Publié le 3 mars 2023 dans Décryptages
L’atteinte de l’égalité femmes-hommes est l’un des objectifs principaux de l’agenda 2030 des Nations Unies. Particulièrement ciblé par l’ODD 5 “Réaliser l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles”, cet objectif est globalement promu dans les institutions internationales depuis les grandes conférences onusiennes des années 1990-2000, notamment celle de Beijing en 1995. A l’issue de cette conférence, 189 États adoptaient en effet la Déclaration et Programme d’action de Beijing, qui demeure à ce jour le texte multilatéral le plus progressiste en matière de défense des droits des femmes. Une telle valorisation de l’égalité de genre à l’international pourrait témoigner d’une avancée croissante et durable des droits des femmes. Néanmoins, malgré des progrès réels dans de nombreux pays du monde, une régression importante de ces droits est également observée.
Ce recul des droits des femmes est le sujet du nouveau rapport de l’organisation féministe Equipop et de la Fondation Jean Jaurès, intitulé Droits des femmes : combattre le “backlash". Publié en février 2023, ce rapport analyse le “backlash” (“retour de bâton" en français), c’est-à-dire l’action de mouvements conservateurs en réponse aux avancées des droits des femmes dans le monde pour endiguer et faire reculer ces droits. Si ce terme a été largement repris par les médias lors de l’annulation de l’arrêt Roe vs. Wade aux États-Unis en 2022, le phénomène ne s’y limite pas et s’étend dans de nombreux autres États - notamment certains qui étaient jusqu’à lors perçus comme progressistes sur le sujet. Equipop et la Fondation Jean Jaurès proposent un rapport permettant de mieux identifier ces mouvements, et énoncent plusieurs recommandations pour une réponse efficace de la politique étrangère de la France face à ces attaques aux droits des femmes. Décryptage.
Théorisé par la journaliste américaine Susan Faluidi en 1991 et propulsé sur le devant de la scène médiatique en 2022, le terme “backlash” décrivait à l’origine la réaction des conservateurs aux États-Unis face aux mouvements de libération des femmes dans les années 1970-80. Depuis, les mouvements féministes à travers le monde se sont réapproprié le concept pour décrire des situations de recul des législations nationales sur divers enjeux liés aux droits des femmes : avortement, droits reproductifs, droits des personnes LGBTQIA+, etc. Le backlash observé aujourd’hui semble être une réaction au mouvement #MeToo lancé en 2017, qui avait permis une libération de la parole des femmes sur le sujet des violences sexistes et sexuelles. Les crises économiques, politiques et sociales liées au Covid-19 ont également contribué à créer un climat propice à des législations conservatrices.
A l’origine de ce “backlash”, le rapport identifie des mouvements “anti-droits”, définis comme tels car opposés aux droits fondamentaux. Ces mouvements sont hétéroclites : composés à la fois d’acteurs étatiques, non-étatiques, politiques, économiques ou religieux, ils forment des alliances dont le seul objectif commun est le recul des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+. Ces groupes sont bien organisés et généreusement financés : si les montants exacts sont difficiles à déterminer, le Forum Parlementaire Européen (EPF) estime qu’ils auraient perçu plusieurs milliards d’euros entre 2009 et 2018.
Le détournement des normes multilatérales est une stratégie privilégiée pour parvenir à leurs objectifs. La déclaration du Consensus de Genève sur la promotion de la santé de la femme et le renforcement de la famille en est un exemple parlant : ce texte anti-IVG, qui s’appuie sur d’autres normes internationales telles que la Déclaration Universelle des Droits de l‘Homme de 1948, a été signé par un certain nombre d’Etats conservateurs (Russie, Egypte, Indonésie, Hongrie, Pologne, etc.). Les mouvements anti-droits sont également présents dans les instances multilatérales (ONU, Conseil des droits de l’Homme, Union Africaine, etc.) et censurent constamment les propositions de textes progressistes en matière de droits des femmes, notamment à la Commission de la Condition de la Femme (CSW) qui est pourtant le principal organe international dédié à l’égalité de genre.
Si le backlash est un phénomène global qui se répand au-delà des frontières, il prend néanmoins différentes formes selon les contextes nationaux. Equipop et la Fondation Jean Jaurès ont étudié le cas de 12 pays (Afghanistan, Corée du Sud, Pologne, etc.) dans lesquels des mouvements anti-droits ont provoqué un recul des droits des femmes. Cette analyse démontre notamment que le backlash prend place dans des situations politiques, économiques et sociales très diverses, et qu’aucun État n’est à l’abri d’un revirement : la Suède a notamment annoncé l’abandon de sa politique étrangère féministe en 2022, alors qu’elle était le premier État à l’avoir mise en place en 2014.
La France, quant à elle, s’est engagée en 2018 à mettre en œuvre une diplomatie féministe. Cet engagement s’est notamment concrétisé lors du Forum Génération Égalité, qui a permis la création de coalitions de pays volontaires et d’acteurs de la société civile autour du sujet de l’égalité femmes-hommes. Le rapport met en valeur cette initiative et propose trois principales recommandations à destination de la politique étrangère française pour poursuivre cet élan et faire de la France un porte-drapeau des droits des femmes à l’international :
Visionnez le replay de l’évènement de lancement :