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Qui se soucie des pays les plus pauvres ?

Publié le 24 octobre 2024 dans Actualités

L’édito d’Arnaud Gaillard, sociologue, chercheur associé à Focus 2030

 

Arnaud Gaillard est sociologue (Sorbonne Paris V). Ses recherches portent sur les mécanismes de pénalité (prison & peine de mort), les droits fondamentaux et les enjeux de développement. Il enseigne à l’Université de Paris-Cité en sociologie filmique et en sémiologie de l’image. Il a également réalisé plusieurs documentaires pour le cinéma ou la télévision. Il est, entre autres, l’auteur de « Sexualité et prison - désert affectif et désirs sous contrainte » (éditions Max Milo - 2009), et de « 999, au cœur des couloirs de la mort » (éditions Max Milo - 2011). Depuis 2019, il siège à la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).
Arnaud Gaillard travaille auprès de Focus 2030 sur le programme de recherche international en sociologie politique, le "Development Engagement Lab" (DEL), en collaboration avec Birmingham University et UCL (Londres).

 

 

 Qui se soucie des pays les plus pauvres ? 

Qui se soucie de nous ? C’était en 1988 le titre d’un succès de Jacques Dutronc. Des paroles que pourraient entonner en chœur les 2,3 milliards de femmes, d’hommes et d’enfants qui ne mangent pas à leur faim, aujourd’hui encore, sur la planète terre (28,9% de la population mondiale). Parmi eux, 692 millions de personnes sont même en «  situation d’extrême pauvreté  », soit presque deux fois la population de l’Union européenne. Si elle existait, cette chorale inaudible chantant Dutronc offrirait l’image morbide de visages décharnés, de corps mutilés, de jeunes dont le regard trahirait déjà le crépuscule de la vie, et de voix devenues aphones à force de hurler dans le silence de l’indifférence internationale. 


En concurrence avec un cortège de problématiques mondiales et, le plus souvent, nationales, on peut dire des enjeux de développement qu’ils demeurent passablement ignorés.


En 1972, seize ans avant cette chanson populaire, l’Assemblée générale des Nations unies avait décidé la création de la Journée mondiale d’information sur le développement (World development Information day). Ce rendez-vous annuel, propre à toutes les journées mondiales dont on finit par oublier l’existence, a été fixé au 24 octobre. Ironie du sort, cette date également consacrée à la lutte contre la polio et à la célébration de l’ONU ne partait pas sous les meilleurs auspices. En concurrence avec un cortège de problématiques mondiales et, le plus souvent, nationales, on peut dire des enjeux de développement qu’ils demeurent passablement ignorés. Pour autant, chacun partage une vague idée de la pauvreté sévissant depuis des générations dans certains pays, que notre imaginaire collectif situe invariablement sur le continent africain. L’expression «  pays en développement  » est relativement appropriée dans le langage courant, si tant est que nous ayons l’occasion de mentionner ces enjeux. C’est-à-dire très rarement. D’ailleurs, si le mot «  développement  » est précis quand il s’agit de nommer les stratégies à mettre en œuvre pour sortir les populations les plus pauvres de leur dénuement, ce mot a également l’inconvénient d’être polysémique. Associé au mot «  durable  » depuis quelques années, le mot développement a, en quelques sortes, été hacké loin des enjeux de pauvreté mondiale, pour devenir un signifiant principal des enjeux environnementaux, soit une portion congrue des 17 Objectifs de développement durable (ODD) de l’Agenda 2030. Ce que le projet de recherche Development Engagement Lab (DEL) porté par UCL & Birmingham University en collaboration avec Focus 2030, mesure trois fois par an depuis 2019, c’est que cette feuille de route mondiale souffre également d’un déficit d’information évident. D’une année sur l’autre, seuls 9 % des Français·es savent (vraiment) ce que sont les ODD, une notoriété sans progression aucune au fil du temps. 


Sur le terrain du réel, il s’agit d’éviter l’enfer existentiel à des centaines de millions de nos semblables actuellement condamnés à des espérances de vie très inférieures aux nôtres. [...] Être mieux informé sur le développement, c’est prendre connaissance des cauchemars subis par les populations dans des géographies lointaines, mais aussi prendre conscience de nos propres chances, ici et maintenant.


C’est donc en conscience que la solidarité internationale ne va pas de soi, que les Nations unies ont instauré cette Journée mondiale encore largement méconnue. L’initiative repose sur l’hypothèse que la méconnaissance des réalités vécues dans les pays pauvres constitue un obstacle à l’engagement des citoyen·ne·s en faveur des efforts que les pays les mieux dotés peuvent et doivent consentir. C’est-à-dire informer sur les manières et les nécessités de pondérer nos privilèges en réunissant tous les convives humains à la même table. Sur le terrain du réel, il s’agit d’éviter l’enfer existentiel à des centaines de millions de nos semblables actuellement condamnés à des espérances de vie très inférieures aux nôtres. À ce sujet, les dernières données (2023) de la Banque mondiale établissent qu’un·e habitant·e du Lesotho ou du Nigéria vivra, en moyenne, 30 ans de moins qu’un·e Français·e. Un écart chiffré qui ne mentionne d’ailleurs pas les abîmes qui nous séparent en termes de conditions d’existence. Être mieux informé sur le développement, c’est prendre connaissance des cauchemars subis par les populations dans des géographies lointaines, mais aussi prendre conscience de nos propres chances, ici et maintenant. D’une certaine manière, c’est concevoir l’universalité de l’espèce humaine, en écho à la pensée de Robert Antelme, et s’accoutumer de cette dimension philosophique pour élaborer les fondements d’une politique mondiale. C’est aussi «  d’abord penser le monde  » par la reconnaissance des interdépendances entre les autres et le soi, en référence à Gilles Deleuze

Un tel niveau d’inégalités à l’échelle planétaire questionne un principe de justice qui ne nous est jamais complètement étranger. Or si aucun de nous n’est coupable d’être né dans un pays à revenu élevé, selon le même principe, personne ne devrait non plus se sentir victime du fait d’être issu d’un pays où règne l’extrême pauvreté. Indépendamment d’une approche qui ne serait que morale, la réponse pratique aux enjeux de développement passe invariablement par tout ce que signifie le registre sémantique de la solidarité ou du partage. Sur le terrain, la pauvreté dont il est question inonde tous les interstices des existences. On peut citer la mortalité infantile et maternelle, l’accès aux services de santé et d’éducation, l’égalité entre les femmes et les hommes, l’accès à l’eau et à un logement décent, la possibilité de s’émanciper par le travail, et tout un ensemble d’aspects déclinés dans les 17 ODD. Sous un angle juridique, ces enjeux sont également traduits dans le corpus des trois générations de «  droits fondamentaux de la personne humaine  ». 

Peut-on vraiment dire que rien n’a jamais été fait pour susciter la solidarité avec les populations vivant dans des pays pauvres ? Pendant l’enfance, nombreux sont ceux·elles d’entre nous qui avons participé à des «  opérations bol de riz  ». Les mêmes peuvent encore entonner «  We are the world  » aujourd’hui. Parmi eux·elles, certains ont même participé au Live Aid en 1985 ou au Live 8 en 2005, deux opérations de sensibilisation gigantesques, consistant en l’organisation de concerts spectaculaires, simultanément sur plusieurs continents. On y écoutait des stars musicales mondiales performer devant des millions de spectateurs pour exprimer dans la liesse musicale d’un événement gratuit, un mouvement de solidarité mondiale avec les populations des pays en développement. Malgré ces initiatives de sensibilisation et bien d’autres encore, reposant notamment sur des dons, des échanges de savoirs ou des projets de coopération, ce que les citoyen·ne·s du monde occidental retiennent aujourd’hui, c’est donc que rien n’aurait vraiment changé depuis ces brefs, sporadiques et symboliques élans de solidarité. Pourtant, les sociétés des pays en développement ont progressé, ce qui semble également ignoré. Depuis plusieurs décennies, on assiste par exemple à l’éclosion d’une classe moyenne et à l’émergence d’une élite dans de nombreux pays du continent africain. Par ailleurs, subir la pauvreté dans un pays développement, n’est pas (ou plus) forcément synonyme de déconnection numérique. Ce qui demeure cependant flagrant, c’est l’ampleur des inégalités affectant les catégories sociales défavorisées dans des pays où les services publics sont défaillants ou inexistants. En 2024, au-delà de l’iconographie largement partagée nous faisant imaginer l’extrême pauvreté autour des enjeux de malnutrition et d’accès à l’eau potable, réfléchir au développement c’est aussi prendre en considération une pléiade d’enjeux interdépendants, notamment les phénomènes migratoires pour échapper aux conflits armés, aux régimes autoritaires, à la prédation des terroristes et des trafiquants, ou aux périls générés par une planète qui s’emballe dans le sillage des bouleversements climatiques. En l’occurrence, les populations issues des pays en développement composent les 6,6 millions de réfugiés (soit 22% des réfugiés mondiaux) enfermés dans des camps à perte de vue, dans des tentes ou des bungalows qui n’offrent que la perspective de la survie des corps en échange de destins sans horizon. 


[...] le principe de proximité corrélant l’importance attribuée à une information avec la proximité du récepteur (lecteur, auditeur, etc.), est sans doute opérante à propos du degré d’intérêt que suscitent les pays en développement.
[...] l’extrême pauvreté autant que les politiques de développement souffrent d’un déficit notoire en termes d’information et de sensibilisation.


Il existe un faisceau d’indices pour expliquer l’endormissement des consciences occidentales vis-à-vis des problèmes endémiques affectant des populations entières condamnées à survivre, depuis la nuit des temps semble-t-il, sur les mêmes zones géographiques. Bien connu du journalisme, le principe de proximité corrélant l’importance attribuée à une information avec la proximité du récepteur (lecteur, auditeur, etc.), est sans doute opérante à propos du degré d’intérêt que suscitent les pays en développement. C’est vrai aussi que lorsque les souffrances s’inscrivent dans la durée jusqu’à constituer un décor familier du sensible, que les narrations échappent à la dimension spectaculaire des catastrophes soudaines, ce que vivent ces femmes, ces hommes et ces enfants, loin, très loin dans des pays inconnus, peine à trouver un écho dans le quotidien des citoyen·ne·s titulaires d’un passeport autorisant à vivre dans un pays développé. Pour autant, si acceptable qu’elle soit, cette observation ne doit pas faire oublier une autre réalité  : l’extrême pauvreté autant que les politiques de développement souffrent d’un déficit notoire en termes d’information et de sensibilisation. Si des initiatives existent, le manque de coordination n’a, semble-t-il, pas permis, jusqu’alors, de constituer un véritable corpus de savoirs, de prises de conscience et d’activisme, à l’instar de ce qui a été généré en moins de vingt ans à propos du réchauffement climatique. Pourtant, dans les deux cas, le jeu des temporalités est similaire (causes passées, dégâts présents et conséquences futures), tandis que la référence géographique au monde clos est identique (ce qui se passe là-bas retentit ici et vice versa). 

Charité bien ordonnée commence par soi-même a-t-on coutume d’entendre. Ontologiquement, il existe effectivement une difficulté à se soucier d’autrui dès lors que règnent, ici aussi, de la misère et des inégalités tangibles à propos desquelles se concentrent la majorité des narrations dans l’espace public. Selon la dernière études du DEL (menée en ligne par YouGov entre le 26 septembre et le 15 octobre 2024 auprès de 5339 adultes en France), 24 % des personnes interrogées reconnaissent «  avoir très peu en commun avec les personnes vivant dans d’autres pays  », du fait d’une litanie de disparités avérées, incluant les géographies, la couleur de peau, les langues, les religions ou la culture. Les Français·es sont cependant plus nombreux (29 %) à ne pas adhérer à cet énoncé. Pour autant, en matière de soutien à la solidarité internationale, les citoyen·ne·s occidentaux sont des Aquoibonistes, pour reprendre l’expression popularisée par Serge Gainsbourg. À quoi bon continuer à alimenter un puit sans fond au bénéfice de dirigeants corrompus  ? Telle est l’antienne exprimée dans cette dernière enquête du projet DEL, 56 % des personnes interrogées en France pensent qu’une bonne partie de l’aide «  finit dans les poches de dirigeants corrompus  » (7 % sont en désaccord avec cet énoncé). Parallèlement, 37 % se sentiraient «  coupables d’ignorer les besoins des gens pauvres dans les pays en développement  » (soit +13 points par rapport à ceux·elles qui pensent l’inverse). Mieux vaudrait donc baisser les bras, fermer les yeux et nier que ce qui arrive à ces millions d’êtres humains n’est, en fait, jamais complètement détaché de nos propres existences. 

Il est facile de regarder ailleurs et se figurer, sans trop de culpabilité, que d’ici en France et en Europe, on ne peut pas grand-chose pour ces pauvres vivant dans les pays en développement. Sinon rien. C’est d’ailleurs ce que l’inertie de l’extrême pauvreté semble démontrer années après années. À bien y regarder de près, tout se passe comme si notre confort (au nord) et nos échanges économiques internationaux reposaient in fine sur la perpétuation des inégalités mondiales. Il serait sans doute simpliste d’imaginer un «  système  » planétaire qui n’aurait d’autres finalités que d’entretenir de la pauvreté quelque part pour mieux produire de la richesse ailleurs. En détail, il n’est effectivement pas aberrant d’identifier des avantages économiques et politiques à ne pas partager équitablement le gâteau des acquis contemporains. La pandémie de Covid-19 en a été une parfaite illustration. Malgré les initiatives conjointes de Covax et de l’OMS, alors que 79 % des personnes vivant dans les pays à revenu élevé avaient reçu au moins une dose de vaccin fin 2023, ce pourcentage chutait à 32 % dans les pays faible revenu


Dire et rappeler des faits, proposer des récits fondés sur des succès tangibles et des incarnations, sensibiliser à des situations chiffrées, incontestées parce qu’incontestables, générer des formes d’adhésion à plus de justice mondiale, telle est la feuille de route de la Journée mondiale d’information sur le développement.


Parallèlement, la méconnaissance des enjeux de développement maquille aussi de bonnes nouvelles. Par exemple, ce que tout le monde semble ignorer, c’est qu’entre 2000 et 2022, 25 pays ont réduit la pauvreté de moitié. Sur la même période, le taux de mortalité maternelle (nombre de décès maternels pour 100 000 naissances vivantes) a baissé d’environ 34 % dans le monde tandis que la mortalité infantile a été divisée par cinq. Derrière ces progrès qui ne tombent pas du ciel, il y a des vies humaines, notamment des existences d’enfants qui représentent au sud comme au nord, les espoirs d’un avenir plus enviable. En suivant la stratégie du What works, ces progrès pourraient-ils inciter à mieux soutenir la solidarité internationale  ? Dire et rappeler des faits, proposer des récits fondés sur des succès tangibles et des incarnations, sensibiliser à des situations chiffrées, incontestées parce qu’incontestables, générer des formes d’adhésion à plus de justice mondiale, telle est la feuille de route de la Journée mondiale d’information sur le développement. Son âme et sa raison d’être. En pratique, c’est également son échec. D’après les études menées par Focus 2030 et le DEL, le niveau de préoccupation des Français·se vis-à-vis de la pauvreté dans les pays en développement oscille dans un sens et un autre entre 45 % et 53 % depuis 2019

En définitive, peut-on sensibiliser sans informer ? En regardant cette dernière vague d’enquête du DEL, on remarque que 20 % des Français·es ont le sentiment d’être «  bien informé sur ce qu’il se passe en Afrique  », 35 % sur ce qu’il se passe dans le reste du monde, contre 44 % sur ce qu’il se passe en Europe et 54 % en France. Qui doit-on blâmer pour ce déficit d’information  ? Questionnées sur la capacité effective qu’ont les médias français à les informer, seules 20 % des personnes interrogées ont l’impression que ces médias couvrent «  correctement ce qu’il se passe  » dans les pays d’Afrique, 34 % ce qu’il se passe dans le reste du monde, 42 % ce qu’il se passe en Europe contre 45 % ce qu’il se passe en France. 

Dans la même étude du DEL, on mesure que ce qui permet «  d’en savoir plus sur les populations et les conditions de vie dans les pays en développement  » est avant tout le fait «  d’avoir vu des séries ou des films qui évoquent ces sujets  » (21 %), le fait «  d’avoir voyagé dans un pays en développement  » (18 %), d’avoir découvert des artistes issus de ces pays (17 %), ou d’avoir découvert la gastronomie de ces pays (15 %). La dernière enquête DEL confirme cette importance du sensible (ou de l’affect) parmi les raisons de l’engagement personnel à l’égard d’une cause internationale  : le fait d’avoir «  été ému·e par la cause  » est la réponse la plus fréquemment sélectionnée (par 22 % des personnes interrogées). Autrement dit, la connaissance des pays en développement repose sur des approches culturelles et sensitives, à l’instar du sentiment d’appartenance à l’Europe abondamment nourri des expériences personnelles dans le cadre des programmes d’échanges de type Erasmus. Sans doute y a-t-il ici une réflexion à élaborer en matière d’information sur le développement. 

Parallèlement, dans cette même étude du DEL, on observe un soutien substantiel à la solidarité internationale. 41 % des Français·es estiment que le gouvernement devrait faire plus d’efforts pour «  réduire la pauvreté, les inégalités, la faim, l’accès inégal à la santé ou à l’éducation et l’impact du changement climatique à l’échelle du monde  ». Près d’un quart des Français·es (23 %) semblent satisfaits des efforts actuels tandis que seuls 18 % pensent que la France fait déjà trop d’efforts. Le soutien en faveur d’une augmentation ou d’un maitien de l’aide publique au développement (APD) est passé de 47 % en décembre 2013 à 55 % en octobre 2024, avec un pic à 68 % en mai 2019. Cette évolution est parallèlement confortée par une dynamique à la baisse du nombre de Français·es souhaitant une diminution de l’APD (43 % fin 2013 contre 29 % en octobre 2024). Pour autant, il faut cependant garder en tête que la connaissance du montant réel de l’APD (ou de son coût par rapport au Revenu national brut) est très approximative, ce qui confirme une carence d’information affectant la qualité du débat citoyen sur cette question. 36 % reconnaissent ne rien savoir du pourcentage de richesse nationale (RNB) consacré à l’APD, 26 % estiment à juste titre que l’APD équivaut à moins de 1 % du RNB (0,5 % en 2024). Tandis que, loin de la réalité, 23 % des Français·es pensent que la France redistribue entre 1 % et 5 % de sa richesse, quand pour 15 % des répondant·e·s, l’APD est supérieure à 6 % du RNB. 


Informer sur le développement, c’est investir les consciences pour réconcilier l’indifférence de l’ailleurs avec la proximité de nos destinées communes.


Or, s’il paraît évident à tout esprit éclairé que les problèmes du monde ne se résoudront pas sans une coopération entre tous les pays, encore faut-il que les instances nationales se chargent de mobiliser l’opinion publique en ce sens, c’est-à-dire à l’exact opposé de la tentation du repli national. La prescription pourrait se résumer ainsi  : donner à savoir et à comprendre avec des faits & chiffres à l’abri des postures idéologiques, tout en osant être didactique en ne négligeant aucune catégorie sociale parmi les différents niveaux d’accès au savoir. Alors que nous sommes déjà arrivés au premier quart de ce siècle numérique, on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’espace public contemporain - s’appuyant en grande partie sur une agora immatérielle constituée d’une constellation de réseaux sociaux dont les seules frontières sont linguistiques - n’est pas davantage investi comme un lieu d’échanges, de rencontres et de prises de conscience de l’altérité à l’échelle mondiale. Il y a là un champ culturel susceptible de faire bouger les lignes en termes de compréhension du monde. Par extension, on peut aussi anticiper, à cet endroit même, l’hypothèse d’un remède contre les arguments populistes, calcifiés de façon irrationnelle sur les phénomènes migratoires. En laissant les citoyen·ne·s aveugles sur ce qui nous rassemble et sur nos intérêts respectifs à organiser le monde sous la forme de partenariats équitables, la pente vers l’oubli de notre humanité commune risque d’être inéluctable. Informer sur le développement, c’est investir les consciences pour réconcilier l’indifférence de l’ailleurs avec la proximité de nos destinées communes. 


À bien y regarder de près, tout se passe comme si en matière de solidarité internationale, les initiatives politiques obéissent le plus souvent à une figure bien connue du Tango : un pas en avant, deux pas en arrière.


Selon les termes des Nations unies, la mobilisation de l’opinion publique en faveur et à propos de la solidarité internationale incombe aux instances politiques et institutionnelles nationales. Un énoncé qui laisse ouvert le champ des possibles et l’imagination des autorités publiques (autant que de la société civile) pour mettre en musique des audaces. Afin de dépasser les incantations et les initiatives avortées, au-delà de célébrer une journée mondiale, il est demandé à chaque État de formuler des objectifs tout en mettant en œuvre des stratégies pour les atteindre. Sans doute est-ce à niveau aussi que le bât blesse, surtout si l’on s’en tient aux récents arbitrages budgétaires de l’État français. Après avoir réduit l’aide publique au dévéloppement de 13 % en 2024, le projet de loi de finances 2025 prévoit une nouvelle coupe de 23 %. Ces renoncements représentent un désinvestissement de la France évalué à 21 milliards d’euros d’ici à 2030. Encore plus contradictoire est d’envisager de supprimer le Fonds de solidarité pour le développement, un dispositif innovant abondé par une partie de la «  taxe Chirac  » sur les billets d’avion et de la taxe sur les transactions financières (TTF) dont la France s’enorgueillissait, à juste titre, sur la scène internationale. À bien y regarder de près, tout se passe comme si en matière de solidarité internationale, les initiatives politiques obéissent le plus souvent à une figure bien connue du Tango  : un pas en avant, deux pas en arrière...

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