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3 questions à Antón Leis García, Directeur de l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement (AECID)

Publié le 19 septembre 2023 dans Décryptages

Les 18 et 19 septembre 2023, un Sommet sur les Objectifs de développement durable se tiendra à New York, en marge de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies. De nombreux dirigeant·e·s d’États, de gouvernements, d’organisations internationales, de la société civile et du secteur privé seront invités à discuter des solutions à mettre en place et à prendre des engagements pour accélérer la mise en oeuvre des ODD d’ici 2030

Afin de décrypter les enjeux de ce Sommet, Focus 2030 a réalisé une série d’entretiens avec des représentant·e·s de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. 

Découvrez le dossier spécial sur le Sommet, ainsi que l’ensemble des autres entretiens avec des expert·e·s, personnalités et acteurs de la solidarité internationale en amont de l’évènement.

 

3 questions à Antón Leis García, Directeur de l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement (AECID)

Propos recueillis le 15 septembre 2023 par Focus 2030.

 

Focus 2030 : Nous sommes à mi-parcours de l’Agenda 2030, quelle est votre évaluation de la situation et de la pertinence de l’Agenda 2030 en 2023 ?

Antón Leis García : L’Agenda 2030 et ses Objectifs de développement durable sont plus pertinents et plus nécessaires que jamais. De leur réalisation - ou de leur échec - dépendent non seulement le bien-être de millions de personnes dans le monde et la sauvegarde de la planète que nous habitons, mais aussi la paix et de la stabilité dans un contexte géopolitique complexe. L’Agenda 2030 représente un consensus international autour d’une feuille de route claire qui identifie des secteurs et des objectifs concrets pour parvenir à des sociétés et des économies plus justes, plus résilientes et plus durables.

Malheureusement, la situation actuelle n’est pas encourageante. Les récents rapports sur les progrès accomplis pour atteindre les ODD devraient inciter toutes les parties prenantes, y compris au sein de la coopération internationale, à redoubler d’efforts et à les intensifier. Et nous devons le faire avec un sentiment d’urgence.

La pandémie, la guerre contre l’Ukraine et d’autres facteurs ont mis en péril la réalisation de nombreux Objectifs de développement durable. La pandémie a annulé des décennies de réduction de la pauvreté, l’insécurité alimentaire touche près de 30 % de la population mondiale et le nombre de personnes dépendant de l’aide humanitaire atteint des sommets historiques. Sur certains indicateurs, les progrès sont trop lents. Un exemple qui nous importe en tant que porteurs d’une politique de coopération féministe : au rythme actuel, il faudra 286 ans pour combler les écarts entre les hommes et les femmes en matière de droits et de discrimination. Nous ne pouvons pas permettre que cela se produise.

Le contexte n’est pas simple. Nous vivons plusieurs crises qui se chevauchent et qui nécessitent que la communauté internationale travaille ensemble. Le multilatéralisme est le seul moyen de relever les défis auxquels le monde est confronté : la pauvreté, la faim, les conflits, les inégalités ou encore l’urgence climatique et les autres crises environnementales.

Nous sommes à mi-chemin. Sept années peuvent sembler courtes, mais il est possible de rattraper le terrain perdu si nous concentrons nos efforts et changeons la dynamique. Cette session de l’Assemblée générale et ce sommet sur les ODD sont une excellente occasion de le faire.

 

Focus 2030 : L’Espagne est l’un des pays les plus engagés pour l’atteinte des Objectifs de développement durable. Quelles sont vos priorités actuelles pour contribuer à la réalisation des Objectifs de développement durable ?

Antón Leis García : L’engagement de l’Espagne à atteindre les ODD dans le monde entier est clair et retentissant et se reflète dans notre nouvelle loi sur la coopération pour le développement durable et la solidarité internationale. En effet, la nouvelle loi intègre l’engagement d’allouer 0,7 % de notre revenu national brut à la coopération au développement et réforme notre système de coopération pour le rendre plus efficace et ainsi répondre aux grands défis mondiaux.

L’Espagne est engagée dans une coopération qui dépasse la logique de l’aide pour embrasser celle du partenariat. Coopérer, c’est travailler ensemble pour relever des défis communs. L’Agenda 2030 et les ODD sont un programme partagé, et non une liste de priorités conçues uniquement pour les pays en développement. Et il ne suffit plus de travailler uniquement avec les gouvernements ou les organismes d’aide. Nous avons besoin des efforts de tous les acteurs, y compris du secteur privé.

Les priorités de l’Espagne pour atteindre les ODD reposent sur les quatre piliers de l’Agenda 2030 lui-même : les personnes, la planète, la prospérité et la paix. Notre diagnostic est que nous avons la responsabilité collective de réaliser une triple transition sociale, productive et écologique vers un modèle de développement plus durable qui ne laisse personne de côté. Traditionnellement, la coopération au développement s’est attachée à favoriser la croissance économique et, partant, à réduire la pauvreté. La pauvreté reste notre grand ennemi, mais nous avons besoin d’une vision plus large, qui prenne en compte notre planète et combatte les inégalités. Nous devons examiner des paramètres qui vont au-delà du revenu moyen d’un pays. Nous devons jeter les bases d’un monde prospère, mais aussi durable sur le plan environnemental et social.

Dans ce contexte, nous pensons que l’Espagne peut apporter une valeur ajoutée dans certains domaines et secteurs clés, tels que l’égalité de genre (une caractéristique de notre coopération), la santé mondiale (notre système national de santé peut servir de modèle aux efforts de nos partenaires pour parvenir à une couverture sanitaire universelle), la transition écologique juste (l’Espagne est un leader dans le domaine des énergies renouvelables et de l’adaptation au climat) ou l’engagement en faveur de la cohésion sociale. Nous n’oublions pas non plus d’autres priorités telles que la lutte contre la faim et l’engagement en faveur de systèmes agroalimentaires durables et résilients, ou encore la gouvernance démocratique et les droits humains. La localisation des ODD est une autre priorité à laquelle l’Espagne attache une grande importance. Bilbao a d’ailleurs été choisie en 2022 comme siège de la coalition Local2030.

 

Focus 2030 : La communauté internationale se mobilise pour lever de nouveaux fonds pour les ODD, en plus des montants annuels destinés à l’aide publique au développement (taxes internationales, droits de tirage spéciaux, etc.). Que compte faire l’Espagne à cet égard ?

Antón Leis García : La priorité doit être d’augmenter significativement le financement du développement durable et de combler le déficit de financement des ODD (près de 4000 milliards de dollars par an, selon l’OCDE). L’augmentation de l’APD espagnole (qui a presque doublé depuis 2017) est un exercice de responsabilité en tant que pays donateur. Mais l’APD ne représente que 200 milliards par an, nous aurons donc besoin d’autres sources de financement pour réaliser la triple transition que j’évoquais précédemment. Ici, le rôle des marchés financiers et de l’investissement privé sera clé, mais aussi la mobilisation des ressources domestiques, notamment à travers le développement des marchés de capitaux et une fiscalité juste et progressive qui permette aux pays de financer les services publics et de réaliser des investissements productifs.

En outre, nous devons renforcer l’architecture financière internationale et nous engager en faveur d’un système multilatéral fort et inclusif. En suivant les grandes lignes de la proposition de "Plan de relance pour les ODD” du Secrétaire général, nous devons renforcer les banques multilatérales de développement, promouvoir une plus grande coopération entre les banques nationales et multilatérales, respecter les engagements en matière d’APD, évoluer vers des allocations basées sur les vulnérabilités et pas seulement sur le niveau de revenu moyen d’un pays donné, étendre le financement d’urgence pour les pays dans le besoin, et accélérer et améliorer la mise en œuvre du cadre commun du G20 en matière de dette.

La promotion de partenariats au-delà des gouvernements et des organisations internationales sera également fondamentale. Nous devons nous efforcer d’encourager les investissements durables provenant de sources publiques mais aussi privées. À cette fin, nous avons besoin d’une approche plus stratégique dans les relations avec nos pays partenaires, basée sur un dialogue politique, économique et réglementaire de haut niveau qui intègre tous les acteurs : gouvernements, institutions financières, donateurs et secteur privé local.

Les aspects réglementaires (cadres stables, sécurité juridique, environnements favorables) ainsi que des taxonomies plus appropriées (pas nécessairement identiques, mais interopérables) sont essentiels pour encourager l’investissement et la mobilisation des ressources publiques et, surtout, privées. Il est également nécessaire de développer des structures financières innovantes qui minimisent ou réduisent la perception du risque pour les investisseurs privés, locaux et internationaux. Les institutions financières de développement et les banques multilatérales devraient prendre plus de risques avec des systèmes de garanties, de contre-garanties et de premières pertes. Les émissions d’obligations garanties (en particulier les obligations vertes et bleues, telles que l’initiative des obligations mondiales vertes de l’UE à laquelle l’AECID participe) sont un exemple d’innovation financière qui peut atténuer les risques et mobiliser des ressources privées.

Toutes ces questions sont déjà sur la table et des mesures importantes sont prises dans des forums multilatéraux tels que le G20. La réalisation de l’Agenda 2030 dépend dans une large mesure de la capacité de financement des ODD. Nous avons une responsabilité collective à cet égard et l’Espagne et sa coopération travailleront pour y parvenir.

 


  • Cet entretien a été traduit par Focus 2030 depuis l’espagnol. Se référer à ce lien pour le consulter en version originale.
  • Les opinions exprimées dans cet entretien ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

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