Focus 2030
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3 questions à Fabienne Hara, Directrice générale adjointe du Forum de Paris sur la Paix

Publié le 19 septembre 2025 dans Actualités

 

3 questions à Fabienne Hara, Directrice générale adjointe du Forum de Paris sur la Paix

 

Focus 2030  : Depuis 2018, le Forum de Paris sur la paix mobilise une variété d’acteurs, - organisations internationales, société civile, secteur privé - pour « réinventer la diplomatie dans un monde qui change » en identifiant les chaînons manquants de la gouvernance mondiale et ainsi répondre aux nouveaux défis planétaires. La crise que traverse aujourd’hui le multilatéralisme est souvent décrite comme la plus profonde depuis la fin de la guerre froide, marquée notamment par la remise en cause des règles établies par certains pays du « Sud global » et par la tentation d’isolationnisme des États-Unis. Quels en sont, selon vous, ses effets les plus significatifs et dans quelle mesure ces divisions peuvent-elles être surmontées ?

Fabienne Hara : Le système international que nous avons connu depuis 1945 est en train de changer de manière radicale, peut-être de disparaître en partie. Depuis quelques années, on observe une érosion des règles et normes et de la légitimité et crédibilité des institutions internationales, et une augmentation de la conflictualité, certains experts parlant même de « dérégulation de l’usage de la force ». Depuis son invasion de l’Ukraine en 2022, la Russie, s’est retournée contre la Charte des Nations Unies et ses propres responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité, cherchant à s’associer à la puissance de la Chine, et à entraîner les pays émergents et du « Sud Global » dans un mouvement de contestation de l’ordre international libéral de 1945. Mais surtout, et c’est la nouveauté 2025, avec l’élection de Donald Trump, les États-Unis ont aussi décidé que cet ordre et cette économie, dont ils étaient les architectes et garants, ne servait plus leur intérêt, voire servait l’intérêt de leurs adversaires : ils se sont retirés de plusieurs organisations multilatérales, coupé l’aide au développement, assumé de relancer la guerre commerciale. Ils ne veulent plus jouer le rôle des gendarmes du monde, et ont eux-mêmes remis en cause le principe cardinal de souveraineté des États en voulant annexer le Canada ou le Groenland !

Un bon nombre de pays qui ont bénéficié de cet ordre mondial post 1945 - soit en enclenchant une croissance économique importante grâce à la mondialisation (les pays émergents), soit en étant protégés par des mécanismes de solidarité (les pays plus pauvres) ont conscience qu’ils ont beaucoup à perdre des bouleversements de l’ordre international.

Beaucoup de pays sont prêts à continuer à s’organiser pour préserver les normes et les règles qui régulent l’activité internationale, mais aussi pour faire face aux nouveaux défis, notamment la lutte contre le changement climatique et la préservation des biens et espaces communs, la régulation des nouvelles technologies, la prévention des pandémies et des biens publics mondiaux.

La prochaine édition du Forum de Paris sur la Paix, les 29 et 30 octobre, intitulée Nouvelles Coalitions pour la paix, les peuples et la planète, veut rassembler tous ceux qui veulent continuer à dialoguer, coopérer, et vivre dans un monde plus sûr, plus stable, et qui n’est pas livré aux seuls intérêts des puissants. Rejoignez-nous !

 

Focus 2030  : Le Secrétaire général des Nations unies s’apprête à présenter une réforme d’ampleur visant à adapter l’ONU et l’ensemble de ses agences spécialisées à un contexte international marqué par des tensions géopolitiques croissantes et par des contraintes budgétaires sévères. Quelles en seront les grandes orientations stratégiques ? Et quels effets cette réforme pourrait-elle avoir, concrètement, sur la vie des populations et des pays qui dépendent au quotidien de l’action multilatérale — qu’il s’agisse de santé, d’éducation, de climat ou encore de protection des droits humains ?

Fabienne Hara : Pour le moment, il est très difficile de distinguer la vision qui est derrière la réforme « ONU80 », parce que cette réforme se fait sous une énorme contrainte politique et financière et dans une période de crise sans précédent pour l’ONU : d’une part, comme mentionné ci-dessus, certains membres permanents du Conseil de sécurité veulent affaiblir l’ONU, et d’autre part l’organisation fait face à des coupes budgétaires qui pourraient réduire le personnel de 20% et vraisemblablement bien plus, du fait d’arriérés non payés et de la réduction importante des contributions volontaires des États membres. Mais il faut se poser la question : qui est gagnant et qui est perdant dans cette crise ?

Tout le monde s’accorde à dire que la réforme et la révision des mandats est nécessaire, qu’il faut revoir le fonctionnement et la composition du Conseil de sécurité, les mandats redondants de certaines agences de l’ONU, les modèles de développement qui sous-tendent les programmes ; mais il me semble dangereux de tout remettre en cause : d’abord l’ONU continue à agir sur le terrain, à gérer des opérations de maintien de la paix et stabilisation dans les pays en conflit et en situation de catastrophes humanitaires comme en RDC ou au Soudan, à assister les populations vulnérables, à promouvoir les ODD et les droits humains.

Si, sous le feu des critiques, les États membres perdent confiance dans l’organisation, son action aura beaucoup moins d’impact et les populations vulnérables seront encore plus délaissées qu’elles ne le sont actuellement.

Ensuite, les normes restent attractives pour la majorité des puissances émergentes, et des pays membres, et nous devrions absolument les associer de manière inclusive à une réflexion sur l’avenir de l’ONU, avec des pays du Nord, du Sud et du milieu. Il faut identifier les fonctions essentielles de l’ONU : le maintien et la consolidation de la paix dans des terrains très difficiles et fragiles (qui d’autre est capable de le faire avec autant d’expérience ?) mais aussi l’établissement de normes et pratiques de gouvernance. Il faut réformer ensemble le pilier développement durable de l’ONU (dont les résultats ne satisfont plus ni les bailleurs ni les pays en développement).

Enfin, nous n’avons pas de système multilatéral alternatif, et ce n’est pas forcément dans cette période de transition entre les époques et de reconfiguration de puissance qu’on peut inventer un système international stable et complètement nouveau.

 

Focus 2030  : La France s’apprête avec d’autres pays à reconnaître l’État de Palestine en marge de l’Assemblée générale des Nations unies dans un contexte d’intensification du conflit au Proche-Orient. Elle serait la première à engager cette démarche parmi les membres du Conseil de sécurité. Dans quelle mesure cette nouvelle orientation est-elle selon vous susceptible de changer la donne sur le terrain d’une part et plus largement sur la scène internationale ?

Fabienne Hara : 17 pays vont reconnaitre la Palestine le 22 septembre à l’AGNU dont des pays européens et du Commonwealth, dans une séquence et mouvement diplomatique initié par la France en juillet 2025. C’est une décision très importante symboliquement, dans le contexte d’opérations militaires israéliennes extrêmement violentes visant au déplacement massif et négation des droits des Palestiniens à vivre à Gaza ou en Cisjordanie. C’est un mouvement puissant de renforcement du consensus autour de l’existence de l’État Palestinien et d’isolement de ceux qui s’opposent à l’idée. Mais la reconnaissance ne pourra pas à elle seule arrêter la violence sur le terrain ou faire accepter une solution à deux États à toutes les parties et surtout la rendre concrète. Il faudra convaincre les parties en conflit d’accepter un cessez-le-feu, un accord de sécurité régional, la naissance d’institutions palestiniennes viables et pacifiques, la démilitarisation des mouvements extrémistes comme le Hamas qui porte une forte responsabilité dans cette situation, et bien entendu le déploiement d’une mission de stabilisation internationale avec mandat de l’ONU (voilà un cas où l’ONU sera utile !). On est encore très loin du compte…. Et surtout le défi sera de créer un peu de confiance dans l’avenir et la coexistence pour des populations profondément traumatisées, parfois radicalisées, encore otages ou encore sous les bombes.

 

NB : Les opinions exprimées dans cet entretien ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.