Publié le 13 mars 2025 dans Actualités
La prochaine édition du Sommet Nutrition for Growth, organisée par la France les 27 et 28 mars 2025 à Paris, constitue une occasion unique d’engager la communauté internationale dans une lutte plus efficace contre la malnutrition. En amont de ce Sommet international, Focus 2030 consacre un dossier spécial aux enjeux de (mal)nutrition dans le monde et met en avant les points de vue et attentes d’organisations, de personnalités ou d’acteurs du domaine de la nutrition. |
Focus 2030 : En tant que fondation ayant pour objectif d’éradiquer la malnutrition dans le monde, quelles sont les solutions les plus rentables que vous soutenez dans la lutte contre la malnutrition ? Ces solutions sont-elles suffisamment étendues et accessibles aux populations qui en ont le plus besoin ? Quelles mesures la communauté internationale peut-elle prendre pour intensifier et développer ces efforts ?
William Moore, directeur général de la Fondation Eleanor Crook : Chaque jour dans le monde, des milliers d’enfants meurent de malnutrition. La malnutrition reste la première cause de mortalité infantile chaque année - elle est responsable de près de la moitié des décès d’enfants dans le monde. Pour ceux qui survivent, la malnutrition dans les premières années de leur vie retarde de façon permanente le développement physique et cognitif de l’enfant, gaspillant ainsi un potentiel dont le monde a désespérément besoin.
Il est difficile d’exagérer la gravité de la crise. Mais, dans un monde plein de crises graves et insolubles, ce qui me donne de l’espoir, c’est que dans le cas de la malnutrition, il y a des solutions.
Nous disposons de décennies de données probantes qui ont donné au monde une feuille de route pour mettre en place des interventions sanitaires rentables et relativement simples qui pourraient éradiquer efficacement la malnutrition sévère.
Il s’agit de solutions telles que des vitamines prénatales de haute qualité pour les femmes pendant la grossesse, le soutien à l’allaitement, la supplémentation en vitamine A pendant la petite enfance et le traitement de la malnutrition sévère avec un aliment thérapeutique à base d’arachide connu sous le nom d’aliment thérapeutique prêt à l’emploi - ou Plumpy’nut. Le Plumpy’nut a été inventé en France dans les années 1990 par un pédiatre nutritionniste français, André Briend.
L’université Johns Hopkins estime que la mise à l’échelle de ces quatre interventions dans neuf pays à forte charge de morbidité permettrait de sauver 1,2 million de vies sur une période de cinq ans, pour un coût d’à peine 1 500 dollars par vie sauvée.
À l’heure actuelle, ces solutions les plus rentables en matière de santé mondiale et de développement n’atteignent que très peu des femmes et des enfants qui en ont le plus besoin. Les raisons de cette triste réalité sont nombreuses et complexes, mais comme pour la plupart des grands problèmes mondiaux, tout se résume à la prise de conscience, au leadership, à l’attention et aux financements.
La communauté internationale doit s’unir pour accroître le financement durable de ces solutions efficientes. Nous devons également faire avancer les réformes des politiques nationales et des cadres mondiaux - et nous devons continuer à faire pression pour obtenir des réformes politiques. Enfin, la communauté internationale doit soutenir les solutions mises en œuvre par les pays. La Fondation Eleanor Crook (ECF) s’est associée aux gouvernements du Ghana, du Sénégal et du Népal pour déployer des solutions contre la malnutrition qui sauvent des vies.
Focus 2030 : Selon vous, comment peut-on augmenter le financement des initiatives de lutte contre la malnutrition ? Quels sont les initiatives, les mécanismes ou les partenariats qui devraient être renforcés ou développés pour accroître l’investissement mondial dans la nutrition ?
William Moore : La malnutrition reste l’un des défis sanitaires mondiaux les plus pressants - et pourtant les investissements dans des solutions à fort impact et rentables sont à la traîne par rapport à d’autres priorités de développement.
Les gouvernements, les ONG et les organisations philanthropiques doivent collaborer pour faire en sorte que les solutions spécifiques à la nutrition soient priorisées. Plutôt que de diluer la nutrition dans des programmes de développement plus larges, nous devrions nous pencher sur les solutions les plus efficaces et les plus rentables, dont il est prouvé qu’elles réduisent les taux de malnutrition et sauvent des vies dès maintenant.
Par exemple, un investissement de 1,1 milliard de dollars au cours des cinq prochaines années dans une vitamine prénatale connue sous le nom de Suppléments de micronutriments multiples (MMS) pourrait sauver plus d’un demi-million de vies, améliorer les résultats à la naissance pour plus de cinq millions de bébés et prévenir l’anémie - une crise de santé publique largement cachée - chez plus de 15 millions de femmes enceintes. Dans certains contextes, l’introduction de MMS est l’un des moyens les moins coûteux de sauver une vie. Les multivitamines prénatales comme les MMS ont été reconnues comme l’une des solutions les plus rentables en matière de santé mondiale. Pourtant, malgré tout ce que nous savons sur l’importance d’une bonne nutrition pendant la grossesse, tant pour la mère que pour le bébé, la nutrition maternelle - et les MMS - ont été négligés et sous-financés.
En outre, les programmes ciblés qui traitent les enfants souffrant de malnutrition aiguë devraient figurer en tête de tous les programmes de développement. Nous savons que l’investissement dans des solutions comme celles-ci permet de sauver des vies ; du reste, le New York Times a rapporté que l’augmentation du financement des aliments thérapeutiques prêts à l’emploi a conduit à une augmentation de 73 % des taux de couverture en 2023, pour un total de 1,2 million de vies d’enfants sauvées.
Des initiatives telles que le Fonds pour la nutrition des enfants constituent des mécanismes de cofinancement structurés visant à catalyser le financement des MMS et d’autres solutions nutritionnelles essentielles. Grâce à ce mécanisme de financement, les gouvernements ont la possibilité de doubler leurs investissements dans des interventions nutritionnelles modulables telles que les MMS et les RUTF, en tirant parti des contributions des donateurs pour accroître la couverture et sauver davantage de vies.
Focus 2030 : Le prochain sommet N4G sera accueilli par la France à Paris les 27 et 28 mars. Comment la communauté internationale peut-elle tirer parti de cet élan pour mener des actions significatives lors du prochain sommet ? Quel rôle la Fondation Eleanor Crook jouera-t-elle dans l’avancement de ces efforts ?
William Moore : Le Sommet Nutrition pour la croissance (N4G) à Paris offre à la communauté internationale une occasion unique de mener une action collective pour lutter contre la malnutrition. À l’occasion de ce sommet, nous exhortons d’autres donateurs publics et privés à rejoindre la Fondation Eleanor Crook et à s’engager à réorienter leurs ressources vers l’extension des solutions les éprouvées et les plus rentables.
À une époque où les ressources sont rares, nous devons concentrer nos efforts sur les solutions les plus rentables et éprouvées.
Pour généraliser les solutions qui sauvent des vies comme les multivitamines prénatales, il est essentiel que les gouvernements et les donateurs se joignent aux organisations philanthropiques pour réaliser des investissements qui s’attaqueront à ce problème mondial omniprésent et qui peut être résolu. Lors du sommet, la Fondation Eleanor Crook fera une annonce importante concernant une contribution catalytique à cet effort.
Il n’est pas inutile de rappeler que la malnutrition est l’un des problèmes les plus anciens et les plus répandus de l’humanité. Nous vivons en 2025, au quart du XXIe siècle. Nous bénéficions d’avancées technologiques dont nos grands-parents n’auraient jamais rêvé. Et pourtant, nous n’avons toujours pas résolu ce problème, même si nous disposons des outils et des solutions nécessaires. Dans le monde entier, des millions d’enfants meurent d’une cause évitable. Nous devrions tous nous en préoccuper, à la fois parce qu’il s’agit d’une grande tragédie et parce qu’elle a des répercussions sur la stabilité mondiale, la paix et les migrations. Tant que des milliers d’enfants mourront de malnutrition chaque jour, nous n’aurons jamais un monde en paix.
NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.