Publié le 27 février 2025 dans Actualités
La prochaine édition du Sommet Nutrition for Growth, organisée par la France les 27 et 28 mars 2025 à Paris, constitue une occasion unique d’engager la communauté internationale dans une lutte plus efficace contre la malnutrition. En amont de ce Sommet international, Focus 2030 consacre un dossier spécial aux enjeux de (mal)nutrition dans le monde et met en avant les points de vue et attentes d’organisations, de personnalités ou d’acteurs du domaine de la nutrition. |
Focus 2030 : Nutri’zaza se distingue par son approche innovante dans la lutte contre la malnutrition à Madagascar. Pourriez-vous nous raconter l’histoire de l’entreprise et nous expliquer en quoi consiste votre approche pour lutter contre la malnutrition ?
Mandresy Randriamiharisoa, Directeur général de Nutri’zaza : À Madagascar, la malnutrition infantile est un fléau qui touche encore trop d’enfants. Face à cette urgence de santé publique, Nutri’zaza est née en 2013 avec une mission claire : offrir aux enfants malgaches une alimentation adaptée et accessible pour leur garantir une croissance saine.
Mais Nutri’zaza, n’est pas qu’une simple entreprise, c’est une entreprise sociale qui allie engagement humanitaire et modèle économique durable.
L’histoire commence avant 2013, avec des projets de développement et de lutte contre la malnutrition, menés par le Gret et financés par l’Agence Française de Développement. Forte des résultats obtenus avec l’appui d’acteurs engagés comme l’entreprise TAF, la SIDI, l’association APEM et d’autres, conscient de la durabilité limitée des projets, l’initiative a pris une nouvelle ampleur : faire de l’accès à une alimentation de qualité une réalité pour les enfants malgaches, peu importe leur milieu social, et cela à travers un modèle d’entreprise sociale.
Le produit phare de Nutri’zaza est la Koba Aina, une bouillie locale fortifiée en micronutriments. Conçue spécifiquement pour couvrir les besoins des enfants de 6 à 24 mois, cette bouillie en apportant les besoins journaliers des enfants prévient la malnutrition chronique. D’autres produits adaptés à d’autres cibles voient le jour, tels que la Pobary Aina, une barre de céréale fortifiée, adaptée aux enfants de plus de 3 ans, mais aussi le Moosli Aina, le premier produit de type muesli fabriqué à Madagascar, destiné à couvrir les besoins en nutriments des enfants à partir de 6 ans.
Pour garantir la disponibilité maximale des produits, Nutri’zaza a mis en place 3 réseaux de distribution, permettant ainsi de couvrir le territoire national.
Nutri’zaza a développé un réseau unique d’ hotelin-jazakely, littéralement des restaurants pour bébés. Ces centres, situés dans les quartiers vulnérables, proposent des bouillies prêtes à consommer, à un prix accessible. Ce n’est pas juste un restaurant, c’est aussi un lieu d’échange et de partage. Couplé à ce réseau, Nutri’zaza dispose d’un réseau d’animatrices issues de ces mêmes quartiers vulnérables, pour assurer la distribution quotidienne de la Koba Aina pour chaque famille.
En second lieu, pour toucher encore plus de familles, Nutri’zaza a aussi élargi sa distribution. Aujourd’hui, via son réseau de distribution classique, ses produits sont disponibles dans plus de 8 200 points de vente à travers Madagascar : petites épiceries, supermarchés, … L’objectif reste le même : que chaque famille puisse accéder facilement à une alimentation nutritive et adaptée.
Et enfin, Nutri’zaza, à travers des partenariats avec des ONG et des associations, atteint des milliers d’enfants, même dans les zones les plus enclavées.
Cette approche multi-réseau permet d’assurer une véritable inclusion alimentaire.
En une décennie, plus de 105 millions de repas ont été distribués, et l’entreprise compte aujourd’hui près de 273 employés qui travaillent chaque jour avec passion pour un avenir sans malnutrition.
Le slogan de Nutri’zaza est le suivant « Une entreprise sociale au service des enfants et des familles malgaches », mais bien au-delà de l’aspect nutritionnel, Nutri’zaza se propose d’aider les enfants, les parents, à réaliser leurs rêves.
Focus 2030 : Quels sont les principaux défis nutritionnels auxquels Madagascar fait face aujourd’hui ? Quels objectifs Nutri’zaza s’est-elle fixés pour contribuer à y répondre ?
Mandresy Randriamiharisoa : Le principal défi nutritionnel auquel Madagascar fait face aujourd’hui, est la malnutrition chronique infantile. Mais ce n’est pas le seul. En plus de revêtir plusieurs formes, la malnutrition touche plusieurs domaines tels que la malnutrition infantile proprement dite, et des problèmes comme l’anémie, les carences en micronutriments et l’insécurité alimentaire qui affectent une grande partie de la population, en particulier les plus vulnérables.
Face à cette situation, Nutri’zaza s’est engagé depuis des années à apporter des solutions concrètes et accessibles. En s’alignant avec la Politique Nationale sur la Nutrition de Madagascar qui vise à réduire la malnutrition chronique, améliorer l’accès à une alimentation de qualité et sensibiliser les familles aux bonnes pratiques nutritionnelles, Nutri’zaza propose plusieurs solutions.
Nutri’zaza en premier lieu, mise sur une approche à la fois simple et efficace. D’abord, en développant des aliments fortifiés, adaptés aux besoins des enfants, et des différentes cibles de la malnutrition, produits avec des matières premières locales, respectant les standards internationaux et locaux de qualité et de nutrition, disponible partout, et surtout à un prix accessible, même pour les plus vulnérables.
Nutri’zaza s’appuie également sur un réseau de distribution innovant qui permet d’atteindre directement les familles. Les hotelin-jazakely, comme dit dans ma réponse d’avant, ces petits restaurants pour bébés installés dans les quartiers défavorisés, offrent chaque jour des repas équilibrés à des milliers d’enfants. À cela s’ajoute la vente en porte-à-porte, assurée par des animatrices locales, qui non seulement rend les produits disponibles partout, mais sensibilise aussi les familles à l’importance d’une alimentation équilibrée.
Au-delà de la nutrition, Nutri’zaza joue aussi un rôle économique et social.
En employant plus de 275 personnes, dont 75 % de femmes, l’entreprise permet à de nombreuses familles de gagner un revenu stable. Ces femmes, souvent issues des mêmes quartiers que les bénéficiaires, sont formées aux bonnes pratiques nutritionnelles et deviennent des relais essentiels pour diffuser les messages de sensibilisation.
L’objectif que s’est fixé Nutri’zaza pour les prochaines années est ambitieux mais réalisable : atteindre encore plus d’enfants et de familles en renforçant la distribution des produits fortifiés, en multipliant les hotelin-jazakely, en proposant en complément de la nutrition divers services à hautes utilités sociales, et en innovant pour toujours mieux répondre aux besoins nutritionnels des familles malgaches.
Madagascar ne pourra surmonter la malnutrition qu’avec des solutions durables et adaptées, et Nutri’zaza de par son modèle entend bien être un acteur clé de ce combat.
Focus 2030 : Le sommet international Nutrition for Growth, qui se tiendra en mars 2025 en France, vise à mobiliser une diversité d’acteurs - États, organisations internationales, société civile, secteur privé, recherche - autour de la prise d’engagements politiques et financiers pour la nutrition. Quels engagements concrets souhaiteriez-vous voir pris pour lutter contre la malnutrition ?
Mandresy Randriamiharisoa : La lutte contre la malnutrition à Madagascar repose sur une mobilisation collective où chaque acteur doit jouer un rôle complémentaire.
Les membres du secteur privé tel que Nutri’zaza, qui y contribuent déjà par la production et la distribution d’aliments fortifiés et enrichis, ne peuvent réussir pleinement leurs engagements sans un soutien fort du gouvernement et une dynamique de collaboration avec les autres parties prenantes.
Ces soutiens doivent se traduire en engagements, qui doivent être accompagnés d’un environnement propice à l’investissement et à l’innovation, mais surtout d’une transparence dans la gestion et la gouvernance. Il est indispensable de mettre en place des mesures concrètes pour encourager le secteur privé, notamment en facilitant l’accès aux financements, en instaurant des incitations fiscales (tel que la détaxation des compléments minéralo-vitaminiques), en renforçant les normes de fortification alimentaire, et en mettant en place des systèmes de contrôle pour éviter l’effet marketing sans impact social. La mise en place de politiques qui favorisent l’intégration des produits nutritifs fortifiés locaux dans les programmes publics, tels que les cantines scolaires et les initiatives de sécurité alimentaire, est également essentielle pour garantir un impact à grande échelle.
Pour que ces engagements se traduisent en résultats concrets, une véritable synergie entre les différents acteurs est nécessaire. La collaboration entre le secteur privé, les institutions publiques, les chercheurs, la société civile et les partenaires techniques et financiers est essentielle pour structurer des actions efficaces et durables. Il ne s’agit pas seulement de juxtaposer des initiatives, mais de les rendre complémentaires, de partager des connaissances et d’unir les forces pour maximiser l’impact des efforts engagés. L’innovation dans le domaine de la nutrition doit être soutenue par des politiques publiques adaptées, les financements doivent être orientés vers des projets à fort potentiel et les stratégies doivent être élaborées en concertation pour assurer une approche cohérente et inclusive.
Le Sommet N4G représente une opportunité unique pour Madagascar d’affirmer sa volonté de transformation en inscrivant ces engagements dans une démarche durable.
Il ne suffit plus à travers des discours de déclarer des intentions, mais bien d’agir en profondeur pour que la nutrition devienne un véritable levier de développement économique et social. Seule une volonté politique forte de l’État, une approche coordonnée et un engagement collectif permettront de garantir à chaque Malgache un accès pérenne à une alimentation saine et nutritive.
NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.