Publié le 10 juin 2024 dans Actualités
En amont du lancement, le 20 juin prochain à Paris, du plan d’investissement de Gavi, l’Alliance du Vaccin, pour la période 2026-2030, Focus 2030 souhaite mettre en avant les enjeux liés à la vaccination dans le monde dans un dossier spécial consacré à ce sujet. |
Focus 2030 : En tant qu’organisation opérant au Kenya, au Nigeria, en Inde, en Afrique du Sud, en Éthiopie et en Tanzanie pour s’attaquer aux obstacles rencontrés par les jeunes filles dans la réalisation de leurs droits fondamentaux, Girl Effect est bien placée pour comprendre les obstacles auxquels les jeunes filles sont confrontées pour accéder aux vaccins. D’après votre expérience sur le terrain, quels sont les principaux défis que les filles doivent relever pour bénéficier des services de santé, et des vaccins en particulier ?
Jessica Posner Odede :
Les préjugés et les normes sociales empêchent souvent les filles d’accéder au vaccin contre le papillomavirus humain (VPH), même lorsqu’il est disponible. Les adolescentes et leurs parents ne se sentent généralement pas concernés par le cancer du col de l’utérus car il survient plus tard dans la vie. Ils ont rarement entendu parler du papillomavirus, de son lien avec le cancer du col de l’utérus, ou du vaccin. À cela s’ajoutent des questions plus complexes comme les mythes qui entourent les vaccinations (la crainte que le vaccin contre le papillomavirus ne rende stérile). En l’absence d’informations, des idées fausses ou des rumeurs nuisibles peuvent circuler.
L’utilisation des services de vaccination est également influencée par la perception de la qualité des soins, en particulier lorsque le personnel de santé n’est pas formé et sensibilisé aux approches et aux soins adaptés aux jeunes.
Les programmes de vaccination sont parfois conçus sans la participation significative des filles, ce qui limite leurs marges de manoeuvre dans le processus de vaccination. Pour surmonter les obstacles à l’accès à l’information et aux services de santé, il est essentiel d’inclure les filles de manière significative grâce à des stratégies innovantes qui les placent au centre de la conception, de la mise en œuvre et du suivi de l’intervention.
Sans le soutien social approprié, les filles peuvent ne pas avoir accès aux services de santé nécessaires, y compris les vaccins. Dans les cas où les parents et les soignants doivent consentir à ce que les filles se fassent vacciner, sans connaissances correctes, ils deviennent eux aussi un obstacle à l’accès aux services de santé.
En 2024, nos recherches en Tanzanie et en Éthiopie indiquent que la sensibilisation et la connaissance du VPH, du cancer du col de l’utérus et de la vaccination contre le VPH restent faibles chez les filles âgées de 9 à 14 ans. Seules 10-11 % d’entre elles déclarent savoir ce qu’est le papillomavirus et qu’il peut provoquer un cancer du col de l’utérus.
Il est essentiel de créer une demande solide pour assurer la viabilité à long terme de l’adoption du vaccin contre le papillomavirus. Pour ce faire, il faut parler aux filles elles-mêmes.
C’est pourquoi, avant de mettre en œuvre une intervention, Girl Effect mène des recherches pour recueillir les avis des filles et de leur entourage, notamment les parents, les enseignants, les professionnels de la santé, les chefs religieux, etc. Pour obtenir des informations plus authentiques, nous avons créé, en collaboration avec des filles, TEGA (Technology Enabled Girls Ambassadors), un programme de recherche mobile qui permet aux filles elles-mêmes de recueillir des informations en temps réel sur la vie de leurs camarades.
Focus 2030 : Gavi, l’Alliance du vaccin, fournit des vaccins contre le papillomavirus à de nombreux pays en développement pour lutter contre le cancer du col de l’utérus. Au-delà de la livraison des vaccins dans les pays, les campagnes de vaccination doivent, pour réussir, surmonter de multiples obstacles. Pourriez-vous nous indiquer comment votre organisation s’engage auprès des filles pour concevoir des services et contribuer aux changements de comportements ? Pouvez-vous nous donner un aperçu des types d’actions que vous menez pour impliquer le public, et les filles en particulier, afin d’augmenter l’accès aux vaccins ?
Jessica Posner Odede : L’immunisation n’existe pas en vase clos, c’est pourquoi Girl Effect s’attaque de manière large aux obstacles à la vaccination, en incluant des questions telles que la santé sexuelle et reproductive, l’éducation et la nutrition. Contrairement à d’autres vaccins, le vaccin contre le papillomavirus est administré aux filles pendant l’adolescence et constitue souvent leur première intervention sanitaire depuis l’enfance. Ce vaccin est donc l’occasion d’informer les jeunes filles sur les avantages non seulement des vaccins, mais aussi d’autres interventions sanitaires, à un moment crucial de leur vie. Cela peut les aider à adopter des comportements bénéfiques pour leur santé.
Girl Effect croit fermement en la force des filles et les reconnait comme des individus autonomes dont les idées, visions et compétences peuvent contribuer à éclairer, inspirer et façonner notre travail. C’est grâce à elles que nous pouvons mettre en oeuvre des programmes efficaces, pertinents, culturellement adaptés et percutants. Les filles ne sont pas seulement les destinataires de nos programmes mais elles nous inspirent et nous informent également. Voici quelques exemples de la manière dont nous impliquons les filles, mais aussi le public, pour faciliter l’accès aux services de santé :
Focus 2030 : Votre organisation est partenaire de Gavi depuis huit ans pour promouvoir l’accès aux vaccins. Quels sont les principaux résultats que vous avez observés ? Quels sont les types d’interventions qui, selon vous, méritent d’être reproduites dans d’autres pays ?
Jessica Posner Odede :
Au cours des huit dernières années, nous avons touché 3,7 millions de jeunes filles et avons eu un effet d’entraînement sur un public plus large, près de 31 millions de personnes en Tanzanie, en Éthiopie, au Rwanda et au Malawi, en informant les groupes de soutien et en permettant des discussions au sein des familles.
Notre partenariat a considérablement amélioré la sensibilisation aux avantages du vaccin contre le papillomavirus, ainsi que les connaissances sur le nombre de doses nécessaires, et a renversé le mythe selon lequel la vaccination contre le papillomavirus entraîne la stérilité. En utilisant des formats médiatiques tels que les chatbots, les radios, télévisions ou les talk-shows, notre contenu a brisé des mythes, combattu la désinformation et inspiré des conversations sur l’importance des programmes de vaccination et de la santé de manière plus générale. En Éthiopie, les personnes qui regardent notre feuilleton télévisé sont 32 % plus sensibilisées au cancer du col de l’utérus et trois fois plus susceptibles de connaître l’existence du vaccin. Parmi celles qui connaissent l’existence du vaccin, 50 % disent l’avoir appris grâce à notre feuilleton télévisé - plus que par des professionnels de la santé (22 %). Les lecteurs de notre magazine au Malawi ont 32 % plus de chances d’avoir reçu la première dose du vaccin contre le papillomavirus que les non-lecteurs.
Sur la base des enseignements tirés, notre partenariat s’est étendu à d’autres endroits, plus récemment au Nigeria, pour soutenir le lancement de la phase 2 du programme gouvernemental de vaccination contre le papillomavirus. Parmi les interventions que nous reproduisons, citons : l’utilisation de la technologie numérique pour renforcer les interventions communautaires, les pièces radiophoniques et télévisées pour impliquer non seulement les jeunes, mais aussi les parents et les membres de la communauté, dans le but de faire évoluer les normes sociales.
Nous avons également étendu notre travail à la vaccination de routine et à des publics supplémentaires tels que les jeunes hommes et femmes qui s’occupent d’enfants, les filles non scolarisées et les communautés qui ne reçoivent pas de doses et qui sont généralement laissées pour compte. Nous mettons davantage l’accent sur la promotion de l’apprentissage dans les secteurs de la vaccination, de l’égalité des sexes et de la santé sexuelle et reproductive par la diffusion de la recherche, l’identification des meilleures pratiques et des innovations.
NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.