Focus 2030
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3 questions à Afshan Khan, Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et Coordinatrice du mouvement Scaling Up Nutrition (SUN)

Publié le 24 janvier 2025 dans Actualités

La prochaine édition du Sommet Nutrition for Growth, organisée par la France les 27 et 28 mars 2025 à Paris, constitue une occasion unique d’engager la communauté internationale dans une lutte plus efficace contre la malnutrition. En amont de ce Sommet international, Focus 2030 consacre un dossier spécial aux enjeux de (mal)nutrition dans le monde et met en avant les points de vue et attentes d’organisations, de personnalités ou d’acteurs du domaine de la nutrition.

 

 

Interview d’Afshan Khan, Secrétaire générale adjointe des Nations unies et Coordinatrice du mouvement Scaling Up Nutrition (SUN)

Focus 2030 : Aujourd’hui, trois milliards de personnes dans le monde n’ont toujours pas les moyens de manger correctement, et près d’un enfant de moins de cinq ans sur trois souffre de malnutrition. Quelle est la vision du Mouvement SUN pour lutter contre la malnutrition à l’échelle mondiale ? Quelles sont les priorités et stratégies du Mouvement pour lutter contre toutes les formes de malnutrition et apporter des solutions durables et pérennes ? 

Afshan Khan : Une bonne nutrition est la base d’un avenir meilleur, favorisant les progrès en matière de santé, d’éducation et de croissance économique, tout en autonomisant les femmes et en brisant les cycles de pauvreté et d’inégalité. Elle stimule la productivité et la prospérité à la fois au niveau individuel et global. Cependant, l’inverse est également vrai : la malnutrition, y compris le surpoids et l’obésité, freine considérablement le potentiel.

En luttant contre toutes les formes de malnutrition et en s’attaquant à ses causes profondes, les sociétés sont mieux équipées pour faire face aux risques liés au changement climatique, les catastrophes, et la perte de capital humain due à des régimes alimentaires malsains.

Le Mouvement SUN imagine un monde où tout le monde, en particulier les plus vulnérables, a accès à la nutrition nécessaire pour s’épanouir aujourd’hui et à l’avenir. Cela nécessite de prendre en compte les tendances mondiales en matière de nutrition tout en garantissant la disponibilité de données probantes, des ressources et du financement pour y répondre de manière efficace. Au cœur de cette réponse se trouvent les voix du Sud global — les femmes, les enfants et les jeunes — qui, lorsqu’elles sont autonomisées, deviennent des acteurs puissants du changement en matière de nutrition.

Pour y parvenir, le Mouvement SUN réunit les gouvernements, les partenaires et les communautés de tous les secteurs et niveaux politiques, positionnant la nutrition à la fois comme un marqueur et un moteur du développement. Le Mouvement aligne les besoins et priorités des pays avec les ressources mondiales, soutenant des initiatives basées sur la demande. SUN aide les pays à sécuriser les financements, à améliorer les systèmes d’information et à amplifier les efforts de plaidoyer. Il travaille à mettre la nutrition aux agendas mondial et nationaux, en plaidant pour des actions fondées sur des données probantes, transformant les rapports de genre, mettant le pouvoir d’agir des jeunes au centre, et adaptées aux contextes humanitaires. Enfin, SUN est déterminé à promouvoir les solutions nutritionnelles éprouvées, telles que les interventions lors des 1 000 premiers jours de la vie pour lutter contre le retard de croissance, la promotion de l’allaitement exclusif et l’intégration des services de nutrition avec la vaccination, le conseil et le dépistage, qui sont importants dans les États fragiles où les services sont faibles.

 

Focus 2030 : Le Mouvement SUN réunit 66 pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique, tous engagés à améliorer leurs systèmes alimentaires et les résultats en matière de nutrition. Il unit également quatre réseaux SUN – Réseau de la société civile, Réseau des entreprises, Réseau des Nations Unies pour la nutrition et Réseau des donateurs SUN. De par sa position unique sur la scène internationale, comment le Mouvement SUN entraîne-t-il le changement à l’approche du Sommet N4G de 2025 et comment mobilise-t-il les différentes parties prenantes pour se rassembler autour de cet événement crucial ? 

Afshan Khan : Le monde approche d’un moment crucial et d’une opportunité importante pour aborder la question de la nutrition. S’appuyant sur le succès du Sommet N4G de Tokyo en 2021, qui a permis de mobiliser plus de 27 milliards de dollars grâce à 396 engagements de 181 parties prenantes — dont 57 pays SUN — le Sommet de 2025 vise à maintenir cet élan, avec les pays SUN en tête.

Le Mouvement SUN est particulièrement bien placé pour conduire l’action en matière de nutrition à l’approche du N4G. Sa diversité de membres — comprenant des pays, la société civile, des donateurs et le secteur privé — constitue un avantage considérable pour mobiliser des ressources auprès d’un large éventail d’acteurs.

En tant que plateforme de coordination, SUN fait le lien entre les besoins locaux et le contexte mondial en évolution, facilitant l’échange de savoirs et de bonnes pratiques tout en amplifiant les voix locales sur la scène nationale et internationale.

SUN aide les pays à se préparer pour le Sommet. Nous avons contribué à l’élaboration de guides thématiques pour le N4G, qui définissent des critères utiles pour les engagements dans différents secteurs, et soutenu les pays pour revoir et affiner les engagements passés. SUN aide les pays à développer des engagements concrets tout en alignant les priorités nationales sur les objectifs mondiaux, tels que les cibles fixées par l’Assemblée mondiale de la santé ou les Objectifs de développement durable, illustrant ainsi notre rôle dans la mise en relation des contextes local et global. Pour soutenir cela, nous concluons une série d’ateliers régionaux avant le Sommet N4G, axés sur les meilleures pratiques pour assurer la responsabilité et la création d’engagements SMART (spécifiques, mesurables, atteignables, pertinents et limités dans le temps). Il est tout aussi important de garantir que ces engagements soient inclusifs, transparents et soutenus par des parties prenantes diverses, notamment les gouvernements, la société civile, le secteur privé et les voix des communautés.

Le processus d’engagement N4G ne concerne pas seulement la recherche de nouveaux financements pour la nutrition. Souvent, un impact plus important peut être obtenu en intégrant la nutrition aux investissements dans d’autres secteurs, tels que la santé ou le climat. Cette approche est particulièrement cruciale face à la menace croissante du changement climatique, qui devrait aggraver les résultats nutritionnels — le retard de croissance, par exemple, devrait augmenter de 62 % en Asie du Sud.

Ainsi, en tant que SUN, nous aidons les pays à se préparer aux actions nutritionnelles nécessaires dès maintenant, tout en sensibilisant à tous les niveaux sur la manière de "protéger l’avenir" face aux risques croissants liés au climat et aux catastrophes, et à la perte de productivité qui en découle.

 

Focus 2030 : En 2021, le Sommet N4G de Tokyo a permis de mobiliser une somme impressionnante de 27 milliards de dollars provenant de 181 parties prenantes à travers 78 pays, dont 57 pays membres du mouvement SUN. S’appuyant sur cette mobilisation, quelles sont les attentes du Mouvement SUN pour le prochain Sommet N4G à Paris, et selon quelles conditions le Mouvement SUN envisage-t-il que le Sommet contribue à des progrès tangibles en matière de nutrition et assure des engagements durables pour lutter contre la malnutrition dans le monde ? 

Afshan Khan :  Le Mouvement SUN envisage le Sommet N4G de 2025 à Paris comme un moment clé pour mobiliser l’action mondiale contre la malnutrition, mais son succès dépend de plusieurs conditions essentielles.

Tout d’abord, le Sommet nécessite des engagements politiques et financiers audacieux de la part des gouvernements, des philanthropies, de la société civile, des investisseurs et des entreprises — de préférence un travail conjoint pour un impact plus grand. Ces engagements doivent aller au-delà des paroles et se traduire par des actions responsables et mesurées.

Deuxièmement, une analyse des risques et des opportunités dans le système mondial suggère qu’il faut davantage se concentrer sur l’intégration de la nutrition dans les politiques et les budgets d’autres domaines, tels que la santé, le genre, les systèmes alimentaires et le climat. Cela permet aux pays d’atteindre plusieurs objectifs souvent interdépendants tout en optimisant les ressources rares.

Troisièmement, le succès de N4G ne réside pas seulement dans l’événement en soi, mais dans sa capacité à mobiliser mondialement de manière durable pour la nutrition. L’intégration de la nutrition dans des agendas plus larges amplifie le message de N4G à travers des étapes mondiales clés en 2025, telles que le renouvellement des cibles mondiales de nutrition fixées par l’Assemblée mondiale de la Santé, le Sommet sur les systèmes alimentaires, le rassemblement mondial SUN et la COP30.

Quatrièmement, pour assurer l’avenir de la nutrition et garantir une influence signficative, le Sommet doit prioriser les investissements qui autonomisent les jeunes en tant qu’acteurs du changement et promouvoir l’égalité des genres. De plus, les données et la recherche doivent guider les décisions politiques, garantissant que les interventions soient efficaces, durables et inclusives — et que les données probantes nous aident à comprendre comment la malnutrition évolue, et comment nous devons répondre à ce défi. Par exemple, les jeunes d’aujourd’hui vivront dans un monde en 2050 où il est estimé que la moitié des adultes seront en surpoids ou obèses.

Si ces conditions sont remplies, le Sommet N4G de 2025 a le potentiel de permettre des progrès tangibles dans les efforts mondiaux de nutrition, créant un élan vers un avenir plus sain, plus équitable et plus durable — avec une attention et une réponse aux risques et tendances émergents.



NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

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