Focus 2030
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3 questions à la Pr. Yasmine Belkaid, directrice générale de l’Institut Pasteur

Publié le 17 juin 2024 dans Actualités

En amont du lancement, le 20 juin prochain à Paris, du plan d’investissement de Gavi, l’Alliance du Vaccin, pour la période 2026-2030, Focus 2030 souhaite mettre en avant les enjeux liés à la vaccination dans le monde dans un dossier spécial consacré à ce sujet.

 

Entretien avec la Pr. Yasmine Belkaid, Directrice générale de l’Institut Pasteur

Focus 2030 : L’Institut Pasteur est un acteur reconnu sur la scène internationale en matière de lutte contre les maladies infectieuses depuis sa création en 1887. L’institut Pasteur travaille aujourd’hui à la prévention de plus de 60 maladies. Quel rôle joue aujourd’hui votre organisation dans le domaine de la recherche vaccinale ? Quelles sont les recherches les plus prometteuses et les voies que vous envisagez d’explorer dans les années à venir ?

 

Yasmine Belkaid : L’Institut Pasteur est un acteur reconnu sur la scène internationale en matière de lutte contre les maladies infectieuses depuis sa création en 1887. Notre organisation joue un rôle crucial dans le domaine de la recherche vaccinale en se concentrant sur au moins trois axes prioritaires.

D’une part, nous développons de nouveaux vaccins : nous travaillons activement à la recherche et au développement de nouveaux vaccins contre des maladies infectieuses pour lesquelles il n’existe pas encore de vaccins efficaces, par exemple la fièvre de Lassa, la shigellose ou la tuberculose.

D’autre part, nous améliorons l’efficacité et la sécurité des vaccins existants par la recherche.

Enfin, nous travaillons au renforcement des capacités vaccinales, en développant de nouvelles formulations et en optimisant les méthodes de production pour rendre les vaccins plus accessibles et abordables. Et nous aidons les acteurs de la recherche et du développement de nouveaux vaccins dans de nombreux pays du monde, en particulier dans les régions du Sud, en développant les capacités locales : en tant que membre du Pasteur Network, un réseau d’organismes de recherche répartis dans plus de 30 pays qui contribuent à l’amélioration de la santé mondiale, nous travaillons à renforcer les capacités de recherche et de production vaccinale dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Cela inclut la formation des chercheurs en vaccinologie, l’amélioration des infrastructures de recherche et la promotion de partenariats internationaux dans un esprit de partenariat.

 

Focus 2030 : L’inégal accès aux vaccins pour les pays qui en ont le plus besoin s’est révélé de manière manifeste lors de la récente pandémie de Covid-19. Les faibles moyens consacrés à la recherche sur les maladies les plus répandues dans les pays en développement et le niveau de déploiement des vaccins dans les pays les plus pauvres nous rappellent avec force que la loi du marché accentue les inégalités entre pays riches et pays pauvres. Pouvez-vous nous faire part des obstacles auxquels les laboratoires de recherche font face pour financer leurs recherches en matière de vaccins ?

 

Yasmine Belkaid : Pour répondre à cette question, il est important de comprendre les nombreux obstacles auxquels les laboratoires de recherche sont confrontés pour financer leurs recherches en matière de vaccins, en particulier dans les pays en développement.

Je pense d’abord aux raisons financières. Beaucoup de pays souffrent d’un manque de financement public et privé. Les gouvernements des pays en développement disposent souvent de budgets limités pour la recherche et le développement (R&D) en santé. Le financement public est souvent insuffisant pour soutenir les coûts élevés de la recherche sur les vaccins. Le secteur privé peut également être réticent à investir dans la recherche sur les maladies qui touchent principalement les pays pauvres, car le retour sur investissement est perçu comme faible en raison du faible pouvoir d’achat de ces pays. Par ailleurs, les risques financiers sont élevés. La recherche et le développement de nouveaux vaccins sont des processus coûteux et risqués. Ils nécessitent de lourds investissements en temps et en ressources, sans garantie de succès. Les entreprises pharmaceutiques hésitent souvent à investir dans des projets présentant un haut niveau de risque sans une forme de soutien ou de garantie financière. De surcroît, des inégalités existent dans le financement international. Les programmes de financement internationaux ou émanant d’organisations philanthropiques, bien qu’importants, ne comblent pas toujours entièrement le fossé financier. Les priorités des bailleurs de fonds internationaux ne correspondent pas toujours aux besoins locaux spécifiques, créant des décalages entre le financement disponible et les nécessités de recherche sur le terrain. Les mécanismes de financement tels que les subventions et les prêts peuvent également être complexes et difficiles à obtenir pour les laboratoires de recherche dans les pays en développement.

Mais il y a aussi beaucoup d’autres facteurs qui entrent en compte, notamment dans le champ des infrastructures et des équipements. Les infrastructures de recherche sont limitées dans beaucoup de régions du monde. En particulier, dans de nombreux pays en développement, les infrastructures de recherche, y compris les laboratoires et les équipements nécessaires, sont insuffisantes ou obsolètes. Cela limite la capacité des chercheurs locaux à mener des études avancées et à développer de nouveaux vaccins. Le manque de centres de recherche et de personnel qualifié entrave également la progression des projets de recherche. Je pense également à l’accès limité aux technologies et aux matériaux. Les chercheurs dans les pays en développement peuvent rencontrer des difficultés pour accéder aux technologies de pointe et aux matériaux nécessaires pour la recherche vaccinale. Cela peut inclure des restrictions dues à des droits de propriété intellectuelle ou simplement un manque de ressources financières pour acheter les technologies nécessaires. Les collaborations internationales, bien qu’importantes, peuvent être difficiles à établir et à maintenir, notamment en raison des barrières bureaucratiques et logistiques.

Pour surmonter ces obstacles, il est essentiel d’adopter une approche intégrée et collaborative, impliquant des partenariats entre les secteurs public et privé, des investissements accrus de la part des gouvernements et des bailleurs de fonds internationaux, et des initiatives visant à renforcer les capacités locales de recherche et d’infrastructure. Ces efforts combinés peuvent contribuer à réduire les inégalités en matière d’accès aux vaccins et à améliorer la santé publique dans les pays en développement.

 

Focus 2030 : L’Accélérateur de la Production des Vaccins en Afrique (AVMA), qui sera officiellement lancé par Gavi le 20 juin prochain à Paris, vise notamment à favoriser et développer la production de vaccins sur le continent, participant ainsi à atteindre l’objectif que les pays africains produisent et fournissent plus de 60 % des besoins en vaccins du continent d’ici 2040. À ce jour, le continent africain compte seulement 13 producteurs de vaccins en mesure de remplir 1 % de la demande du continent. Gavi fera par ailleurs part de ses besoins financiers auprès de la communauté internationale pour accélérer l’accès à la vaccination du plus grand nombre et renforcer les systèmes de santé d’ici 2030. Dans quelles mesures ces démarches complémentaires aux initiatives menées en matière de recherche seront-elles à même de relever le défi et contribuer à l’atteinte des Objectifs de développement durable en santé d’ici 2030 selon vous ?

 

Yasmine Belkaid : Le lancement de l’Accélérateur de la Production des Vaccins en Afrique (AVMA) est une excellente initiative en soi et pour la complémentarité qu’elle va créer avec les initiatives existantes.

Cette initiative va d’abord contribuer au renforcement de la capacité de production locale. Actuellement, l’Afrique ne produit qu’environ 1 % des vaccins dont elle a besoin, ce qui la rend extrêmement dépendante des importations. En augmentant la capacité de production locale à 60 % d’ici 2040, l’AVMA contribuera significativement à la sécurité sanitaire du continent, réduisant ainsi les délais et les coûts liés à l’importation de vaccins. Cette capacité accrue permettra de mieux répondre aux urgences sanitaires locales, telles que les épidémies, en assurant un accès rapide et adapté aux vaccins nécessaires. Au sein du Pasteur Network, l’Institut Pasteur Dakar, l’Institut Pasteur de Tunis et l’Institut Pasteur Maroc contribuent déjà activement aux initiatives de fabrication locale. L’Institut Pasteur de Dakar et l’Institut Pasteur de Tunis sont des centres de transfert de technologie ARN messager de l’OMS.

L’Accélérateur va également aider au renforcement des systèmes de santé. En effet, un système de santé robuste est essentiel pour la distribution efficace des vaccins et pour assurer une couverture vaccinale élevée. L’initiative va contribuer à l’amélioration des infrastructures de santé, la formation du personnel médical et la mise en place de chaînes d’approvisionnement efficaces et résilientes. Au sein du Pasteur Network, où ces instituts représentent des acteurs majeurs de santé publique pour leur pays et régions, le renforcement du diagnostic est essentiel.

J’attends par ailleurs beaucoup des complémentarités avec la recherche. Les initiatives de production de vaccins doivent être étroitement alignées avec les efforts de recherche pour développer de nouveaux vaccins. Cela inclut la recherche sur les maladies prédominant en Afrique, pour lesquelles des vaccins spécifiques sont nécessaires. En soutenant la production locale, l’AVMA peut encourager la collaboration entre les chercheurs et les producteurs de vaccins locaux, accélérant ainsi la traduction des découvertes scientifiques en produits pour les populations et adapté au contexte. Le Pasteur Network, un réseau unique en Afrique avec 9 membres, représente une force important de la recherche locale, déjà engagé dans cette dynamique et prêt à collaborer avec Gavi sur cette initiative.

Enfin, l’Accélérateur devrait aider à atteindre les Objectifs de développement durable (ODD). L’accès à des vaccins abordables et disponibles est crucial pour atteindre l’Objectif de développement durable 3 (Bonne santé et bien-être), qui vise à mettre fin aux épidémies de maladies infectieuses d’ici 2030. En améliorant l’accès aux vaccins, ces initiatives contribueront à réduire la mortalité infantile, à prévenir les maladies évitables par la vaccination et à renforcer l’immunité collective des populations africaines.

En conclusion, les démarches de l’AVMA et les besoins financiers exprimés par Gavi sont des éléments essentiels et complémentaires pour relever le défi de la santé en Afrique. En développant la production locale de vaccins, en renforçant les systèmes de santé et en soutenant la recherche, ces initiatives jouent un rôle crucial dans l’atteinte des Objectifs de développement durable en matière de santé d’ici 2030.



NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

 

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