Publié le 11 septembre 2025
Focus 2030 : L’édition 2025 du rapport du SDSN, consacrée au financement des ODD à l’horizon 2030, dévoile qu’aucun des 17 Objectifs de développement durable n’est en passe d’être atteint d’ici 2030, et que seulement 17 % des cibles avancent au rythme requis. Quels grands enseignements dressez-vous à cinq ans de l’échéance de l’Agenda 2030 et à la veille de la conférence de haut niveau sur les ODD qui se tiendra en marge de la 80ᵉ Assemblée générale de l’ONU ?
Guillaume Lafortune : Dix ans après leur adoption par l’ensemble des États membres de l’ONU, les ODD demeurent des objectifs pertinents pour atteindre un équilibre entre progrès économique et social et durabilité environnementale et répondre aux grands enjeux du 21ᵉ siècle, notamment en matière de sécurité collective et de partenariats internationaux.
Le principal obstacle à l’atteinte de ces objectifs est le manque de volonté politique de la part de certains des États les plus puissants du monde qui ne souhaitent pas mobiliser les flux de financement, les technologies et la coopération internationale pour le développement durable.
L’accroissement des conflits militaires, des violations flagrantes du droit international par certains États et des actions unilatérales (notamment sur le plan commercial) ont des effets humanitaires et environnementaux directs et détournent l’attention et les ressources vers d’autres sujets que le développement durable.
Il faut prendre acte du fait que l’État fédéral américain s’oppose désormais explicitement aux ODD, en particulier aux objectifs 13 (sur l’action climatique) et 5 (sur l’équilibre femme-homme). Les Etats-Unis d’Amérique font partie des trois pays qui n’ont jamais pris part à la revue nationale volontaire pour les ODD prévue dans le cadre de l’Agenda 2030, y compris sous la précédente administration Biden. Déjà en 2005, sous l’administration Bush, il y avait une volonté de torpiller les Objectifs du millénaire (établis pour la période 2000-2015) en amont du Sommet mondial. Évidemment cela ne reflète en rien l’engagement des corps intermédiaires aux États-Unis, incluant les villes et les universités américaines, en faveur du développement durable et de la coopération internationale.
En même temps, le rapport 2025 souligne également que la grande majorité des pays du monde adhèrent toujours aux ODD, à l’Agenda 2030 et à l’Accord de Paris. A l’échelle nationale il y a des progrès remarquables qui ont été réalisés par certains pays en matière de développement durable depuis dix ans. C’est le cas de pays comme le Bénin (Afrique subsaharienne) et l’Ouzbékistan (Asie centrale) qui font partie des cinq pays dans le monde qui ont le plus progressé vers l’atteinte des ODD. Ces pays ont introduit des cadres d’investissements et de politiques publiques innovants et de long terme orientés vers les ODD. Il y a d’autres bons exemples dont il faut s’inspirer d’ici 2030 et au-delà de 2030 pour accroître les progrès vers le développement durable à l’échelle nationale et internationale.
Focus 2030 : Selon l’index du SDSN, l’engagement multilatéral des nations varie fortement : la Barbade s’illustre ainsi par un investissement sans réserve dans le système onusien quand, a contrario, les Etats-Unis s’en détachent. Dans un contexte de crises multiples et de recul du multilatéralisme, comment repenser l’ONU pour renforcer la coopération internationale et garantir la réalisation des Objectifs de développement durable ?
Guillaume Lafortune : En général, l’ONU ne peut fonctionner que si ses États membres souhaitent effectivement être « unis ». Autrement dit, s’ils adhèrent aux principes de la Charte des Nations unies, qu’ils adoptent et respectent les grands traités internationaux et s’ils acceptent de financer le fonctionnement des agences de l’ONU.
Au SDSN, il nous semble intéressant d’aller au-delà des discours sur le multilatéralisme et le droit international et de fournir une évaluation chiffrée du soutien des États au multilatéralisme onusien. Par rapport à l’Indice ODD qui se concentre sur les résultats, l’Indice du soutien des États au multilatéralisme onusien (UN-Mi) du SDSN se concentre principalement sur la volonté politique d’adhérer et de contribuer à la construction d’un ordre international fondé sur les principes de la Charte de l’ONU de 1945. Depuis 2023, nous évaluons chaque année ce soutien sur la base d’une méthodologie publiée dans la littérature scientifique utilisant six grands indicateurs :
Effectivement, nous estimons qu’en 2025 la Barbade est le pays qui soutient le plus le multilatéralisme onusien. Parmi les grands pays du G20, le Brésil est le pays qui soutient le plus le multilatéralisme onusien. À l’inverse, les Etats-Unis d’Amérique sont tout en bas du classement, 193ᵉ sur 193. Israël est 190ᵉᵉ et des pays comme la Fédération de Russie ou l’Iran sont également dans la partie basse du classement 2025.
La comparaison entre les Etats-Unis et la Chine en matière de soutien au multilatéralisme onusien est frappante. Les Etats-Unis se sont retirés en 2025 de l’accord de Paris, rejettent les ODD et ont tendance aujourd’hui (et dans le passé) à se retirer des organisations internationales en cas de désaccord sur les grandes orientations stratégiques (par exemple à l’UNESCO). La Chine, à l’inverse, a renforcé ses engagements en faveur de l’accord de Paris en 2025, a présenté deux plans d’action sur les ODD à l’ONU et soutient de nombreuses initiatives pour faire avancer la sécurité collective et la coopération internationale. La Chine a largement contribué à faire baisser les coûts des énergies renouvelables dans le monde. La Chine a ratifié les trois quarts des grands traités internationaux. Les Etats-Unis environ 60 %. Entre 2020 et 2024, les Etats-Unis votaient 30 % du temps avec le reste de la majorité internationale (seul Israël a un pourcentage moins élevé sur la période) contre plus de 70 % du temps pour la Chine.
Ces chiffres ont pour but d’appuyer un débat éclairé sur le sujet du multilatéralisme. Vos lecteurs (y compris les journalistes) peuvent accéder à l’ensemble de ces bases de données en ligne sur le site du Centre de transformation ODD.
Focus 2030 : Le Secrétaire général des Nations unies présentera prochainement une réforme ambitieuse de l’ONU pour les 80 prochaines années, « ONU80 ». Quelles orientations considérez-vous comme les plus pertinentes ? Dans quelle mesure une réforme de la Charte des Nations unies pourrait-elle selon vous y contribuer ?
Guillaume Lafortune : Le monde de 2025 est différent de celui de 1945. Or, dans une large mesure, le fonctionnement de l’ONU et des institutions de Bretton Woods (dont la Banque mondiale et le FMI) reste largement fondés sur l’équilibre des puissances qui existait en 1945, avant les processus de décolonisation, à une époque où il y avait une cinquantaine d’États-nations dans le monde (il y a aujourd’hui 193 membres de l’ONU). À cette époque, les enjeux climatiques et de préservation de la biodiversité étaient largement absents des débats. Au regard des évolutions des sociétés, des enjeux et de l’équilibre des puissances, des transformations sont donc nécessaires pour assurer un ordre mondial efficace et juste.
Alors effectivement il y a plusieurs champs de réforme proposés par le Secrétaire général de l’ONU dans le cadre de l’ONU80 qui visent à renforcer le fonctionnement de l’ONU dans un monde en rapide évolution. Cette initiative a un cadre bien précis. L’ONU80 s’articule autour de trois grands chantiers (l’efficience, les mandats et les structures des agences de l’ONU) couvrant sept grands secteurs d’activité dont la sécurité internationale, l’humanitaire et le développement. En définitive, ce sera aux États-nations de décider du niveau d’ambition et de la mise en œuvre de ces réformes.
Il est évident qu’une Charte des Nations unies convenablement réformée contribuerait sans aucun doute à un ordre mondial plus stable et plus à même d’entraîner les sociétés vers l’atteinte des ODD. Le SDSN organise justement une journée d’échange entre experts et praticiens à New York le 17 septembre 2025 à l’université Columbia autour de la réforme de la Charte des Nations unies. Des propositions concrètes et détaillées fondées sur des contributions de nombreux experts et praticiens sont disponibles dans l’édition 2024 du Rapport sur le développement durable du SDSN. Cela inclut par exemple la création d’un Parlement de l’ONU, la réforme du Conseil de sécurité et la création d’organes subsidiaires pour renforcer notamment le rôle des régions et des villes mais également de la jeunesse à l’ONU. Le SDSN pousse également pour une transformation de l’Architecture Financière Internationale.
Gardons à l’esprit qu’à 80 ans, l’ONU reste un « jeunot » au regard du défi qui occupe l’humanité depuis plus de deux millénaires autour de la bonne gouvernance et de l’art de gouverner à l’échelle internationale. La création de l’ONU en 1945 a été une avancée majeure mais elle reste fragile et en construction.
La 80ᵉ AGNU de septembre 2025, et l’initiative ONU80, doivent être perçues comme des étapes supplémentaires en vue de faire mûrir le système de l’ONU pour qu’il soit plus à même de répondre aux enjeux et aux évolutions du 21ᵉ siècle. La COP30 au Brésil sera un autre moment important en 2025 pour avancer les négociations climatiques.
Par la suite, en 2027, le Sommet ODD à niveau chefs d’État sera une étape cruciale en vue de se mettre d’accord sur un cadre commun pour le développement durable après 2030. Une idée serait de renforcer les mécanismes de mise en œuvre (financement, coopération internationale, accès aux technologies, cadres de politiques publiques et d’investissements de long-terme, liens avec la communauté scientifique, autres) sans nécessairement repenser l’ensemble des objectifs, des cibles et des indicateurs afin de pouvoir construire sur les enseignements et les instruments développés depuis 2015 pour faire avancer les ODD.
Les opinions exprimées dans cet entretien ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030. |