Publié le 25 février 2021 dans Actualités
À la veille du Forum Génération Égalité, Focus 2030 et Women Deliver ont mené un sondage inédit interrogeant 17 160 adultes représentatifs de la population de 17 pays pour saisir leurs opinions et expériences des inégalités de genre : « Les aspirations citoyennes en faveur de l’égalité femmes-hommes : une volonté de changement ». Cette étude a été conçue de manière à fournir à tous les acteurs - gouvernementaux, parlementaires, associatifs et médiatiques - un éclairage inédit sur les attitudes et les perceptions du public, afin d’identifier des actions prioritaires susceptibles d’inspirer des engagements ambitieux en faveur de l’égalité entre les sexes à l’occasion du Forum.
Entretien avec Cécile Duflot, Directrice générale d’Oxfam France
Focus 2030 : Oxfam France et son réseau international participent à la mobilisation de la société civile en vue du Forum Génération Égalité qui se tiendra au Mexique puis en France cette année. Pouvez-vous détailler ce qu’Oxfam attend de ce Forum, le premier de ce type depuis 26 ans et les actions que vous envisagez de mener dans ce cadre ?
Cécile Duflot : Avant que cette pandémie mondiale ne frappe notre planète, nous nous préparions à ce grand rendez-vous international qui devait célébrer les avancées en matière de droits des femmes depuis la conférence de Pékin de 1995. Ce sommet international avait en effet marqué un tournant décisif au sein de la communauté internationale en faveur de la reconnaissance des droits des femmes comme droits fondamentaux.
Mais nous étions également préparé·e·s à un moment de remobilisation générale des communautés féministes à travers le monde car le chemin vers l’égalité est encore long ! Partout dans le monde, les femmes sont victimes de violences sexistes et sexuelles parce qu’elles sont des femmes, sont injustement rémunérées et travaillent dans des conditions indécentes, parce qu’elles sont des femmes, portent de façon disproportionnée le poids des tâches domestiques, parce qu’elles sont des femmes, ou n’ont pas la même chance d’avoir accès à la santé ou à l’éducation parce qu’elles sont des femmes. Avant la crise sanitaire, selon les données du Forum Économique Mondial, les femmes ne connaîtraient pas l’égalité avant un siècle.
Le Forum Génération Égalité s’inscrit désormais dans un contexte encore plus particulier : la crise a eu un effet démultiplicateur des inégalités existantes, et en particulier les inégalités de genre. Elle est venue mettre en danger les progrès réalisés au cours des dernières décennies en faveur de l’égalité femmes-hommes selon l’ONU. Plus que jamais les gouvernements doivent placer les femmes au cœur de la réponse et de la reconstruction face à la crise du coronavirus pour créer un monde plus égalitaire et durable. C’est ce message qu’Oxfam souhaite porter lors du Forum.
Le travail d’Oxfam dans la lutte contre les inégalités est particulièrement reconnu et c’est ce qui fonde sa différence et sa plus-value en tant qu’actrice de la société civile. Nous dénonçons les inégalités économiques, fiscales, environnementales, de droits et de voix, ainsi que les inégalités de genre et c’est autour de cette question que nous souhaitons mobiliser et fédérer plus largement.
Oxfam croit fermement au “pouvoir citoyen”, et souhaite prendre activement part au Forum Génération Egalité pour dénoncer les inégalités dont les femmes sont les premières victimes, et pour cela, nous mènerons des actions de sensibilisation et de mobilisation pour fédérer le plus de citoyen·ne·s ! Nous allons sans doute devoir réinventer nos formes de mobilisation compte-tenu du contexte sanitaire. Mais l’objectif est clair : faire monter la pression pour que les femmes et les filles n’aient pas à attendre plus d’un siècle pour connaître l’égalité !
Focus 2030 : La pandémie de Covid-19 a largement creusé les inégalités, comme votre organisation l’a largement documenté. Parallèlement, l’enquête menée par Focus 2030 et Women Deliver dévoile également que, dans 13 des 17 pays sondés, les femmes sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes à déclarer avoir subi davantage de stress émotionnel ou de problèmes psychologiques durant cette période. La pandémie de Covid-19 pourrait-elle menacer les progrès en matière d’égalité femmes-hommes et quelles seraient les mesures à mettre en œuvre pour y remédier selon vous ?
Cécile Duflot : En effet, c’est le constat que nous avons dressé dès ce début d’année à travers
notre rapport sur les inégalités, intitulé cette année « Le virus des inégalités » : la pandémie du COVID-19 entraîne pour la première fois dans l’histoire l’aggravation des inégalités dans la quasi-totalité des pays de façon simultanée. Les 1 000 milliardaires les plus fortuné·e·s, en majorité des hommes blancs, ont retrouvé le niveau de richesse qui était le leur avant la pandémie en seulement neuf mois, alors qu’il faudra plus de dix ans aux personnes les plus pauvres pour se relever des impacts économiques du coronavirus. Les femmes sont surreprésentées dans les secteurs de l’économie les plus durement touchés par la pandémie. La pandémie a poussé de manière disproportionnée les femmes dans le chômage et la précarité du fait de l’arrêt brutal de l’économie et des mesures de distanciation sociale dans un monde où 740 millions de femmes dans le monde travaillent dans l’économie informelle, avec peu ou pas de système de protection sociale.
Comme cela a souvent été rappelé, les femmes ont également contribué à faire tourner le monde pendant la crise du coronavirus en endossant de façon disproportionnée, une fois encore, la charge du travail dit du « care ». Rappelons à nouveau que les femmes représentent 70% des agents de santé et d’aide sociale, professions en première ligne et les plus exposées au virus, mais depuis longtemps dévalorisées et injustement rémunérées. Les tâches domestiques au sein des foyers ont pesé plus fortement sur les femmes. Une étude récente démontre d’ailleurs que le télétravail, en gommant les frontières entre vie domestique et vie professionnelle, frappe plus fortement les femmes. Leur travail est davantage « dégradé » - elles ont plus de risques d’être interrompues par les enfants que les hommes, sont moins nombreuses à disposer de bonne condition de travail – risquant d’aggraver durablement les inégalités entre les femmes et les hommes au sein des entreprises.
Nous sommes donc à un moment décisif : allons-nous laisser la pandémie menacer les progrès réalisés depuis la conférence de Pékin et laisser prospérer les profondes inégalités entre les femmes et les hommes ? Ou allons-nous saisir l’occasion de cette crise pour reconstruire sur de nouvelles bases, des bases féministes ? C’est cette question que nous poserons aux dirigeants du monde entier réunis à Mexico en mars, puis à Paris en juin prochain. Les inégalités ne sont pas une fatalité, mais des choix.
Partout dans le monde des femmes se mobilisent. En juillet dernier 340 féministes africaines ont lancé un appel pour que les Etats africains adoptent une réponse féministe à la crise engendrée par le coronavirus.
Des solutions existent pour lutter contre notre système économique sexiste et injuste : proscrire les mesures d’austérité brutales et non durables qui impactent plus fortement les femmes et investir dans des services publics de qualité, tels que la santé et l’éducation, et la protection sociale, puissants correcteurs des inégalités ; mais également revaloriser la rémunération des métiers à prédominance féminine, mettre en place des politiques publiques qui déchargent les femmes du travail domestique et lutter contre les inégalités salariales et la sous-représentation des femmes dans les sphères de pouvoir.
Focus 2030 : Par ailleurs, notre étude nous apprend également qu’en moyenne 58 % des répondant·e·s, tous pays confondus, espèrent que leurs gouvernements saisiront l’opportunité du Forum Génération Égalité pour augmenter le financement de projets internationaux en faveur de l’égalité des sexes. En quoi cette aspiration citoyenne reflète-elle les priorités des organisations de la société civile telles que la vôtre ? Quelles sont plus précisément les attentes d’Oxfam en la matière ?
Cécile Duflot : Aucun pays n’a atteint l’égalité entre les femmes et les hommes, néanmoins les inégalités sont plus criantes dans certaines régions du monde. Le Forum Génération Egalité est l’occasion de remobiliser la communauté internationale en faveur de la lutte contre les inégalités femmes-hommes dans les pays les plus pauvres dans ce contexte de pandémie mondiale. Car le risque est grand. C’est aussi l’occasion pour la France de concrétiser sa fameuse “diplomatie féministe”. A l’instar de la lutte contre les dérèglements climatiques, les beaux discours et les exercices de communication ne suffisent pas. La France a pris des positions fortes devant les Nations Unies pour faire des inégalités entre les femmes et les hommes une « grande cause mondiale », et nous saluons ce leadership international.
Néanmoins, la France figure toujours parmi les mauvais élèves de l’OCDE en termes de financements d’aide internationale en faveur de l’égalité de genre. Lors de l’examen de la future loi contre les inégalités mondiales devant renouveler les grandes orientations de la politique de développement française, les député·e·s ont d’ailleurs poussé la France à faire plus en la matière. La France a pris des initiatives intéressantes ces dernières années, telles que la création d’un fonds de soutien pour les organisations féministes des pays en développement, ces initiatives sont à concrétiser et amplifier. Les associations et mouvements féministes des pays en développement, en première ligne des combats pour faire avancer les droits de femmes, n’ont pas suffisamment accès aux financements de la solidarité internationale. Le Forum Génération Egalité ne sera pas un succès sans ces actrices clés du combat féministe. Elles doivent être autour de la table, entendues et soutenues, c’est aussi l’un des principaux messages que la confédération Oxfam souhaite porter. Car nous sommes convaincu·e·s que le futur sera féministe ou ne sera pas !
« En moyenne dans 13 des 17 pays, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à avoir éprouvé davantage de « stress émotionnel ou de problèmes de santé mentale » (37 % des répondantes femmes contre 27 % des répondants hommes). Ce niveau de stress est particulièrement marqué chez les répondants âgés de 18 à 44 ans, tandis qu’il décroît très nettement chez les répondants âgés de 60 ans et plus, sauf en Inde, au Kenya et aux États-Unis. »
Retrouver plus de détails page 80 du rapport
« À l’approche du Forum Génération Égalité, les répondantes et répondants ont été interrogés sur leur soutien en faveur d’une augmentation du financement de la part de leurs gouvernements pour parvenir à l’égalité entre les sexes. Dans les 17 pays sondés, une majorité de personnes interrogées, en moyenne 61 % tous pays confondus, espère que leurs gouvernements saisiront l’opportunité du Forum pour augmenter le financement en faveur de l’égalité des sexes, que ce soit au niveau national ou international. En détail, entre 8 % et 34 % des personnes interrogées ne sont « ni d’accord ni pas d’accord ». Qu’il s’agisse de prendre des mesures au niveau national ou de financer des projets internationaux pour encourager l’égalité entre les femmes et les hommes à l’échelle de la planète, les personnes de toutes les catégories socio-démographiques attendent des actes concrets de la part de leurs gouvernements à l’occasion du Forum Génération Égalité. »
Retrouver plus de détails page 99 du rapport