Focus 2030
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3 questions à Dr. Jean Kaseya, Directeur général des Centres africains de contrôle et de prévention des maladies

Publié le 17 juin 2024 dans Actualités

En amont du lancement, le 20 juin prochain à Paris, du plan d’investissement de Gavi, l’Alliance du Vaccin, pour la période 2026-2030, Focus 2030 souhaite mettre en avant les enjeux liés à la vaccination dans le monde dans un dossier spécial consacré à ce sujet.

 

Interview de Dr. Jean Kaseya, Directeur général des Centres africains de contrôle et de prévention des maladies

Focus 2030 : Le Forum mondial pour la souveraineté et l’innovation vaccinale du 20 juin 2024 se tient à Paris, coorganisé par Gavi, la France et les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique), que vous dirigez. Pouvez-vous nous parler de la mission de votre organisation et de vos attentes vis-à-vis du Forum ?

 

Dr. Jean Kaseya : Le CDC Afrique est une agence de santé continentale et autonome de l’Union africaine créée pour soutenir les initiatives de santé publique des États membres et renforcer la capacité de leurs institutions de santé publique à détecter, prévenir, contrôler et répondre rapidement et efficacement aux risques sanitaires. Sa seule mission est de préserver la santé de l’Afrique.

La 37e Assemblée de l’UA a confié au CDC Afrique le rôle de chef de file dans la fabrication de vaccins, de médicaments, d’outils de diagnostic et d’autres fournitures médicales. Elle nous a également chargés de mettre en place et de gérer le Mécanisme africain d’achats groupés (APPM) afin de soutenir la production africaine et d’assurer un accès équitable aux médicaments, aux vaccins et aux outils de diagnostic. En 2022, le CDC Afrique a élaboré le Cadre d’action ("Framework for Action"), une stratégie sur 20 ans visant à soutenir la fabrication de vaccins sur le continent.

L’Accélérateur de la Production des Vaccins en Afrique (AVMA) contribuera fortement à l’ambition de la Plateforme pour la fabrication harmonisée de produits de santé en Afrique (PHAHM) de l’Union africaine de fabriquer au moins 60 % des doses totales de vaccins nécessaires sur le continent d’ici à 2040. Elle soutiendra également de manière continue un objectif global de renforcement de la souveraineté sanitaire de l’Afrique, y compris pour la préparation et la réponse aux pandémies. L’AVMA s’appuie sur le travail effectué par Gavi en matière d’équité et d’innovation dans le domaine de la vaccination.

Le Forum mondial pour la souveraineté et l’innovation en matière de vaccins réunira des chefs d’État d’Afrique et d’ailleurs, des fabricants de vaccins d’Afrique et du monde entier, des organisations internationales, des agences des Nations unies, des institutions de financement du développement, des organisations philanthropiques et de la société civile, avec pour seule mission de définir une action collective visant à préserver le bien-être des générations futures.

 

Nous attendons du Forum qu’il soit l’occasion de renouveler l’engagement de la communauté internationale à investir et à soutenir la production de vaccins en Afrique afin de garantir la sécurité sanitaire des 1,4 milliard d’Africains.

 

La pérennité de la fabrication de vaccins en Afrique est liée à la poursuite des investissements et à un soutien politique fort. Le Forum devrait aborder ces deux questions. En outre, le Forum sera une opportunité pour Gavi de mobiliser des fonds pour sa mission et son fonctionnement.

 

Focus 2030 : La pandémie récente de COVID-19 a illustré de manière frappante les effets d’un déficit de production de vaccins dans une zone géographique lors d’une crise sanitaire mondiale. Le continent africain représente 0,2 % de la production mondiale de vaccins, avec 13 entreprises pharmaceutiques, alors qu’il abrite 20 % de la population mondiale. Le Forum mondial pour la souveraineté et l’innovation en matière de vaccins sera l’occasion de lancer l’Accélérateur de la production de vaccins en Afrique (AVMA) pour remédier à ces inégalités. Dans quelle mesure cette initiative pourrait-elle représenter un changement de paradigme en matière de santé mondiale et de développement pour le continent ?

 

La pandémie de COVID-19 a mis en évidence les énormes lacunes de la fabrication de vaccins en Afrique. L’Afrique s’est retrouvée à la traîne du reste du monde en termes d’accès à des vaccins essentiels pendant la pandémie, malgré la disponibilité des fonds nécessaires. C’est pourquoi les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine ont adopté, dans le cadre du Partenariat pour la fabrication de vaccins en Afrique (PAVM), une stratégie ambitieuse visant à mettre en place un cadre permettant à l’Afrique de fabriquer localement 60 % des vaccins dont elle a besoin d’ici à 2040.

En 2022, le CDC Afrique a élaboré un cadre d’action pour soutenir la fabrication de vaccins en Afrique. Vingt-trois projets de production ont été recensés sur le continent, dont neuf sites de production de vaccins déjà opérationnels à l’échelle commerciale et trois sites prêts à produire huit vaccins pour approvisionner le continent entre 2025 et 2030.

Une production africaine durable garantira la sécurité sanitaire et favorisera le développement économique et la création d’emplois. C’est pourquoi nous disons que la fabrication locale est la deuxième indépendance de l’Afrique.

Le CDC Afrique s’efforce de garantir un soutien coordonné aux fabricants de vaccins afin de faciliter l’accès en temps voulu aux vaccins produits en Afrique. En matière de diagnostic, l’Afrique importe plus de 80 % des tests de diagnostic rapide (TDR), et des partenaires tels que le Fonds mondial, le PEPFAR et d’autres se sont engagés à soutenir les fabricants africains. Des démarches sont en cours pour soutenir l’achat de tests de diagnostic rapide (TDR) pour le VIH et le paludisme. Le CDC Afrique et d’autres partenaires œuvrent également pour aider les fabricants africains de médicaments antipaludiques à se conformer aux normes et aux autorisations réglementaires afin de garantir un approvisionnement suffisant du continent et l’achat international de produits de haute qualité fabriqués en Afrique.

L’AVMA, développée par GAVI en partenariat avec le CDC Afrique et d’autres parties prenantes, vient directement renforcer les efforts susmentionnés. Le soutien technique et les investissements stratégiques accéléreront la mise en place d’un écosystème durable de fabrication de vaccins sur le continent.

En tant que mécanisme de financement innovant soutenant les fabricants africains pour produire des produits de qualité et approvisionner les marchés africains et mondiaux, l’AVMA apportera un changement de paradigme. La décision intentionnelle de promouvoir de préférence la production de substances médicamenteuses pour les vaccins plutôt que la dernière étape de remplissage et de finition garantira également la durabilité. Grâce au financement de l’AVMA, le prix des vaccins fabriqués en Afrique sera compétitif par rapport à celui des vaccins produits par les fabricants bien établis dans le monde. Ainsi, la population africaine disposera d’un approvisionnement prévisible en vaccins en cas de pandémie et de vaccins de routine. Cela contribuera grandement à l’amélioration de la santé de la population africaine.

 

GAVI et AVMA illustrent parfaitement l’importance et la portée des alliances. La fabrication de vaccins et de produits médicaux fait intervenir divers secteurs, expertises et pays.

 

C’est pourquoi nous nous félicitons du soutien résolu du gouvernement français et de l’engagement de GAVI. Les partenariats sont essentiels à la réussite, comme l’Alliance du G20 pour la fabrication régionale et l’innovation proposée par le Brésil, qui préside actuellement le G20, et que nous soutenons pleinement en tant que continent.

 

Focus 2030 : Le 20 juin, Gavi détaillera son plan d’investissement pour financer l’accès aux vaccins et renforcer les systèmes de santé au cours des cinq prochaines années. À votre avis, quels vaccins et quels domaines devraient bénéficier d’un soutien prioritaire pour répondre aux besoins des populations du continent africain ?

 

Dr. Jean Kaseya : En Afrique, nous reconnaissons le rôle essentiel de l’investissement de Gavi dans les vaccins et les systèmes de santé. Nous recommandons de donner la priorité à plusieurs vaccins clés et domaines stratégiques pour répondre aux besoins du continent.

 

Les vaccins contre le paludisme devraient être une priorité absolue, en particulier dans les régions à forte prévalence, afin de préserver des vies et de réduire la prévalence de la maladie. Les vaccins contre le papillomavirus sont essentiels pour prévenir le cancer du col de l’utérus, un problème de santé important pour les femmes en Afrique. Les vaccins contre la rougeole et la rubéole sont nécessaires pour prévenir les épidémies et protéger la santé des enfants. En outre, les vaccins antipneumococciques conjugués et antirotavirus devraient être prioritaires pour lutter contre la pneumonie et la diarrhée sévère, qui sont les principales causes de mortalité infantile.

Il convient de rappeler que la fabrication des vaccins n’est qu’une première étape. Nous devons également nous assurer que les vaccins atteignent chaque enfant. La pandémie de COVID-19 a provoqué d’importantes perturbations dans la vaccination de routine, qui est un des éléments clés des soins de santé primaires.

 

C’est pourquoi l’accent mis par GAVI sur les enfants qui n’ont reçu aucune dose de vaccin et sur le déploiement de nouveaux vaccins tels que le vaccin contre le paludisme est crucial et opportun. En fin de compte, un vaccin ne peut être efficace que s’il est effectivement dispensé à ceux qui en ont besoin.

 

Le renforcement des systèmes de santé est essentiel au regard des domaines stratégiques plus globaux de soutien à la préservation de la santé de l’Afrique. Les investissements devraient se concentrer sur la mise en place d’infrastructures de santé solides, en particulier dans les régions rurales et mal desservies, afin de garantir une distribution efficace des vaccins. Il est essentiel d’améliorer l’équité vaccinale et de cibler les régions éloignées et les zones de conflit pour que personne ne soit laissé pour compte. Le renforcement des systèmes de surveillance et de collecte de données est nécessaire pour moderniser la gestion des données sanitaires, améliorer le suivi des vaccinations et réagir rapidement aux épidémies. L’engagement et l’éducation des populations sont également importants, et des campagnes globales sont nécessaires pour accroître le niveau d’acceptation des vaccins et lutter contre la désinformation. Enfin, le soutien à la recherche et au développement locaux favorisera l’autonomie et la durabilité, en renforçant la capacité de l’Afrique à produire des vaccins localement.


En se concentrant sur ces vaccins et ces domaines stratégiques, l’investissement de Gavi permettra de réduire considérablement la prévalence des maladies, d’améliorer la santé publique et de mettre en place des systèmes de santé solides dans toute l’Afrique.



NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

 

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