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3 questions à Thomas Friang, fondateur et directeur général de l’Institut Open Diplomacy

Publié le 15 septembre 2023 dans Décryptages

Les 18 et 19 septembre 2023, un Sommet sur les Objectifs de développement durable se tiendra à New York, en marge de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies. De nombreux dirigeant·e·s d’États, de gouvernements, d’organisations internationales, de la société civile et du secteur privé seront invités à discuter des solutions à mettre en place et à prendre des engagements pour accélérer la mise en oeuvre des ODD d’ici 2030

Afin de décrypter les enjeux de ce Sommet, Focus 2030 a réalisé une série d’entretiens avec des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. 

Découvrez le dossier spécial sur le Sommet, ainsi que l’ensemble des autres entretiens avec des expert·e·s, personnalités et acteurs de la solidarité internationale en amont de l’évènement.

 

 

3 questions à Thomas Friang, fondateur et directeur général de l’Institut Open Diplomacy

Propos recueillis le 15 septembre 2023 par Focus 2030.

Focus 2030 : Le Secrétaire général des Nations unies a tiré la sonnette d’alarme, l’atteinte des 17 Objectifs de développement durable est compromis. Il est estimé que la mise en œuvre de l’Agenda 2030 requiert des investissements supplémentaires dans les pays en développement de l’ordre de 3900 milliards de dollars par an. En amont du Sommet pour un nouveau Pacte financier mondial qui s’est tenu les 22 et 23 juin à Paris, l’Institut Open Diplomacy a plaidé pour un leadership fort de la France pour qu’un « SDG Stimulus », un plan de financement durable, soit endossé par les membres du G20, en amont du Sommet pour les ODD qui se tiendra les 18 et 19 septembre 2023. Quels ont été les résultats de cette mobilisation ?

Thomas Friang : La mobilisation a commencé au moment du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial : dès ce moment là, nous avons pu présenter notre rapport au président de la République qui s’y est montré très réceptif. Il a ouvert le Sommet en faisant directement référence aux ODD et au SDG Summit.

Le moment clé pour nous, c’était le G20 de Delhi. En effet, le SDG Stimulus est un plan de financement du développement que M. Guterres espérait voir porté par le G20. Il s’agit de mesures d’allègements de dettes, de rééchelonnement de dettes et de mobilisation du secteur privé pour un total de 500 milliards de dollars par an. Je dis que Delhi était le moment clé car si le G20 n’avait pas soutenu publiquement et clairement le SDG Stimulus, on pouvait abandonner toute dynamique en amont de l’Assemblée générale des Nations unies.

Le communiqué du G20 de 2023 y apporte un soutien net et pose les premières briques de ce que le G20 va faire pour réaliser le SDG Stimulus. Il y a des éléments clairs et précis pour les ODD, mais comme pour toute ambition du G20, il faut suivre avec précision la mobilisation effective de chaque État membre pour réaliser concrètement l’engagement pris, surtout quand il s’agit d’un agrégat de mesures assez complexes.

Tout cela doit se traduire par une dynamique importante lors du SDG Summit qui intervient les 18 et 19 septembre. La France y sera représentée avec une importante délégation interministérielle, pour soutenir l’Agenda 2030 dans son ensemble. Je sais que le président de la République est retenu à Paris par d’autres obligations, mais il semble cependant que la délégation va mettre la puissance d’initiative du pays au service de certains ODD spécifiques : plusieurs membres du gouvernement se déplacent pour traiter des sujets relatifs à la biodiversité terrestre (ODD 15), la protection des océans (ODD 14), la santé (ODD 3)... et surtout la transition énergétique au service de l’action climatique (ODD 13) et le financement du développement (ODD 17) pour ne jamais opposer “la planète et les peuples”.

Bref, c’est la suite logique du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui rassemblait déjà plus de 45 chefs d’État et de gouvernement à Paris pour amorcer le processus. Toutefois, nous venons de publier un rapport tirant les 5 enseignements que nous avons tirés du Forum politique de haut niveau pour le développement durable qui, tous les ans, en juillet, permet de faire un point universel sur les ODD à l’ONU. La dynamique mondiale semblait faible (selon le Secrétaire général de l’ONU) et - en dehors de la France et du Canada - je n’ai pas vu de membres du G20 prendre le devant de la scène pour porter, dès ce moment-là, une ambition forte pour les ODD. On reste donc vigilants et on sait que la dynamique du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial devra être portée après le SDG Summit : aux Assemblées du FMI et de la Banque mondiale à Marrakech en Octobre et à la COP 28 à Dubaï fin Novembre.

 


Focus 2030 : Les jeunes souhaitent et doivent faire partie des discussions et des solutions, notamment celles prises dans les enceintes multilatérales. L’Institut Open Diplomacy souhaite contribuer à cette plus grande inclusion des voix des jeunes à travers son programme des jeunes délégués. En quoi consiste cette initiative, et pourquoi est-elle si nécessaire aujourd’hui ?

Thomas Friang : Oui c’est nécessaire. Ce n’est pas moi qui vais vous dire le contraire : c’est le message fondateur de l’Institut Open Diplomacy, que je porte depuis 2010 lorsque j’ai créé l’association pour initier le Y20 et le Y8 en amont de la présidence française du G20 de Cannes et du G8 de Deauville.

Aujourd’hui, la participation de la jeunesse est devenue un impératif de tout grand sommet international. De ce point de vue là, avec 13 ans de recul en matière de diplomatie participative dédiée aux générations futures, je peux vous dire que le monde a fait du progrès.

Et ce n’est pas qu’une question “démographique”, avec des puissances émergentes où plus de la moitié de la population a moins de 30 ans. Typiquement, on aurait eu du mal à imaginer la présidence indienne du G20 ne pas faire une place importante au Y20 cette année. Et de fait, nos délégués au Y20 ont joué un rôle majeur pour porter leurs convictions et ont reçu une écoute très attentive lors du sommet comme des autorités françaises. Ils ont déjà pu rencontrer le président de la République, le ministre de la Transition écologique et vont prochainement rencontrer la Secrétaire d’État de la Jeunesse.

Je constate que c’est devenu une figure imposée que même les pays qui ont une démographie nettement différente s’approprient : le G7 présidé par le Japon cette année a fait honneur aux travaux du Y7 que le Premier ministre Fumio Kishida est venu réceptionner en personne à Tokyo. C’est vrai aussi pour la France qui a fondé le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial sur l’ambition d’y intégrer, dès l’ouverture, des voix jeunes. J’y présidais personnellement une table-ronde dédiée à la voix de la jeunesse pour la réalisation des ODD et je peux témoigner du fait qu’on est passé d’événements “pour la photo” il y a 15 ans, à des événements où les propositions et contre-propositions fusent sur le fond.

Toutefois, je reste très attentif à la situation. Pour une raison majeure : nous sommes en pleine régression et pas en transition (au plan mondial). 85% des cibles des ODD sont au rouge. Donc on risque de voir se développer un découragement, voire un cynisme de la jeunesse, pire encore que le youth washing. Si les jeunes quittent l’action en général ou prennent uniquement le parti de la radicalité, nous aurons perdu la principale source d’espoir qui reste : la détermination de la jeunesse à bâtir ce “futur que nous voulons” qui a été imaginé à Rio en 2012 et adopté à Addis Abeba par la planète entière en 2015.

 


Focus 2030 : Pour marquer l’anniversaire de l’adoption des ODD, l’Institut Open Diplomacy organise chaque année depuis 2020 les Rencontres du développement durable (RDD), conférence citoyenne pour discuter des enjeux de solidarité et de transition. L’édition 2023 des RDD, intitulée « Sobriété et souveraineté : une guerre, deux fronts… quels plans de bataille ? » se déroulera en 6 étapes du 5 octobre au 13 décembre. En quoi ces rendez-vous sont-ils pertinents dans le monde d’aujourd’hui, et à quoi pouvons-nous nous attendre pour cette nouvelle édition ?

Thomas Friang : Les RDD sont un rendez-vous indispensable pour notre vie démocratique pour 3 raisons.

D’abord parce que la réalisation des ODD fait appel à des notions complexes, qui mobilisent à la fois des connaissances internationales ou des connaissances spécifiques dans le domaine de l’écologie ou de l’économie par exemple. Il faut faire preuve de pédagogie en démocratie : car savoir c’est pouvoir. Notre première mission est de rendre accessibles au plus grand nombre ces questions qui mêlent les enjeux onusiens à notre quotidien.

Ensuite parce que nous avons besoin d’un rendez-vous annuel pour faire le point. Quand les acteurs engagés ouvrent leur calendrier, ils ne manquent pas de conférences ou d’ateliers : il y a tant d’événements professionnels ou institutionnels qu’on ne sait parfois plus où donner de la tête. Les RDD ne servent pas à cela. C’est un moment de réflexion très ouverte, transpartisane, que l’on instruit avec des chercheurs et des décideurs de premier plan. Prendre le temps de prendre de la hauteur, c’est nécessaire. Chaque année.

Enfin, il y a un élément nouveau : la polycrise s’aggrave. L’agression russe de l’Ukraine a ajouté une troisième crise systémique à celles dont je parle souvent. La première, ce sont les effets socio-économiques à long terme de la pandémie (y compris pour notre santé mentale en tant qu’individus et la santé sociale de nos Nations). La seconde, c’est l’accélération des dérèglements climatiques car depuis l’Accord de Paris sur le Climat, nous n’avons eu de cesse d’augmenter nos émissions de gaz à effet de serre au lieu de les réduire (au plan mondial). Ces deux crises sont systémiques car elles bouleversent tout (notre quotidien, notre travail, nos vacances… et même nos institutions, les modèles économiques de nos entreprises, l’organisation de nos territoires).

S’ajoute en fait une troisième crise systémique - l’onde de choc mondiale du néo-impérialisme russe - qui nous oblige à penser en 3 dimensions. Au-delà de l’horreur que connaissent quotidiennement les Ukrainiens, si on regarde le monde, ses effets sont dévastateurs. Sur l’inflation et la dette, qui vont jusqu’à mettre certains États en faillite. Sur la famine aussi : 20 millions de personnes sont concernées dans la Corne de l’Afrique ! Mais aussi sur le fonctionnement du système international lui-même (il y a tant d’agences et programmes des Nations unies dont le travail est fragilisé par cette agression totalement illégale).

Cet ensemble de crises systémiques forme une polycrise : leurs impacts respectifs viennent amplifier et complexifier les conséquences des autres grandes ruptures. C’est pourquoi nous avons choisi un thème disruptif cette année : il nous faut une hypothèse de réflexion radicale pour répondre au défi de cette époque. Et si le paradigme de la sobriété était la solution à nos problèmes de souveraineté ? Et si nos défis écologiques et géopolitiques étaient liés ? Et si une ambition “double” pouvait déjouer une large partie de cette polycrise ? Si c’est le cas, quel rôle va jouer la planification écologique ? Elle porte principalement sur la réduction des émissions de CO2 et la préservation des ressources, mais elle affiche aussi une ambition de transition juste : est-ce que cela va donc contribuer à la réalisation plus générale de l’ensemble des ODD ? Et est-ce que cette “planification” intègre pleinement les apports de la prospective diplomatique ? Pour qu’on évite de passer d’une dépendance à une autre ? Mieux, pour que notre ambition en matière de développement durable nourrisse la possibilité d’une puissance capable de changer le cours, par la voie européenne, de la grande régression dont je parlais ?

Voilà autant de questions majeures que nous nous poserons ensemble pour ce rendez-vous annuel au service d’un débat public apaisé mais exigeant sur les sujets les plus brûlants de l’époque. Les inscriptions sont gratuites ici : www.les-rdd.fr !

 

 

 

  • Les opinions exprimées dans cet entretien ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.