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3 questions à Guillaume Lafortune, Vice-Président, Réseau des Solutions pour le Développement Durable des Nations unies

Publié le 15 septembre 2023 dans Décryptages

Les 18 et 19 septembre 2023, un Sommet sur les Objectifs de développement durable se tiendra à New York, en marge de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies. De nombreux dirigeant·e·s d’États, de gouvernements, d’organisations internationales, de la société civile et du secteur privé seront invités à discuter des solutions à mettre en place et à prendre des engagements pour accélérer la mise en oeuvre des ODD d’ici 2030

Afin de décrypter les enjeux de ce Sommet, Focus 2030 a réalisé une série d’entretiens avec des représentant·e·s de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. 

Découvrez le dossier spécial sur le Sommet, ainsi que l’ensemble des autres entretiens avec des expert·e·s, personnalités et acteurs de la solidarité internationale en amont de l’évènement.

 

3 questions à Guillaume Lafortune, Vice-Président, Réseau des Solutions pour le Développement Durable des Nations unies

Propos recueillis le 15 septembre 2023 par Focus 2030.

 

Focus 2030  : Le Réseau des Solutions pour le Développement Durable des Nations unies (SDSN) produit le Rapport sur le Développement Durable chaque année depuis 2015, évaluant la progression des États membres des Nations unies dans la réalisation des Objectifs de Développement Durable (ODD). Le rapport de 2023 révèle qu’à mi-parcours de la date butoir de 2030, la majorité des cibles des ODD ne seront pas atteintes. Le Sommet sur les ODD se tiendra les 18 et 19 septembre, en marge de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies. Son objectif est de mobiliser la communauté internationale et d’obtenir des engagements, notamment financiers, pour accélérer la mise en œuvre de l’Agenda 2030. Quelles sont vos attentes pour cet événement crucial ?

Guillaume Lafortune : En 2015, lorsque les 193 pays membres de l’ONU ont adopté les ODD et l’Agenda 2030, ils ont également mis en place des mécanismes de suivi des engagements. C’est une très bonne chose. D’une part, chaque année, une quarantaine de pays présentent leurs plans d’action ODD à la communauté internationale dans le cadre du Forum Politique de Haut Niveau. Il s’agit des Revues Nationales Volontaires. D’autre part, sous l’égide de la Commission des Statistiques de l’ONU, un cadre mondial d’indicateurs relatifs aux objectifs a été établi. Enfin, tous les quatre ans, les chefs d’États se réunissent en marge de l’Assemblée Générale des Nations unies pour dresser le bilan des progrès réalisés sur les ODD à l’échelle mondiale et définir les grandes priorités d’action.

Le sommet ODD de septembre 2023 est particulièrement important. La dernière réunion au niveau des chefs d’États sur les ODD a eu lieu en septembre 2019. Or, le monde a bien changé depuis, avec notamment des crises qui se multiplient et un ralentissement, voire dans bien des pays une régression, des progrès vers les ODD comme le montre la dernière édition du Rapport sur le développement durable du SDSN. Si la tendance se poursuit, il y a même un risque que l’écart entre les pays riches et pays pauvres en matière de développement durable soit plus élevé en 2030 qu’il ne l’était en 2015. À mi-parcours, il est donc important que ce sommet aboutisse à l’adoption d’une déclaration politique commune forte qui renouvelle l’engagement de l’ensemble des États membres de l’ONU à travailler ensemble pour mettre en œuvre les ODD et l’Agenda 2030.

Ce sommet ODD doit néanmoins être mis en perspective avec une série plus large de rencontres et de processus internationaux qui peuvent permettre de faire avancer la coopération et le financement pour le développement durable dans les deux prochaines années. Il faut souligner à cet égard le succès diplomatique de l’Inde lors du G20 début septembre qui malgré les divisions majeures sur la scène internationale, y compris au sein même du G20, est parvenu à faire adopter une déclaration commune avec au cœur de cette déclaration de New Delhi la question des plans d’actions et du financement des ODD. L’intégration de l’Union Africaine comme membre permanent du G20, qui devrait en conséquence être renommé G21, est également un grand pas en avant puisque désormais 1,4 milliard d’individus seront représentés.

Ensuite, la COP28 à Dubaï, la Présidence brésilienne du G20 en 2024 (puis de l’Afrique du Sud en 2025), le sommet pour l’avenir de septembre 2024, mais également le sommet olympique sur le développement durable de juillet 2024 annoncé par le Président Macron fin août doivent également permettre l’adoption de mesures concrètes, notamment en ce qui concerne le financement des ODD et de l’Accord de Paris sur le Climat.

 

Focus 2030  : Publié en amont du Sommet pour un Nouveau pacte financier, qui s’est déroulé les 22 et 23 juin 2023 à Paris, le rapport souligne la nécessité d’une réforme de l’architecture financière mondiale. Cette réforme vise à remédier aux lacunes chroniques en matière de financement des ODD et à réduire les disparités croissantes entre les pays à revenu élevé et ceux à faible revenu. Pouvez-vous nous fournir plus de détails sur les recommandations spécifiques du rapport concernant cette réforme et expliquer comment elle pourrait contribuer à combler le déficit de financement pour les pays en développement et émergents ?

Guillaume Lafortune : Dans une large mesure, les ODD doivent être considérés comme un programme d’investissement, à la fois dans le capital humain (la santé, l’éducation, la protection sociale) et les infrastructures (accès à l’électricité, aux énergies propres, à l’eau potable, au transport, aux technologies digitales). Des investissements sont également nécessaires pour adapter les infrastructures existantes et pour financer les dépenses liées aux pertes et dommages causés par le changement climatique, notamment dans les pays les plus vulnérables. Or, de nombreux pays en voie de développement n’ont pas accès au financement nécessaire pour mettre en œuvre les ODD. Sur le long-terme, les coûts de l’inaction sont supérieurs à des investissements réalisés aujourd’hui. Il y a d’ailleurs de grandes opportunités, y compris pour le secteur privé, pour accroître les investissements dans le développement durable.

Dans son discours d’ouverture à l’Assemblée générale des Nations Unies, le 20 septembre 2022, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a appelé à un « plan de relance ODD » (« SDG stimulus ») pour compenser la détérioration des conditions de marché par les pays en développement et accélérer les progrès vers les ODD et l’Accord de Paris sur le Climat. D’ici 2025, il faudrait mobiliser US$500 milliards en plus par année pour le financement ODD dans les pays en voie de développement. Une somme importante, mais qui correspond à 0,5% du PIB mondial et à une part modeste de l’épargne mondiale. Au SDSN, nous mettons l’emphase sur quatre grandes priorités d’action :

  1. Réformer l’architecture financière mondiale, notamment en augmentant le financement des banques multilatérales de développement (dont la Banque Mondiale) et des banques publiques de développement ;
  2. Une hausse de l’Aide Publique au Développement (APD), notamment dans les pays riches qui n’ont toujours pas atteint la cible des 0,7% du Produit National Brut dédié à l’APD, mais également une hausse de son efficacité
  3. La révision des méthodologies utilisées par les agences de notations de crédit souverain pour mieux tenir compte du potentiel de croissance à long terme des investissements ODD
  4. L’adoption de stratégie et de plans d’investissements à long terme, le renforcement des capacités administratives et des partenariats avec diverses institutions dans les pays en voie de développement, afin de pouvoir mobiliser efficacement les fonds additionnels débloqués pour mettre en œuvre les ODD

 

Focus 2030  : Le SDSN évalue également les pays à travers le « Spillover index », un indice mesurant les impacts positifs et négatifs que les activités commerciales et financières d’un pays ont sur l’atteinte des ODD à l’extérieur de ses frontières. En considérant cet indice, la France se classe au 6e rang parmi les pays les plus avancés dans la réalisation de l’Agenda 2030, mais elle occupe le 148e rang lorsque les externalités sont prises en compte. Pourriez-vous identifier les points forts et les faiblesses de la France dans la mise en œuvre de cet agenda ?

Guillaume Lafortune : Dans un monde globalisé, les actions des états peuvent avoir des effets positifs ou négatifs sur la capacité d’autres états à atteindre les ODD. L’Agenda 2030 et les ODD reconnaissent l’importance des externalités internationales ou « spillovers ». L’ODD 17 (Partenariats pour la réalisation des objectifs) appelle à la « cohérence des politiques » pour le développement durable, ODD 12 (Consommation et production responsables) souligne la nécessité d’une production et d’une consommation plus durable et l’ODD 8 (Travail décent et économie) appelle à l’éradication du travail des enfants et de l’esclavage moderne.

Comme d’autres pays européens et de l’OCDE, la France génère des externalités négatives sur le reste du monde, notamment à travers sa consommation. Chaque année, le SDSN publie, en plus du classement ODD, un indice des externalités négatives qui combine différentes mesurent liées aux émissions de CO2, à la déforestation, aux accidents au travail, à l’esclavage moderne (entre autres) qui arrivent dans d’autres pays pour satisfaire la consommation en France.

Malgré des défis majeurs qui persistent, il faut tout de même souligner le rôle de plus en plus moteur joué par la France sur les ODD à l’international. Notamment à travers l’augmentation continue de l’APD ces dernières années, l’organisation d’un grand sommet à Paris en juin 2023 sur le financement du développement durable (et l’annonce d’un sommet à venir en juillet prochain) ainsi que la présentation en juillet 2023 de la Revue Nationale Volontaire de la France à l’ONU qui aborde justement les enjeux liés aux externalités négatives. Par ailleurs, la Loi sur le Devoir de Vigilance de 2017 qui oblige les multinationales à élaborer un plan de vigilance et des mécanismes de suivi de leurs impacts à l’étranger était pionnière en la matière et sa mise en œuvre doit se poursuivre. À l’échelle européenne, les discussions avancent également sur plusieurs sujets liés à ces externalités négatives.

En général, la France et l’Union Européenne doivent travailler avec les pays émergents et ce que l’on appelle communément le « Sud Global », y compris avec les présidences du G20 du Brésil en 2024 et de l’Afrique du Sud en 2025, pour faire en sorte que les ODD restent la boussole universelle pour guider les interactions entre États, rendre plus durable le commerce international et réformer la finance internationale pour le développement durable.

 

Pour aller plus loin :

 

  • Les opinions exprimées dans cet entretien ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.