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3 questions à Achim Steiner, Administrateur du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD)

Publié le 21 décembre 2023 dans Décryptages , Actualités

3 questions à Achim Steiner, Administrateur du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD)

Propos recueillis le 20 décembre 2023 par Focus 2030.

Focus 2030 : La multiplication des crises, que l’on songe à la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, la ré-émergence du conflit au Proche-Orient, l’endettement historique auxquels font face 52 pays en développement et les promesses non tenue en matière d’aide au développement, de financement de la transition climatique ou de de réformes en profondeur de l’architecture financière internationale ont de toute évidence contribué à fragmenter la communauté internationale. Certains commentateurs parlent d’une situation jamais vécue depuis la chute du mur de Berlin, d’autres de « retour de la fracture Nord-Sud », certains encore qualifient, parfois à regret, de "mort cérébrale" l’état de santé des Nations Unies. Dans quelle mesure cette polarisation à l’œuvre affecte-t-elle la coopération internationale pourtant nécessaire à la réalisation des Objectifs de développement durable ? Comment se manifeste cette incapacité des nations à œuvrer ensemble de votre point de vue ? Quelles conséquences observez-vous au quotidien dans vos actions ?

Achim Steiner : Le monde est peut-être en train de vivre sa plus grande mutation depuis la création des Nations unies en 1945. Il n’y a peut-être pas de guerre mondiale, mais nous assistons au plus grand nombre de conflits violents dans le monde depuis cette date, notamment à Gaza, en Ukraine, en Haïti et au Yémen, ainsi qu’à des "crises oubliées" telles que le Myanmar et le Soudan. Ces conflits ont radicalement inversé les progrès durement acquis en matière de développement, parfois sur plusieurs générations. À l’image du monde, quand les dynamiques géopolitiques sont bouleversées, une partie du travail de l’Organisation des Nations Unies (ONU) devient plus difficile, en particulier lorsque le Conseil de sécurité est divisé. En tant que membres souverains de l’ONU, tous les pays disposent d’une voix égale, ce qui constitue l’un des principaux atouts de l’organisation. Pour autant, ils disposent de ressources et de pouvoirs très différents et ont souvent des intérêts divergents. En dépit de ces contraintes, chaque jour et dans le monde entier, les Nations unies et leurs agences demeurent des partenaires indispensables pour de nombreux pays dans le cadre de ses trois piliers - la paix, les droits de l’homme et le développement - malgré les tensions géopolitiques.

Par exemple, en Afghanistan, où nous travaillons à la création d’emplois et de moyens de subsistance pour des centaines de milliers de personnes, dont de nombreuses femmes ; sur le continent africain, où nous mettons en place un accès à des énergies propres et abordables qui changera durablement les conditions de vie en contribuant à réduire la pauvreté et en faisant progresser l’action en faveur du climat. Ou encore l’opération menée par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et les Nations unies, avec le soutien de nombreux pays, au début de cette année, pour retirer en toute sécurité plus d’un million de barils de pétrole du superpétrolier FSO Safer en décomposition, qui s’était échoué au large des côtes du Yémen. Ce faisant, nous avons évité une catastrophe environnementale et humanitaire aux potentielles conséquences mondiales.

Les Nations unies demeurent la principale instance permettant de réunir les pays de manière régulière pour discuter, résoudre et prévenir les conflits, et trouver de nouvelles voies de coopération. L’ONU est loin d’être parfaite, mais le pouvoir de mobilisation de l’organisation et sa capacité à améliorer la vie quotidienne de millions de personnes à travers le monde - guidée par les Objectifs de développement durable (ODD) qui projettent une vision d’un avenir souhaitable - démontrent qu’elle continue à faire avancer le monde comme aucune autre institution.

 

Focus 2030 : Les résultats de la COP28 semblent démontrer qu’à force de coopération, de débats fondés sur la science, de mobilisations citoyennes, le multilatéralisme n’est pas mort et que des accords d’importance sont encore possible à l’échelle multilatérale en dépit des multiples conflits et compétitions entre les nations. Quel bilan à chaud tirez-vous de ces négociations ?

Achim Steiner : La COP28 a été un moment où beaucoup pensaient que le multilatéralisme échouerait. Pourtant, cette conférence des Nations unies sur le changement climatique a permis à près de 200 pays de se réunir et d’accepter officiellement de "s’éloigner des énergies fossiles" de manière juste et équitable pour la première fois : un pas en avant essentiel dans nos efforts pour résoudre le cœur même du problème climatique de l’humanité. Des frustrations compréhensibles existent quant au fait que le langage convenu aurait pu être plus fort, mais il s’agit du signal le plus clair à ce jour que le monde s’éloigne des combustibles fossiles pour entrer dans une nouvelle ère d’énergies propres et renouvelables. La déclaration doit être considérée comme le point de départ d’une plus grande ambition, et non comme le point d’arrivée.

Alors que l’opérationnalisation du Fonds pour les pertes et dommages aidera ceux qui souffrent le plus des effets du changement climatique, les négociations de la COP ne parviennent toujours pas à débloquer des fonds suffisants pour permettre aux pays vulnérables au climat de mener une action climatique au niveau d’ambition nécessaire. Lors de la COP28, les ressources consacrées au climat n’ont pas augmenté de façon spectaculaire pour aider les nations les plus vulnérables à mettre fin à l’utilisation des combustibles fossiles et à s’adapter aux effets catastrophiques d’un climat plus chaud que nous constatons tous les jours dans le monde entier. La COP de l’année prochaine se penchera sur la question cruciale de la mobilisation des moyens financiers suffisants pour faire face à la crise climatique. Cependant, nous ne pouvons pas attendre une année de plus. Il faut investir dès maintenant. Il est temps d’augmenter les financements, notamment pour l’atténuation, l’adaptation, les pertes et dommages et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Soutenus par un cadre financier adapté et des nouvelles technologies extraordinaires couplées à l’ingéniosité humaine, les pays doivent travailler ensemble pour décarboner leurs économies d’une manière qui soit juste et équitable pour toutes et tous.

 

Focus 2030 : L’année 2024 sera marquée par une série de sommets dont l’issue pourra s’avérer déterminante dans la marche du monde. G20 sous présidence brésilienne, G7 sous présidence italienne, Sommet de l’avenir à l’occasion de la 79ème Assemblée générale des Nations unies, adoption envisagée à l’OMS d’un traité en vue d’une meilleure préparation aux pandémies, COP29, commission sur le statut des femmes, assemblées mondiales de la Banque mondiale et du FMI. De votre point de vue, que 2024 nous réserve-t-il ?

Achim Steiner : Le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a souligné la nécessité urgente de redoubler d’efforts pour s’attaquer directement à une série de problèmes de financement dans l’intérêt de la stabilité mondiale, financière et macroéconomique. Cela intervient alors que nous constatons que le système financier actuel limite, au lieu de le faciliter, l’accès au capital pour les régions et les secteurs qui en ont le plus besoin. Dans le même temps, une analyse du PNUD a montré que les pays à faible revenu consacrent plus de deux fois plus d’argent au service de leur dette qu’à l’aide sociale, perpétuant ainsi la pauvreté chronique et les inégalités qui sont souvent à l’origine des crises, voire des conflits. Les pays en développement ont besoin de 4 300 milliards de dollars par an d’ici à 2030 pour éviter les pires conséquences du changement climatique, mais ils n’’ont pas accès au financement nécessaire pour y faire face. Cela devrait être considéré comme un «  co-investissement  » de la part de notre communauté mondiale, car les conséquences de l’’inaction en matière de climat ont un prix beaucoup plus élevé pour tout le monde.

À l’instar du système de Bretton Woods, qui s’est fondé sur le postulat selon lequel seule la coopération économique permettrait de parvenir à la paix et à la prospérité à l’issue d’un conflit mondial, il est urgent de mettre en place une nouvelle architecture financière internationale. Elle doit aligner les capitaux sur le développement durable et les efforts déployés pour faire face à l’urgence climatique, le plus grand défi de notre communauté mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce sera l’une des questions clés que la présidence brésilienne du G20 et la présidence italienne du G7 devront faire avancer en 2024. Les Nations unies sont déterminées à continuer à soutenir la dynamique dans ce domaine crucial.

L’année prochaine, le monde se réunira au Sommet de l’Avenir pour répondre à des questions essentielles, notamment : comment pouvons-nous anticiper les défis à venir ? Le thème "Au-delà du PIB" figurera également en bonne place à l’ordre du jour, le monde cherchant à concevoir les paramètres de l’avenir, où le progrès ne se mesure pas simplement à l’aune de la croissance du PIB, mais plutôt à celle de la décarbonation, de l’action climatique, de la restauration de l’environnement et des nouvelles possibilités offertes à tous. Le PNUD publiera également la dernière édition de son Rapport sur le développement humain en 2024, qui explorera les moyens de renforcer l’action collective et de relever les défis communs à l’ère de la polycrise. Les Nations unies elles-mêmes doivent continuer à évoluer, en s’appuyant sur des compétences de pointe pour donner un coup d’accélérateur à notre soutien aux populations et à la planète. En bref, l’heure est à l’union des nations : travailler ensemble pour faire en sorte que l’avenir soit moins marqué par la guerre, les conflits et les tragédies, et qu’il soit plus prometteur, plus porteur d’espoir et plus riche en possibilités.

 

  • Les opinions exprimées dans cet entretien ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.