Publié le 8 mars 2023 dans Actualités
À l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, Focus 2030 met en valeur l’action et l’expertise de celles et ceux qui se mobilisent quotidiennement pour l’égalité femmes-hommes dans le monde. Découvrez notre dossier spécial. |
Focus 2030 : La pandémie de Covid-19 a provoqué des reculs en matière d’accès à la santé partout dans le monde. Trois ans après, quel bilan peut-on dresser des conséquences en cascade de cette crise sanitaire sur l’état de la santé des femmes ?
Bruno Rivalan : La pandémie a en effet eu, au-delà des décès directement causés par le virus, des conséquences catastrophiques sur la santé des femmes. Dès les premiers jours de la pandémie, le Global Financial Facility (GFF) tirait déjà la sonnette d’alarme sur les dommages collatéraux subis par les femmes et les filles du fait de la crise. Les alertes venant de nos pays partenaires et les études que nous avons menées ont notamment permis de mesurer l’impact du Covid-19 sur l’utilisation de services de santé. Nous avons collecté des données provenant d’établissements de soins et réalisé des enquêtes auprès des ménages et pu constater que de nombreux services comme les soins de grossesse, l’accouchement assisté par du personnel qualifié, les consultations de planification familiale et les vaccinations infantiles ont été très sévèrement perturbés. Des enquêtes approfondies sur les services de santé fournis entre mars 2020 et juin 2021 ont été réalisées dans 18 pays, en grande majorité africains, et le constat est terrible :
Ces perturbations ont engendré une hausse de 3,6 % de la mortalité infantile et de 1,5 % de la mortalité maternelle, ce qui représente un très grave recul par rapport aux progrès précédemment réalisés.
Nous avons par ailleurs pu constater un renforcement des inégalités entre les femmes et les hommes : des données issues de récents sondages téléphoniques sur l’impact socio-économique du Covid-19 dans 12 pays soutenus par le GFF ont montré que les ménages dirigés par des femmes devaient davantage renoncer aux soins que ceux dirigés par des hommes. Ce constat nous rappelle qu’il convient de donner une attention particulière aux femmes et aux jeunes filles dans les politiques de développement.
Focus 2030 : Le GFF, Mécanisme de financement mondial pour les femmes, les enfants et les adolescent·e·s, intervient dans 36 pays à revenus faible et intermédiaire depuis 2015, en mobilisant des financements et apportant un soutien technique aux gouvernements pour accélérer les progrès en matière de santé maternelle et infantile. Assistez-vous à un retour à la normale dans vos pays d’intervention, ou au contraire, les conséquences de la pandémie ont-elles eu un impact durable sur les femmes ?
Bruno Rivalan : Il faut tout d’abord avoir en tête que le Covid-19 n’a pas été la seule crise à frapper les pays les plus pauvres et que nous nous inscrivons aujourd’hui dans un contexte de crises multiples. Outre la désorganisation de leur système de soin par la pandémie, dans de nombreux pays les populations doivent aussi faire face à la crise alimentaire et à l’inflation. Les ralentissements de la croissance mondiale pénalisent les économies nationales, notamment dans les pays en développement, et les niveaux de dette élevés les privent de l’espace fiscal nécessaire pour investir dans les services de santé et dans l’éducation, et ainsi protéger les plus vulnérables.
Une récente étude prospective de la Banque mondiale nous indique qu’à la suite des chocs économiques mondiaux provoqués par la pandémie puis par la guerre en Ukraine, les écarts entre les pays quant à leur capacité à investir dans la santé vont se creuser. Dans 41 pays, les dépenses publiques devraient, jusqu’en 2027, rester inférieures à celles d’avant la crise Covid-19. Par ailleurs dans de nombreux pays, l’augmentation des paiements d’intérêts sur la dette publique menace encore un peu plus leur capacité à investir dans la santé : avec des niveaux d’endettement qui atteignent des sommets et des taux d’intérêt qui augmentent pour contrôler l’inflation, de nombreux gouvernements auront du mal à faire face aux paiements d’intérêts sur la dette publique, ce qui limitera en bout de chaîne leur capacité à mobiliser de la dépense publique pour la santé.
Or nous avons vu qu’avec des systèmes de santé plus faibles, les premières touchées sont les femmes et les enfants qu’elles élèvent, ce qui met dangereusement en péril le capital humain et les potentialités de développement de ces pays.
Focus 2030 : Quelles pourraient être les mesures à adopter et les besoins - notamment financiers - pour repartir sur de bonnes bases ? Quelles actions le GFF entend mener pour y contribuer ?
Bruno Rivalan : Nous avons été créés en 2015 pour faire face aux énormes retards en matière de santé des femmes, des enfants et des adolescent.e.s et force est de constater que les besoins sont toujours immenses, notamment du fait de l’impact des crises que nous venons de mentionner. Nous avons toutefois développé une approche qui a fait ses preuves et qui affiche d’impressionnants résultats, à la fois pour répondre aux crises mais aussi pour assurer la résilience des systèmes et amortir les futurs chocs, et j’aimerais souligner ici 3 éléments de notre stratégie qui me semblent fondamentaux.
Tout d’abord l’importance d’adopter une approche systémique et multisectorielle. Nous ne saurons en effet renforcer l’accès aux soins des femmes et des jeunes filles sans muscler l’ensemble du système de santé et sans avoir une approche intégrée.
En plus du renforcement des ressources humaines en santé ou des chaînes logistiques, nous accordons une attention toute particulière aux réformes juridiques, budgétaires et politiques qui peuvent radicalement changer le quotidien des femmes et des filles, mais aussi aux déterminants sociaux, éducatifs et de genre qui ont une influence importante sur leur accès aux soins. Nous avons par exemple soutenu le gouvernement du Niger dans la réforme son cadre juridique afin de permettre aux adolescentes mariées d’accéder aux services de planification familiale sans nécessiter l’autorisation préalable d’un parent ou d’un mari. Nous avons aussi accompagné la création de « clubs de santé scolaires », en charge de fournir d’une part des programmes d’éducation à la sexualité et d’autre part de l’information dans les classes de collège et lycée, pour promouvoir une éducation complète à la sexualité pour les adolescent·e·s. Au Cameroun, une nouvelle réglementation a été adoptée grâce à notre soutien permettant aux filles enceintes qui sont à l’école primaire ou secondaire de rester à l’école pendant leur grossesse, et leur donnant le droit de demander un congé de maternité à partir de la 26e semaine de grossesse si elles en ont besoin. Ces jeunes filles pourront poursuivre leurs études après l’accouchement sans avoir à fournir de certificat de santé. Ces réformes sont essentielles pour lever certaines des barrières juridiques ou sociales qui entravent leur accès aux soins.
Nous pensons ensuite qu’il est essentiel de s’aligner sur les priorités des gouvernements avec lesquels nous travaillons et c’est pourquoi nous mettons le leadership des pays au cœur de notre stratégie. Nous soutenons donc les plateformes nationales existantes, qui sont dirigées par les gouvernements, et qui réunissent l’ensemble des acteurs de la coopération : autres organisations internationales, société civile, bailleurs bilatéraux, secteur privé, etc. Ils définissent ensemble les besoins, et chacun peut financer les priorités qui ont été identifiées. Des exercices de mapping et de suivi des ressources sont réalisés afin de repérer les gaps mais aussi d’éviter les doublons ou les chevauchements. Cela permet d’assurer une réelle appropriation des politiques de développement par les pays, garante de la pérennité des efforts déployés, une fois que les bailleurs se retirent.
Enfin, dans un contexte de ressources contraintes, nous devons améliorer l’efficacité des financements existants. D’une part la coordination et l’alignement des bailleurs que nous facilitons est gage d’optimisation des financements mais aussi de réduction des coûts et de temps de gestion pour les gouvernements. D’autre part, les subventions du GFF génèrent un très fort effet de levier sur les financements de la Banque mondiale pour la santé des femmes, des enfants et des adolescentes : dans nos pays partenaires, le montant des investissements de l’Association internationale de développement (IDA) consacrés à la santé maternelle, adolescente et infantile ont augmenté de 15 % depuis leur adhésion au GFF. Cela s’est traduit par l’affectation de 1,7 milliard de dollars supplémentaires à ces enjeux, entre 2015 et février 2020, dans les pays que nous soutenons. Ce montant s’ajoute aux 589 millions de dollars alloué par le GFF au cours de la même période. À contrario, dans les pays éligibles mais non encore soutenus par le GFF faute de moyens, la part de l’IDA pour ces sujets a baissé.
Par ailleurs, selon nos dernières données on peut s’attendre à ce qu’une encore plus grande part de l’IDA soit affectée à la santé des femmes, des enfants et des adolescentes dans les années à venir, du fait d’une amélioration de nos performances. En effet, les pays qui se sont associés au GFF et ont commencé à mettre en œuvre leur dossier d’investissement ou les projets de la Banque mondiale plus récemment (au cours des trois dernières années) ont connu une augmentation proportionnelle beaucoup plus importante de l’IDA, avec 35,3 % de plus alloués à la santé des femmes, des enfants et des adolescents depuis leur partenariat avec le GFF, par rapport aux années précédentes. La proportion de l’IDA allouée à ces enjeux est donc plus élevée dans les pays ayant adhéré plus récemment au GFF, ce qui montre l’influence accrue du GFF dans le déblocage des financements de la Banque mondiale.
NB : Les opinions exprimées dans cet entretien sont celles de l’interviewé et ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.
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