération notamment grâce au FSOF, mais aussi par le soutien personnel de la France aux défenseur.e.s de droits humains. L’initiative Marianne, lancée par le président de la République en 2022, s’inscrit dans cette dynamique de mieux protéger ces activistes luttant pour les droits humains dans le monde, ces derniers étant plus que jamais menacés avec la montée des puissances autoritaires et de la répression. L’initiative est triple : soutien sur le terrain ; accueil sur le territoire français d’une promotion annuelle d’une quinzaine de lauréats en danger ; fédération des acteurs au sein d’une association Marianne. Cette initiative, à la fois pratique et symbolique, montre comment la France peut jouer un rôle pivot dans la constitution d’un réseau international féministe. Pour gagner la bataille, il faut donc continuer à mener le combat diplomatique et juridique au niveau international, et en parallèle, soutenir et renforcer les associations féministes de terrain, qui partout dans le monde sont en première ligne face à des gouvernements répressifs ou autoritaires. 

Toutefois, la France sait qu’elle n’est pas seule. De plus en plus d’États se dotent d’une diplomatie féministe et/ou portent haut l’égalité de genre dans leurs priorités. 

Pour mobiliser plus largement, il faut d’une part développer de nouvelles coalitions géographiques, notamment avec les pays du Sud global ; et d’autre part renforcer au sein de l’Union Européenne et au-delà les avancées les plus progressistes et significatives en termes de droits des femmes.

La France porte ainsi un véritable plaidoyer politique pour la ratification et l’universalisation de la Convention d’Istanbul, convention la plus juridiquement contraignante et innovante dans la lutte contre les violences à l’égard des femmes. En somme, il faut créer des coalitions et des alliances partout où cela est possible, à géographies variables, pour faire avancer concrètement les droits. 

NB : Les opinions exprimées dans cet entretien sont celles de l’interviewée et ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.


Consultez ce lien pour découvrir le dossier droits des femmes de Focus 2030 dans son intégralité.