Publié le 8 mars 2021 dans Actualités
À la veille du Forum Génération Égalité, Focus 2030 et Women Deliver ont mené un sondage inédit interrogeant 17 160 adultes représentatifs de la population de 17 pays pour saisir leurs opinions et expériences des inégalités de genre : « Les aspirations citoyennes en faveur de l’égalité femmes-hommes : une volonté de changement ». Cette étude a été conçue de manière à fournir à tous les acteurs - gouvernementaux, parlementaires, associatifs et médiatiques - un éclairage inédit sur les attitudes et les perceptions du public, afin d’identifier des actions prioritaires susceptibles d’inspirer des engagements ambitieux en faveur de l’égalité entre les sexes à l’occasion du Forum.
Entretien avec Phumzile Mlambo-Ngcuka, Sous-Secrétaire Générale des Nations Unies Directrice exécutive de ONU Femmes
Focus 2030 : ONU Femmes organise le Forum Génération Égalité, l’une des plus grandes conférences organisées sur les droits des femmes depuis la Conférence de Beijing en 1995. Notre enquête révèle qu’« en moyenne, 60 % des répondants considèrent que l’égalité femmes-hommes a progressé dans leur pays depuis les 25 dernières années ». De nombreuses études témoignent que cette tendance n’est pas universelle et que la pandémie menace de ralentir voire empêcher l’atteinte de l’égalité entre les sexes. Comment le Forum peut être une opportunité pour se fixer de nouveaux objectifs et lutter contre les inégalités de genre dans le monde une fois pour toute ?
Phumzile Mlambo-Ngcuka : Un quart de siècle depuis la Conférence mondiale de Beijing sur les femmes, force est de constater que les grands discours sur l’égalité des sexes n’ont pas été accompagnés d’actions à la hauteur des enjeux. Bien que l’on constate des progrès au cours des 25 dernières années, aucun pays n’a atteint l’égalité des sexes. En conséquence de quoi, chaque année, 20 % des femmes et des filles indiquent avoir subi des violences sexuelles et physiques et 19 % sont mariées avant l’âge de 18 ans. Les femmes effectuent en moyenne trois fois plus de soins non rémunérés que les hommes. Elles n’occupent que 16,9 % des sièges des conseils d’administration des entreprises dans le monde et ne représentent que 13 % des négociateurs participant aux processus de paix. Au rythme où les progrès sont réalisés actuellement, la parité entre les sexes ne sera pas atteinte dans les parlements nationaux avant 2063, ni parmi les chefs d’État et de gouvernement pendant encore 130 ans
Nous nous réjouissons des évolutions positives, telles que la baisse de 38 % du taux de décès maternels depuis 2000 et l’introduction dans 131 pays de réformes juridiques pour soutenir l’égalité des sexes. Mais des décennies de sous-investissement dans les droits des femmes signifient que, dans l’ensemble, ces progrès sont trop lents et trop facilement réversibles. Nous constatons cette fragilité de plein fouet avec la crise de la Covid-19, qui menace de faire reculer les avancées durement acquises par les femmes. De nombreux pays signalent une augmentation de la violence à l’égard des femmes et le bien-être économique des femmes a été affecté de manière disproportionnée. De nombreuses femmes ont vu leur travail de soins non rémunéré s’accroître et nous estimons que la pandémie en cours fera basculer 47 millions de femmes et de filles supplémentaires sous le seuil de pauvreté. Nous vivons une crise de l’égalité des sexes, et le Forum Génération Égalité nous offre une opportunité unique pour faire face à cette crise et lutter contre les inégalités structurelles persistantes qui l’ont précédée.
Le Forum, organisé par ONU Femmes et co-organisé par les gouvernements français et mexicain en collaboration avec les mouvements de jeunesse et la société civile, sera une occasion unique de changer nos sociétés dans les 10 ans à venir et de consolider le leadership des femmes alors que nous nous remettons de la pandémie de Covid-19. Il débutera à Mexico les 29 et 31 mars et se conclura à Paris, en France, en juin.
Cet effort historique réunira les gouvernements, les entreprises et les acteurs du changement pour définir et annoncer des investissements et engagements politiques ambitieux. Il en résultera une accélération permanente de l’égalité, du leadership et des opportunités pour les femmes et les filles du monde entier, et sera l’occasion de considérer l’égalité des sexes en tant qu’élément essentiel dans la définition de plans de relance en faveur de sociétés plus durables, équitables, sensibles au genre et inclusives.
Le Forum Génération Égalité vise également à créer les fondements d’une coalition importante et pérenne en faveur de l’égalité des sexes. Il représente un moment vital pour les activistes, les féministes, les jeunes et leurs alliés pour réaliser un changement en profondeur au bénéfice des générations à venir. Parallèlement, les individus seront encouragés à agir et à prendre leurs propres engagements en faveur de l’égalité des sexes à travers la nouvelle campagne d’ONU Femmes pour le Forum Génération Égalité, ActforEqual, afin de susciter une vague de sensibilisation et d’action jusqu’à la tenue du Forum.
Le fait d’affirmer que "les droits des femmes sont des droits humains" a permis d’institutionnaliser l’agenda des droits des femmes et de modifier la législation et la constitution de certains pays. Cela a créé une jurisprudence pour les droits des femmes, qui a conduit à l’adoption de lois contre les mutilations génitales féminines, le mariage des enfants et la violence sexiste, et a créé un climat favorable au mouvement #MeToo. Pourtant, pour la plupart des femmes, les droits énoncés dans la déclaration et le programme d’action de Pékin ne sont pas encore réalisés et le développement est insuffisant. Génération Egalité nous donne un moyen de renforcer le lien entre les droits et le développement de manière mesurable.
Focus 2030 : Le Forum Génération Égalité a pour objectif ambitieux de mobiliser des parties prenantes de nature diverse afin de travailler ensemble pour mener des actions et adopter des mesures pour les cinq années à venir. Dans quelle mesure le travail des coalitions d’action peut-il devenir un catalyseur de changements et encourager les acteurs mobilisés à prendre des engagements audacieux ?
Phumzile Mlambo-Ngcuka : Les Coalitions d’action sont fondées sur des partenariats innovants composés d’États membres, d’entreprises, de mouvements de jeunesse, d’acteurs de la société civile, d’organisations internationales et de fondations, conçus pour susciter une accélération inédite de l’égalité des sexes. Le groupe des « champions » compte actuellement 92 dirigeants issus de 24 pays. De par leur nature, les Coalitions d’action sont composées de groupes qui ont des différences mais savent comment reconnaître ces différences et travailler ensemble malgré elles pour atteindre l’objectif principal de la coalition. Les Coalitions d’action collaboreront pour annoncer des « plans d’action » lors du Forum Génération Égalité au Mexique, qui se traduira par des engagements audacieux lors du Forum en France en juin.
Les coalitions d’action définissent les domaines d’intervention les plus catalytiques pour accélérer la mise en œuvre de l’égalité des sexes et travailleront pour apporter des changements concrets et transformateurs pour les femmes et les filles du monde entier au cours des cinq prochaines années. Elles rechercheront un large éventail d’engagements auprès de diverses organisations - gouvernements, organisations à but non lucratif, entreprises et jeunes leaders - sur six thèmes allant des mouvements féministes et du leadership à la violence contre les femmes. En outre, un Pacte sur les femmes, la paix et la sécurité et l’action humanitaire s’emploiera à stimuler l’action et les ressources en faveur des femmes et des filles dans les situations de conflit et de crise. Les dirigeants appellent ensemble d’autres organisations à se joindre à eux en tant que « décideurs d’engagement » dans ces efforts.
Focus 2030 : La Déclaration et le Programme d’action de Beijing ont été adoptés en 1995. En 2021, la société civile et les acteurs mobilisés en faveur de l’égalité de genre ont l’espoir que des mesures concrètes seront adoptées à l’occasion du Forum Génération Égalité. Selon notre enquête, les jeunes femmes sont celles qui témoignent des plus grandes attentes, 75% des femmes âgées de 18 à 24 ans considèrent que leur gouvernement devrait accroître leur financement en faveur de l’égalité entre les sexes ». Dans la mesure où les adolescentes et jeunes femmes sont au cœur de cette campagne, quels résultats du Forum Génération Égalité pourraient constituer selon vous un réel succès pour que les nouvelles générations soient entendues ?
Phumzile Mlambo-Ngcuka : À un moment aussi critique, il est stimulant de voir que l’opinion publique mondiale - en particulier celle des jeunes femmes - est non seulement derrière nous, mais elle nous pousse à faire plus. C’est à notre génération d’atteindre l’égalité des sexes et de faire en sorte que celle-ci soit intersectionnelle et intergénérationnelle. La jeunesse est au cœur de cet agenda.
ONU Femmes reconnaît l’immense valeur des jeunes, qui sont à l’avant-garde de l’action mondiale pour le changement, à la fois pour répondre à la pandémie et pour lutter contre les inégalités systémiques qu’elle a révélées. Les jeunes apportent des perspectives nouvelles pour aborder et résoudre les problèmes. Le Groupe de travail Jeunesse Génération Égalité est un espace pour les jeunes qui dirige les efforts visant à placer les jeunes au centre du processus Beijing + 25.
Les jeunes représentent une énergie nouvelle pour le long chemin à parcourir, malgré les défis complexes engendrés par la pandémie. Avec les fermetures d’écoles, qui affectent plus d’un milliard d’élèves dans le monde, les adolescentes sont plus exposées aux abus sexuels et aux mariages précoces. Plus d’un jeune sur six a cessé de travailler en raison de la pandémie. Malgré ces défis, les jeunes mettent leur expertise à profit, pour reconstruire de manière à lutter contre la discrimination systémique qui a été exposée par la pandémie.
Le Forum Génération Égalité célébrera le leadership, la créativité et l’engagement que ces jeunes apportent à leur plaidoyer en faveur de l’égalité des sexes, de la protection de leur santé et de leurs droits sexuels et reproductifs, de l’action climatique, de la répartition équitable des biens sociaux et économiques et de l’élimination des abus sexuels et des mariages d’enfants. Nous réalisons que l’inégalité entre les sexes est une cause qui ne peut pas attendre. Pour l’éradiquer et garantir les droits des filles et des femmes dans toute leur diversité, nous devons impliquer les jeunes et agir maintenant, ensemble.
« Dans 14 des 17 pays interrogés, 20 % des personnes appartenant à la tranche de revenu la plus élevée sont plus nombreuses que les 20 % appartenant à la tranche de revenu la moins élevée à percevoir une évolution positive de l’égalité des sexes au cours des 25 dernières années. Indépendamment du revenu, la plupart des personnes
interrogées ont quand même l’impression que l’égalité entre
les femmes et les hommes a progressé. »
Retrouver plus de détails page 27 du rapport
« Lorsqu’on leur demande d’identifier les trois actions prioritaires que les gouvernements devraient prendre pour faire évoluer l’égalité des sexes au niveau national, en moyenne dans tous
les pays, près de la moitié des personnes (46 %) ont souhaité que les gouvernements « réforment les lois pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et mettre fin à la discrimination envers les femmes. »
Retrouver plus de détails page 33 du rapport
Seule la version anglaise de ce texte fait foi.