Publié le 9 juin 2023 dans Actualités
Les 22 et 23 juin 2023, un Sommet pour un nouveau pacte financier mondial se tiendra à Paris, organisé par la France. De nombreux dirigeant·e·s d’États, de gouvernements, d’organisations internationales, de la société civile et du secteur privé seront invités à discuter des solutions de financement du développement mondial et de la transition climatique. Afin de décrypter les enjeux de ce Sommet, Focus 2030 souhaite recueillir et mettre en avant le point de vue d’organisations expertes dans leurs domaines respectifs et réalise une série d’entretiens avec des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. Découvrez le dossier spécial sur le Sommet, ainsi que l’ensemble des autres entretiens avec des expert·e·s, personnalités et acteurs de la solidarité internationale en amont de l’évènement. |
Propos recueillis le 4 juin 2023.
Focus 2030 : Les récentes crises internationales ont entraîné un recul des progrès accomplis ces dernières années vers l’atteinte des Objectifs de développement durable, un renversement exacerbé par la crise climatique qui affecte tout particulièrement les pays du Sud à tel point que certains d’entre doivent faire face à de véritables crises humanitaires. Ainsi, Oxfam rappelle que 18,6 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique vivent actuellement en situation d’insécurité alimentaire. Alors que se tiendra à Paris le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial les 22 et 23 prochains, comment et pourquoi selon vous importe-t-il de faire face simultanément au double défi du climat et de la lutte contre les inégalités mondiales ?
Cécile Duflot : Les derniers épisodes de canicule en France et le méga-feu de Gironde ont été une prise de conscience pour beaucoup que notre pays ne serait pas épargné par le changement climatique. Pourtant, c’est au-delà de nos frontières que la crise climatique a d’ores et déjà les conséquences les plus dramatiques. Parmi ses impacts les plus tangibles, la faim, qui tue des milliers de personnes toutes les semaines. Les régions du Sahel et de la Corne de l’Afrique sont en effet en première ligne de dérèglements climatiques sans précédent, qui s’ajoutent à des crises économiques, sociales et politiques préexistantes. Instabilité politique, conflits prolongés, pauvreté extrême, inégalités criantes, impact économique de la pandémie de Covid-19, montée en flèche des prix des denrées alimentaires, du carburant et des engrais… autant de facteurs qui déstabilisent et fragilisent déjà ces régions. Ces multiples crises ont toutes des conséquences communes dramatiques. Elles impactent directement l’extrême pauvreté, remettent en cause l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) et montrent à rebours l’inaction inacceptable des pays riches pourtant principaux responsables de la situation.
Il est important d’associer ces enjeux car les changements climatiques et les phénomènes météorologiques extrêmes qui les accompagnent, de plus en plus nombreux et violents, réduisent les capacités des populations à mettre en place des stratégies de survie et de résilience pour faire face aux chocs, augmentent fortement leur surendettement pour y faire face et donc limitent aussi leur possibilité de développement de plus long terme, en particulier des services sociaux de base.
Les pays riches, historiquement à l’origine de ce dérèglement climatique global, ont une double responsabilité : agir pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et aider les populations les plus vulnérables à s’adapter. Dans le même temps, ces pays ont une autre responsabilité : veiller à ce que les ODD soient atteints par toutes et tous en soutenant les populations les plus vulnérables. Paradoxalement, nous vivons à l’heure actuelle dans un monde plus prospère que jamais, et pourtant à l’échelle du monde, on observe que la pauvreté est géographiquement très inégalitaire. C’est dans ce cadre que l’aide internationale, entre autre, a un rôle à jouer. Elle doit être réfléchie comme une forme de redistribution mondiale qui contribue à réduire les inégalités dans le monde ou à combler les lacunes entre les pays riches et les pays pauvres. Cette redistribution n’est pas un acte de charité. Dans un monde de profusion, où les pays de l’OCDE affichent un revenu par habitant 52 fois supérieur à celui des pays à faible revenu et où la fortune des pays les plus riches s’appuie sur l’exploitation passée et en cours du monde en développement, c’est une question de justice.
Là encore, les pays riches ne sont pas au rendez-vous. Par exemple, alors qu’une personne meurt de faim toutes les 28 secondes au Kenya, en Éthiopie, en Somalie et Soudan du Sud, à peine 62 % des besoins de financements humanitaires ont été comblés dans ces pays en 2022. Dans le cas de la France ce n’est que 1,2 % de cette somme totale. Nous savons que les besoins vont continuer d’exploser cette année, par conséquent le sommet est une occasion pour s’assurer que les pays riches acceptent de faire face à leur responsabilité face au changement climatique, mais aussi aux inégalités mondiales et l’atteinte des ODD.
Focus 2030 : Oxfam a réalisé une estimation des besoins financiers nécessaires pour répondre aux exigences de développement et de lutte contre le changement climatique des pays à revenu faible et intermédiaire. 27 000 milliards de dollars devraient ainsi être mobilisées d’ici à 2030. Selon vous, quels seraient les politiques publiques à privilégier pour mobiliser ces financements additionnels ?
Cécile Duflot : L’histoire récente nous a appris que, lorsque la volonté politique est suffisante, les gouvernements trouvent les moyens de mobiliser d’énormes sommes d’argent. Lorsque la pandémie a frappé, les pays riches ont immédiatement puisé dans leurs poches pour trouver des milliers de milliards de dollars. Il en a été de même pour la guerre en Ukraine. C’est ce genre d’ambition et d’urgence qu’il nous faut aujourd’hui.
Les pays riches pourraient prendre quatre mesures en 2023 pour répondre aux besoins de 27 400 milliards de dollars :
Premièrement, tenir les promesses d’aide et rembourser la « dette des promesses non tenues ». La première étape consiste, pour les puissances économiques les plus riches, à tenir les promesses qu’elles ont faites aux pays les plus pauvres. Il existe des preuves irréfutables que ces aides permettent de sauver des vies et de réduire les inégalités. Pourtant, les pays riches ont résolument manqué à leurs promesses d’aide, ne finançant pas le soutien aux pays à revenus faible et intermédiaire à hauteur de 6 500 milliards de dollars depuis l’adoption de la résolution des Nations unies sur les 0,7 % en 1970. Les pays riches ont l’obligation de respecter leur engagement de 0,7 % en le pérennisant et en commençant à rembourser leur dette d’aide.
Ensuite, s’engager pour un « échange de dette climatique ». Le système actuel attend des pays en développement qu’ils empruntent des montants beaucoup trop élevés pour relever le défi climatique. Cela contribue non seulement à alourdir le fardeau de la dette des pays les plus pauvres, mais aussi à réduire les sources de financement à leur disposition. Par exemple, près des deux tiers des pays éligibles à l’IDA - l’institution de la Banque mondiale qui aide les pays les plus pauvres de la planète - sont en situation ou en risque élevé de surendettement, ce qui signifie qu’ils ne sont plus éligibles aux prêts concessionnels. Mais il existe une solution. Les pays à revenu élevé pourraient eux-mêmes emprunter 11 500 milliards de dollars pour aider à payer la facture climatique des pays en développement. C’est moins que ce qu’ils ont emprunté pour faire face à la pandémie uniquement en 2020. Cet « échange de dette climatique » pourrait contribuer à financer les besoins en matière d’atténuation du changement climatique, d’adaptation et de pertes et dommages, afin de les aider à relever le défi du changement climatique.
Troisièmement, émettre des Droits de tirage spéciaux (DTS) supplémentaires. Les avantages de l’émission de DTS de 2021, d’un montant de 650 milliards de dollars, ont été énormes. 98 pays en développement ont utilisé ces DTS, notamment pour acheter des vaccins, financer des prestations sociales et des salaires, ainsi que pour le soutien budgétaire. Les pays riches devraient non seulement accélérer la réaffectation d’au moins 100 milliards de dollars de l’émission actuelle de DTS en faveur des pays en développement, mais aussi s’engager à procéder à au moins deux nouvelles émissions de 650 milliards de dollars d’ici à 2030.
Enfin, Oxfam demande la mise en place d’un impôt progressif sur la fortune nette allant jusqu’à 5 %, permettant d’ajouter 1 100 milliards de dollars annuels aux budgets des pays donateurs.
La mise en place d’impôts progressifs sur la fortune et des droits de tirage spéciaux mieux répartis (DTS) suffiraient à financer ces politiques de bon sens et bien plus encore. L’essentiel des ressources levées pourraient être versées en aide publique au développement et en financements climat via le Comité d’aide au développement de l’OCDE. Et l’argent en excédent permettrait également aux pays riches de réaliser des investissements stratégiques visant à réduire les inégalités dans leurs propres pays.
Focus 2030 : Oxfam et de nombreuses ONG entendent mobiliser les citoyennes et les citoyens afin de faire pression sur les responsables prenant part au Sommet pour un nouveau pacte financier afin de susciter des engagements ambitieux pour lutter contre la pauvreté et les dérèglements climatiques. Comment s’engager à vos côtés ?
Cécile Duflot : Oxfam travaille sur l’ensemble des sujets discutés lors de ce sommet, par conséquent les engagements peuvent être multiples.
Oxfam France a avant tout œuvré pour constituer une coalition avec les principales ONG françaises et internationales actives sur la promotion d’un environnement financier mondial plus juste envers les pays du Sud. Dans cette optique, la deuxième quinzaine de juin 2023, la coalition propose une campagne avec pour objectif de pousser les décideurs politiques de premier plan à prendre des engagements tangibles vis-à-vis des pays des Suds avec comme priorités le financement de l’action climatique et le combat contre la propagation de la faim dans le monde. Il sera possible de s’informer via des articles de fond mais notre coalition proposera aussi des vidéos de décryptage et des tribunes communes qui seront publiées et relayées sur le site d’Oxfam France, sur les réseaux sociaux et par les organisations partenaires. Tout un chacun pourra relayer cette campagne sur les réseaux, si il ou elle le souhaite.
En parallèle, depuis plusieurs mois désormais, Oxfam met en exergue la gravité de la situation humanitaire au Sahel et dans la Corne de l’Afrique. On estime qu’une personne toutes les 28 secondes meurt de faim en Éthiopie, au Kenya, en Somalie et au Soudan du Sud, pays ravagés par la sécheresse. Dans ces pays, Oxfam fournit de l’eau potable et une aide financière rapide et flexible en liquide aux populations concernées. Ces actions d’urgence sont associées à un soutien à plus long terme pour aider les communautés à être plus résilientes face aux changements climatiques.
Face au désintérêt de la communauté internationale face à ces crises, Oxfam France tente d’interpeller le Président de la République sur l’importance de renforcer notre aide humanitaire. Nous invitons donc le plus grand nombre à signer cette pétition et la partager autour d’eux. Nous rappelons au Président de la République que la solidarité n’est pas un choix mais un devoir. Pour lutter contre la faim et sauver des millions de vies, la France doit, dès cette année 2023, porter son aide humanitaire à 1 milliard d’euros, en s’assurant qu’au moins la moitié réponde à la crise au Sahel et dans la Corne de l’Afrique.
Enfin, dans cette optique Oxfam France organisera aussi un grand live stream : le Oxfight : Oxfam for Climate en amont du sommet. Durant plusieurs dizaines d’heures, streamers, gamers et viewers seront challengés pour sensibiliser le plus grand nombre à l’importance de la solidarité internationale.
|