Focus 2030
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3 questions à Delphine O, Ambassadrice et Secrétaire Générale du Forum Génération Égalité

Publié le 1er mars 2024 dans Actualités

À l’approche du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, et dans le cadre de son dossier spécial consacré à l’état des inégalités dans le monde en 2024, Focus 2030 met en avant les personnalités qui participent chaque jour à la réalisation de l’égalité des genres.

 

En partenariat avec la société civile, le Forum Génération Égalité est un rassemblement mondial destiné à promouvoir l’égalité des genres. Le Forum co-présidé par la France et le Mexique a mobilisé 40 milliards de dollars d’engagements sur cinq ans pour soutenir l’émancipation des femmes sur toutes ces dimensions à l’échelle de la planète.

Entretien avec Delphine O, Ambassadrice et Secrétaire générale du Forum Génération Égalité

Focus 2030 : À l’occasion du 8 mars, la France souhaite mettre en avant le rôle crucial des femmes dans la résolution, la prévention et le règlement des conflits, ainsi que dans la consolidation de la paix. Cet agenda s’aligne sur la résolution 1325 « Femmes, Paix et Sécurité », adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations Unies en 2000. Pourriez-vous nous détailler la position de la France sur ce sujet et les actions envisagées pour mettre en œuvre cet agenda ?

Delphine O : En Ukraine, au Soudan, en République démocratique du Congo, en Irak, en Israël et à Gaza, les femmes sont les premières victimes civiles des violences dans les crises et les conflits. Elles représentent l’immense majorité des civils ukrainiens qui ont dû fuir le pays suite à l’agression russe du 19 février 2022. Sans accès aux ressources économiques, limitées dans leur capacité de mobilité, elles sont aussi la cible spécifique de violences sexuelles dans les zones en conflit.

La résolution 1325 et l’Agenda Femmes, Paix et Sécurité adoptés à l’unanimité par le Conseil de Sécurité des Nations unies le 31 octobre 2000 ont permis de reconnaître à la fois leur statut particulier de victimes et le rôle spécifique que les filles et les femmes peuvent et doivent jouer pour prévenir les conflits et contribuer à leur résolution, en participant à la construction de la paix. Or, en 24 ans, la situation n’a pas considérablement évolué et l’urgence est toujours la même. D’une part, en 2022, 614 millions de femmes et de filles vivaient dans des pays touchés par des conflits, exposées à un risque accru de violences sexuelles utilisées comme arme de guerre. D’autre part, la participation pleine et égale des femmes au règlement des conflits et à la construction de la paix demeure largement insuffisante. Les évènements récents, la multiplication des conflits armés nous rappellent à nos obligations internationales en matière de protection des femmes et de promotion de leur rôle dans la négociation.

La France s’est dotée en 2021 d’un troisième plan national d’action pour l’Agenda Femmes, Paix et Sécurité pour la période 2021-2025, qui met l’accent sur  l’importance de la participation pleine, égale et significative des femmes et des filles au maintien de la paix et de la sécurité, ainsi que sur la nécessité de lutter contre toutes les formes de violences sexuelles et fondées sur le genre dans les situations de crises et de conflits. Nos actions en ce sens sont multiples et ont gagné en intensité au cours des dernières années.

La France soutient le Fonds Mondial pour les survivant(e)s de violences sexuelles liées au conflit, créé par les prix Nobel de la Paix Dr. Denis Mukwege et Nadia Murad, depuis sa création en 2018. Elle a renouvelé sa contribution financière à hauteur de 6 millions d’euros pour les trois prochaines années, après une première contribution de 8,2 millions d’euros sur 2020-2022  ; le fonds, actif en RDC, en Guinée, en Irak, en Turquie, va s’investir en Ukraine. Nous avons également renforcé notre participation aux programmes d’aide aux femmes victimes de violences sexuelles menés par UNFPA et ONU Femmes en Ukraine, afin de leur apporter un soutien médical, psychologique et économique. Enfin, la France est délibérément engagée dans la lutte contre l’impunité et a accru son soutien à la Cour Pénale Internationale pour l’investigation des crimes de guerre, et notamment des crimes sexuels, en Ukraine, tout en apportant un soutien direct aux forces de police et de justice ukrainiennes.

L’année 2024 sera une année majeure pour la diplomatie féministe française, qui se dotera de sa Stratégie internationale en la matière. Cette stratégie placera les droits des filles et des femmes en contexte de crises et de conflits au cœur de ses priorités, en lien avec la Stratégie humanitaire et la Stratégie Prévention, résilience et paix durable du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Focus 2030 : Vous êtes Ambassadrice et Secrétaire Générale du Forum Génération Égalité (FGE), qui a eu lieu en 2021, une initiative ayant suscité des engagements à hauteur de 40 milliards de dollars pour l’égalité de genre et au cours duquel la France s’est engagée à allouer 400 millions d’euros en faveur des droits et de la santé sexuels et reproductifs (DSSR) au cours des cinq années suivantes. Compte-tenu des nombreux retours de bâton, ou backlash, observés vis-à-vis des droits des femmes dans le monde, à commencer par le retournement de jurisprudence Roe v. Wade en 2022 aux Etats-Unis, pensez-vous que l’initiative française de constitutionnaliser la « liberté garantie aux femmes » d’accéder à l’IVG pourrait envoyer un signal fort au reste du monde  ?

Delphine O : Le Forum Génération Egalité, que la France a accueilli à Paris en 2021, en co-présidence avec le Mexique et sous l’égide d’ONU Femmes, a lancé six Coalitions d’Action, dont la Coalition d’Action sur les Droits et Santé Sexuels et Reproductifs dont la France est championne. A cet effet, la France s’est engagée à hauteur de 400 millions d’euros en faveur des DSSR entre 2021 et 2025. La promotion des DSSR est un enjeu absolument crucial car ces droits se trouvent au croisement de trois priorités : la promotion des droits humains et des libertés individuelles fondamentales, la défense de l’égalité de genre, et la santé publique.

Le paysage mondial en matière de droit à l’avortement est contrasté. D’une part, plusieurs pays l’ont récemment légalisé, parfois de manière discrète (Argentine, Bénin, Sierra Leone) et d’autres ont rallongé le délai légal (Thaïlande) ou facilité l’IVG médicamenteuse (Japon). Mais en miroir, de nombreux pays ont durci leur législation (Guatemala, Salvador, Honduras, Etats-Unis), ou ont carrément opéré un retour en arrière qui met en péril des centaines de millions de femmes. Ces contre-attaques, ce «  backlash  » contre des droits que l’on pensait acquis ont lieu de manière frontale et tout à fait «  décomplexée  », dans un contexte inquiétant de montée en puissance de mouvements anti-droits, qui plaident ouvertement pour une régression des droits des filles, des femmes et des personnes LGBT.

En devenant le premier pays au monde à inscrire l’IVG dans la Constitution, la France envoie un signal extrêmement fort en faveur de la liberté de toutes les femmes dans le monde, dans ce contexte de rétrécissement des droits.

Au-delà de la sécurisation de ce droit en France, indispensable au vu des régressions observées y compris dans des pays européens voisins (Pologne, Italie), cette avancée juridique historique comporte un message essentiel  : nous ne nous laisserons pas faire, et nous serons intransigeants à l’égard des droits fondamentaux. A l’inverse de l’arrêt Roe v. Wade de la Cour suprême américaine, qui a incité des gouvernements à durcir leur législation anti-avortement et galvanisé les mouvements anti-droits, la constitutionnalisation de l’IVG en France encouragera d’autres Etats à renforcer la protection de ce droit, voire à suivre l’exemple français. C’est un message d’espoir pour les femmes et les mouvements féministes dans le monde.

Focus 2030 : Vous avez récemment écrit un ouvrage intitulé « La diplomatie féministe est un sport de combat » qui dresse un état des luttes en faveur de l’égalité des genres depuis le début du XXème siècle. L’internationalisation du combat pour les droits des femmes s’est depuis caractérisée par de nombreux sommets, événements, mouvements et quinze pays ont aujourd’hui officiellement adopté une politique étrangère féministe. Au-delà de ce qui diffère entre chacun de ces pays, quelles orientations mériteraient selon vous d’être prises pour faire avancer plus vite et plus fort la cause de l’égalité  ?

Delphine O : Afin de faire avancer plus vite, plus fort la cause de l’égalité de genre et de mieux protéger les droits des femmes et des filles en péril, la collaboration entre divers acteurs est clef. Ainsi, nous travaillons étroitement avec les Etats disposant d’une politique étrangère féministe, mais nous devons aussi former des coalitions avec des gouvernements moins avancés en la matière, sur chaque continent  ; avec des entreprises du secteur privé et des fondations philanthropiques, que nous incitons à investir davantage le champ de l’égalité de genre. C’était l’esprit du Forum Génération Egalité – créer des coalitions multi-acteurs, au-delà des différences géographiques, culturelles, politiques- qui continue de nous animer.

En parallèle, le soutien aux organisations féministes de terrain est clef dans le combat contre les inégalités de genre. Lancé en 2020, le Fonds de Soutien aux Organisations Féministes a soutenu plus de 1000 associations féministes dans 75 pays à hauteur de 136 millions d’euros, sur la période 2020-2023. Ce fonds est renouvelé à hauteur de 250 millions euros pour les années 2023 – 2027, faisant de la France le premier pays financeur des organisations de la société civile féministe dans le monde. Ainsi, le soutien aux militantes, activistes, défenseuses des droits humains et aux organisations féministes de la société civile en première ligne contre les discriminations est devenu la pierre angulaire de notre diplomatie féministe.

Enfin, nous devons investir de nouveaux champs d’action comme le climat et le numérique. Nous savons que les femmes sont les grandes perdantes à la fois du réchauffement climatique et de la révolution verte, et de la révolution numérique- alors même qu’elles auraient pu y gagner considérablement en empowerment. C’est la raison pour laquelle 2024 verra le lancement officiel du Laboratoire pour les droits des femmes en ligne, une plateforme d’échange multi-acteurs qui rassemblera des Etats, des organisations internationales, des plateformes de la tech, des chercheurs et des ONG pour mieux prévenir et lutter contre les cyberviolences sexistes et sexuelles. Ce Laboratoire incubera plusieurs projets portés par des associations chaque année et permettra de faire avancer la recherche et les solutions en la matière.

Notre engagement pour l’égalité et contre les discriminations et les violences continue, dans tous les domaines et toutes les géographies  ; c’est le sens de ce «  sport de combat  » qu’est la diplomatie féministe.

NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

 

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