Focus 2030
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3 questions à Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé

Publié le 14 juin 2024 dans Actualités

En amont du lancement, le 20 juin prochain à Paris, du plan d’investissement de Gavi, l’Alliance du Vaccin, pour la période 2026-2030, Focus 2030 souhaite mettre en avant les enjeux liés à la vaccination dans le monde dans un dossier spécial consacré à ce sujet.

 

Entretien avec Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé

Focus 2030 : L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) est un membre fondateur de Gavi, l’Alliance du vaccin et l’un des membres permanents de son Conseil d’administration. Pourriez-vous détailler l’implication de l’OMS auprès de Gavi et plus largement le rôle de l’OMS dans l’accès aux vaccins dans le monde ?

 

Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus : L’OMS joue un rôle essentiel dans la réalisation de la mission de l’Alliance, qui est de sauver des vies et de protéger la santé en favorisant une utilisation équitable et durable des vaccins. La stratégie de Gavi repose sur le Programme de vaccination 2030 (IA2030), la vision et les objectifs décennaux en matière de vaccination que tous les pays ont approuvés lors de l’Assemblée mondiale de la santé en 2020. Pour chacun des objectifs stratégiques de Gavi, l’OMS apporte son leadership et son expertise technique aux niveaux mondial, régional et national. L’OMS est le principal organisme technique de l’Alliance.

L’OMS joue un rôle clé dans l’élargissement de l’accès à la vaccination depuis 50 ans, par le biais du Programme élargi de vaccination (PEV), grâce auquel chaque pays a élaboré et mis en œuvre un programme national de vaccination avec des vaccins sûrs et efficaces universellement recommandés. Lorsque le PEV a été lancé en 1974, moins de 5 % des enfants du monde étaient vaccinés. Aujourd’hui, ce chiffre atteint 84 %.

Le service de préqualification des vaccins de l’OMS est le sceau d’approbation de la sécurité et de l’efficacité sur lequel Gavi s’appuie pour les vaccins qu’il achète. En conséquence, des vaccins de qualité sont administrés à un plus grand nombre de personnes, car les responsables des programmes de vaccination peuvent planifier, sélectionner et acheter des produits appropriés pour leurs calendriers nationaux de vaccination. Mais notre travail ne s’arrête pas là. Même lorsque les vaccins sont préqualifiés, nous réévaluons, testons et enquêtons régulièrement sur les plaintes concernant les produits ou les effets indésirables après la vaccination, afin que les pays et les communautés aient la certitude que les vaccins sont sûrs et efficaces.

L’OMS établit également des stratégies et des politiques de vaccination à l’échelle mondiale afin de stimuler la couverture vaccinale nationale, régionale et mondiale et d’œuvrer à l’élimination ou à l’éradication des maladies évitables par la vaccination. Par exemple, en 2022, plus de 14 millions d’enfants n’ont pas reçu une seule dose de vaccin. En collaboration avec les partenaires de l’Alliance dans le cadre de l’initiative IA2030, l’OMS travaille avec ses États membres pour réduire ce chiffre de moitié d’ici 2030. De même, les stratégies mondiales d’élimination des maladies élaborées et mises en œuvre par l’OMS, telles que la feuille de route mondiale Vaincre la méningite à l’horizon 2030 et la stratégie Éliminer les épidémies de fièvre jaune (EYE), visent à lutter contre les maladies évitables par la vaccination, à les éliminer et à les éradiquer.

L’OMS joue également un rôle important dans la recherche et l’innovation, en évaluant, en hiérarchisant et en contrôlant la mise au point et l’homologation de vaccins à fort impact et d’innovations en matière de vaccination. Notre Conseil d’accélération pour les vaccins antituberculeux en est un exemple. Le Conseil facilitera l’homologation et l’utilisation de nouveaux vaccins contre la tuberculose, en alignant les bailleurs de fonds, les agences, les gouvernements et les utilisateurs finaux sur l’identification et la levée des obstacles au développement de vaccins contre la tuberculose.

Le prix des vaccins joue un rôle important dans l’approvisionnement, l’accès équitable et la prise de décision au niveau national et mondial. Grâce à des programmes tels que l’initiative MI4A (Market Information for Access Initiative), nous analysons régulièrement la dynamique du marché mondial des vaccins et en rendons compte afin d’améliorer l’accès aux vaccins, en particulier pour les pays qui bénéficient d’un soutien international limité. Les initiatives telles que MI4A sont un domaine dans lequel nous aidons les pays et les partenaires à identifier les besoins, les risques et les opportunités pour assurer un approvisionnement et un financement durables des vaccins.

 

Focus 2030 : L’OMS a récemment publié dans le Lancet une étude concluant que les efforts de vaccination déployés au cours des 50 dernières années ont permis de sauver quelque 154 millions de vies. Qu’est-ce qui a permis ces progrès, selon l’OMS ?

 

Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus : Les vaccins comptent parmi les inventions les plus puissantes de l’histoire. Selon une étude récente menée par l’OMS et publiée dans le Lancet, nous avons constaté qu’au cours des 50 dernières années, la vaccination a été l’intervention sanitaire la plus importante pour garantir que les bébés ne fassent pas que fêter leur premier anniversaire, mais continuent à vivre en bonne santé jusqu’à l’âge adulte. Grâce aux vaccins, la variole a été éradiquée, la poliomyélite est sur le point de l’être, et de nombreuses maladies autrefois redoutées peuvent désormais être facilement évitées, notamment la rougeole, le cancer du col de l’utérus, la fièvre jaune, la pneumonie et la diarrhée. Et avec le développement récent de vaccins contre des maladies comme le paludisme, nous nous attendons à ce que des millions d’autres vies soient sauvées à l’avenir.

Ce qui a commencé comme une vision globale il y a 50 ans pour vacciner tous les enfants contre la diphtérie, la rougeole, la coqueluche, la polio, le tétanos et la tuberculose, ainsi que contre la variole, s’est transformé en un programme qui sauve des vies et qui s’adresse non seulement aux enfants mais aussi aux adolescents et aux adultes.

Aujourd’hui, grâce à ces efforts, chaque pays dispose d’un programme de vaccination bien établi, souvent avec le soutien de l’OMS, de l’UNICEF et de nos partenaires. En outre, grâce à un partenariat public-privé unique entre l’OMS, le Rotary International, les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis, la Fondation Gates et Gavi, l’Alliance du vaccin, le monde est sur le point d’éradiquer la polio.

La création de Gavi, l’Alliance du vaccin, a ajouté une autre dimension au succès du PEV en apportant un soutien international aux pays à faible revenu pour permettre l’introduction plus large d’une série de nouveaux vaccins. Au cours des 50 dernières années, nous avons assisté au développement et à l’introduction de nouveaux vaccins sous-utilisés contre des maladies telles que les infections à pneumocoques, le rotavirus, le papillomavirus, la méningite A, l’encéphalite japonaise et le paludisme, ce qui a permis de sauver encore plus de vies dans les régions les plus vulnérables du monde.

Toutefois, nos meilleurs partenaires sont les professionnels de la santé du monde entier. Les vaccins ne s’administrent pas tout seuls. C’est grâce à leurs efforts que 84 % des nourrissons sont vaccinés dans le monde, alors qu’ils n’étaient que 5 % au moment de la création du PEV.

Enfin, les innovations du PEV, telles que les pratiques de sécurité des injections, la création de la chaîne du froid et l’intégration de l’énergie solaire dans les établissements de santé, ont permis d’étendre la portée et l’impact des programmes de vaccination au profit d’autres programmes de santé, y compris en réponse aux crises sanitaires.

Aujourd’hui, il existe des vaccins qui protègent contre plus de 30 maladies potentiellement mortelles. Grâce à la poursuite des partenariats, de la recherche et des investissements, nous pouvons sauver des millions de vies supplémentaires au cours des 50 prochaines années et au-delà.

 

Focus 2030 : Les objectifs de développement durable (ODD), dont l’ODD 3 relatif à l’accès à la santé, doivent être atteints d’ici 2030. Pourtant, les estimations actuelles indiquent que le monde n’est pas sur la bonne voie en ce qui concerne les ODD. Quelles interventions clés seraient nécessaires pour accélérer les progrès ?

 

Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus : Au cours des cinq premières années de l’ère des Objectifs de développement durable, nous avons constaté une amélioration de l’espérance de vie et de la santé des mères, des adolescents et des enfants, mais la pandémie a bloqué ou annulé une grande partie de ces progrès. En ce qui concerne la vaccination, l’interruption des services de santé pendant la pandémie a eu pour conséquence qu’environ 49 millions d’enfants n’ont jamais reçu une seule dose de vaccin, ce qui a entraîné des épidémies de maladies évitables, telles que la rougeole.

Malgré ces revers, le monde a progressé dans la réalisation des ODD et des cibles du « Triple milliard » de l’OMS visant à promouvoir, assurer et protéger la santé de la population mondiale. D’ici à 2025, on estime que 1,5 milliard de personnes devraient jouir d’une meilleure santé et d’un plus grand bien-être, ce qui correspond à notre objectif de promotion de la santé. On estime que 585 millions de personnes supplémentaires seront couvertes par des services de santé essentiels sans dépenses de santé catastrophiques d’ici 2025, ce qui représente un peu plus de la moitié de notre objectif de fournir des soins de santé. Et malgré l’augmentation des conflits, des épidémies et des catastrophes liées au climat, on estime que 777 millions de personnes seront mieux protégées contre les urgences sanitaires d’ici à 2025, ce qui représente les trois quarts du chemin à parcourir pour atteindre notre objectif de protection de la santé.

Pourtant, nous savons que le monde a radicalement changé depuis l’adoption des ODD et que nous sommes confrontés à des mégatendances clés, notamment le changement climatique, le vieillissement, les migrations, l’évolution de la géopolitique et les progrès de la science et de la technologie. Les inégalités et les discriminations persistantes entre les hommes et les femmes, ainsi que les menaces pour la santé liées aux conditions dans lesquelles les gens naissent, grandissent, travaillent, vivent et vieillissent continuent d’avoir une plus grande influence sur la santé et le bien-être que l’accès aux services de santé.

Il existe de nombreuses interventions clés pour promouvoir, fournir et protéger la santé, notamment en veillant à ce que chacune d’entre elles soit alignée sur les priorités et les plans nationaux.

Tout d’abord, nous devons travailler de manière intersectorielle pour nous attaquer aux causes profondes de la mauvaise santé et aux principaux obstacles à l’équité.

Si les systèmes de santé ne sont pas résilients et adaptés au climat, ils ne seront pas en mesure de fournir des vaccins. De même, si les services de santé des pays excluent des populations, telles que les migrants et les réfugiés, la couverture vaccinale restera lacunaire.

Deuxièmement, il est essentiel de renforcer les soins de santé primaires afin de fournir des services de santé essentiels à tous. Aujourd’hui, 2 milliards de personnes sont confrontées à des difficultés financières en raison des dépenses de santé à leur charge, et la moitié de la population mondiale n’est pas entièrement couverte par les services de santé essentiels, ce qui signifie qu’elle n’a peut-être pas accès aux vaccins qui peuvent la protéger tout au long de sa vie.

Troisièmement, lorsque les familles ont accès aux soins de santé primaires, il faut que les médicaments, les produits médicaux et les vaccins vitaux soient disponibles à un prix abordable pour les pays et les populations. À l’OMS, nous estimons qu’au cours des quatre prochaines années, au moins 4,5 millions de vies pourraient être sauvées grâce à la vaccination. Toutefois, des centaines de millions de vaccins doivent être financés pour les pays à faible revenu et achetés par l’intermédiaire de nos principaux partenaires tels que Gavi, l’Alliance du vaccin, afin de soutenir ces efforts.

Quatrièmement, nous continuons à avoir besoin de recherche et de développement pour de nouveaux médicaments, vaccins et diagnostics, et de diversifier la fabrication de ces nouveaux produits afin de progresser vers les ODD et de relever des défis persistants comme le paludisme et la tuberculose.

Enfin, les OMD ne pourront être atteints que si nous protégeons le monde des urgences sanitaires, notamment en maintenant et en renforçant les capacités nationales de surveillance, de détection et de réaction que nous avons mises en place pendant la pandémie.



NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

 

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