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3 questions à Jeroo Billimoria, Co-fondatrice de One Family Foundation et de Catalyst 2030

Publié le 9 juin 2023 dans Actualités

Les 22 et 23 juin 2023, un Sommet pour un nouveau pacte financier mondial se tiendra à Paris, organisé par la France. De nombreux dirigeant·e·s d’États, de gouvernements, d’organisations internationales, de la société civile et du secteur privé seront invités à discuter des solutions de financement du développement mondial et de la transition climatique. 

Afin de décrypter les enjeux de ce Sommet, Focus 2030 souhaite recueillir et mettre en avant le point de vue d’organisations expertes dans leurs domaines respectifs et réalise une série d’entretiens avec des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. 

Découvrez le dossier spécial sur le Sommet, ainsi que l’ensemble des autres entretiens avec des expert·e·s, personnalités et acteurs de la solidarité internationale en amont de l’évènement.

 

3 questions à Jeroo Billimoria, co-fondatrice de One Family Foundation et de Catalyst 2030

Propos recueillis le 4 juin 2023 par Focus 2030.

Focus 2030 : Vous êtes la cofondatrice de la Fondation One Family, qui incube Catalyst 2030, une organisation dont l’objectif est la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) d’ici à 2030 grâce à la coopération, l’innovation et l’action collective. Le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial vise à identifier des solutions pour mobiliser des fonds supplémentaires afin de lutter contre la pauvreté dans le monde et les changements climatiques par le biais d’une réforme de l’architecture financière internationale et de mécanismes de financement innovants. Dans quelle mesure considérez-vous ce Sommet comme une opportunité pour mobiliser à la fois les acteurs de la lutte contre la pauvreté et ceux de la lutte contre les changements climatiques ?

 

Jeroo Billimoria : Ce sommet est une occasion en or pour initier véritablement des réformes financières mondiales à grande échelle. Quatre étapes clés sont nécessaires pour y parvenir.

1. Remettre le développement entre les mains des populations 

Redonner le pouvoir aux personnes concernées n’est pas seulement une question éthique, c’est aussi une question de logique. En travaillant conjointement avec les communautés pour identifier les objectifs, élaborer des stratégies et créer des relations de collaboration en interne et avec des acteurs externes, la durabilité peut être intégrée dans le développement, tout en tirant parti des forces de la communauté et des responsables locaux.

2. Financer les innovations sociales au niveau local

Les acteurs de l’innovation sociale sont généralement des membres des communautés locales et sont confrontés à la réalité depuis des années. Ce faisant, ils ont mis au point des solutions qui recueillent l’adhésion de la communauté, qui s’appuient sur des ressources et les populations locales et ont prouvé qu’elles atteignaient leurs objectifs. Le rapport Turning Wheels, publié en mai 2023 par les membres du réseau Catalyst 2030, met en lumière l’incroyable pouvoir des solutions innovantes, élaborées et mises en œuvre localement, pour atteindre les ODD. 

3. Optimiser l’efficacité du déploiement de l’aide

Lorsque des solutions émanant directement des acteurs présents sur le terrain sont financées, elles sont très efficientes, très concluantes et engendrent beaucoup moins de pertes financières en termes de planification et d’administration que les organisations qui ne sont pas basées et dirigées par les populations locales. Une étude de Sharetrust estime que le transfert de 25 % de l’aide accordée par les Nations unies et les organisations internationales de développement directement vers des acteurs locaux se traduirait par des économies de 4,7 milliards de dollars par an.

4. Mettre en œuvre trois mécanismes de financement simples et innovants

  • Appliquer le principe du centime par transaction (« One Cent principle ») sur tous les paiements en ligne par carte de crédit (contribution annuelle de 4,27 milliards d’USD d’ici 2026) ainsi que sur les transferts financiers internationaux (recettes de 153 millions d’USD par an).
  • La restitution des subventions/avantages fiscaux par les entreprises privées lorsqu’elles réalisent des bénéfices (sur la base des données des États-Unis et de l’UE, plus de 500 milliards d’USD (sous réserve de confirmation) pourraient être mobilisés chaque année).
  • Mettre en place une taxe « People and Planet » de 2 % sur les 5 000 plus grandes entreprises mondiales (pour mobiliser 147 milliards de dollars) et de 10 % sur le marché démesuré du luxe (pour mobiliser 120 milliards de dollars par an). 

En développant la nouvelle « boîte à outils » de financement lors de ce sommet, les chefs d’Etats et de gouvernement ont une réelle opportunité de s’engager en faveur de solutions de première ligne et de les soutenir au niveau institutionnel mondial. Le guide « New Allies » présente des moyens simples, concrets et novateurs pour mettre en place cette collaboration. En s’associant aux acteurs de l’innovation sociale, en leur donnant une voix et un siège à la table des négociations, on s’assurera que les besoins des communautés locales sont entendus, que les solutions innovantes sont mises en avant et que des progrès peuvent être accomplis dans la réalisation des ODD. 

 


Focus 2030 : Le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial envisage d’encourager la participation du secteur privé pour mobiliser davantage de fonds pour le développement et le climat. Comment pouvons-nous mobiliser les ressources du secteur privé ?

 

Jeroo Billimoria : Le débat sur la mobilisation des ressources du secteur privé ne devrait pas seulement porter sur de nouveaux fonds, mais aussi sur l’amélioration de l’environnement commercial existant pour le rendre plus durable et plus éthique. Il s’agit d’améliorer le cycle de vie des produits, de prendre en compte les externalités négatives et de créer une réelle valeur ajoutée de toutes les parties impliquées tout au long de la chaîne de valeur. En s’associant à des acteurs de l’innovation sociale, le secteur privé sera en mesure de mieux prendre en compte ces éléments tout en créant de meilleurs résultats pour les communautés concernées.

1. S’engager en faveur de la production circulaire et de la prise en compte des externalités

Le modèle de production actuel tend à privilégier un usage et une destruction à court terme, ce qui contribue fortement aux 2 milliards de tonnes de déchets destinés à être mis à la décharge dans le monde chaque année, selon les estimations. Ce n’est pas seulement irresponsable, c’est aussi fondamentalement insoutenable. Le secteur privé doit s’engager à créer des produits de meilleure qualité et plus durables qui peuvent être réparés et, lorsqu’ils ont atteint la fin de leur durée de vie, récupérés et décomposés en éléments réutilisables. En général, ce dernier aspect a été laissé à l’appréciation des consommateurs et des municipalités. Il en résulte une accumulation de déchets et la destruction de matériaux précieux. Lorsqu’un modèle circulaire n’est pas possible, dans la production d’énergie par exemple, les externalités négatives doivent être prises en compte et compensées, dans la mesure du possible.

2. S’engager dans des partenariats avec des acteurs de l’innovation sociale tout au long de la chaîne de valeur

L’approvisionnement en matériaux éthiques est l’une des choses les plus simples que le secteur privé puisse faire pour créer des produits moins dommageables pour les communautés locales. En établissant des partenariats avec des innovateurs sociaux tout au long de la chaîne de valeur, le secteur privé peut s’approvisionner en matériaux créés/extraits de manière moins dommageable, créer des moyens de subsistance durables pour les personnes concernées et soutenir le développement économique holistique des communautés.

Lorsque cela a été bien fait, les retombées en matière d’économie et de développement ont été considérables, apportant de multiples avantages non seulement aux parties prenantes de la chaîne de valeur, mais aussi aux entreprises elles-mêmes, qui bénéficient d’une meilleure image auprès du public et d’une plus grande satisfaction de leurs employés. Le rapport « Catalysing collaborations » en donne de bons exemples.


Focus 2030 : La polycrise résultant de la pandémie de Covid-19, de la guerre en Ukraine et des changements climatiques met en péril l’atteinte des ODD. Comment ce sommet peut-il être un moment important pour galvaniser la communauté internationale et la remobiliser en faveur de l’Agenda 2030 avant le sommet des Nations unies sur les ODD en septembre 2023 et les prochains grands rendez-vous internationaux (G20, COP28...) ? Quels résultats concrets attendez-vous pour mettre les ODD sur la bonne voie ?

 

Jeroo Billimoria : La communauté internationale a délibéré et débattu : la guerre en Ukraine et la pandémie ont montré une volonté mondiale de s’unir face aux défis et injustices. Il est impossible de mettre les ODD sur la bonne voie sans cette même volonté mondiale de financer leur atteinte et de créer des partenariats significatifs avec les innovateurs sociaux.

1. Créer des partenariats avec les innovateurs sociaux

Les innovateurs sociaux locaux sont souvent des interlocuteurs privilégiés des communautés pour lesquelles ils travaillent. Des engagements concrets devraient être pris en faveur d’une localisation de l’aide de manière efficace et appropriée en travaillant avec les réseaux mondiaux d’innovateurs sociaux. Cela permettrait d’identifier plus facilement des organisations pré-approuvées qui proposent des solutions innovantes, créées par et pour ceux qui sont en première ligne. Une première étape pour donner une voix aux innovateurs sociaux et créer un environnement propice à l’épanouissement des partenariats pourrait être la nomination d’un représentant spécial pour l’innovation sociale au sein du bureau du Secrétaire général des Nations unies. Cette personne serait chargée de créer des espaces permettant aux innovateurs sociaux, aux gouvernements, au secteur privé, aux agents de financement et à la société civile de se réunir pour créer des partenariats, des politiques et des pratiques utiles à l’atteinte des Objectifs de développement durable. 

2. Collecter et verser des fonds

De nouveaux mécanismes de financement pour les ODD peuvent permettre d’injecter de nouveaux capitaux dont le besoin se fait cruellement sentir. Toutefois, la surveillance et le décaissement constitueront un défi. Il est possible de créer un organisme mondial chargé de collecter l’argent des autorités responsables dans un fonds et d’en superviser la distribution. Ce fonds devrait être supervisé par les Nations unies et devrait suivre les principes de recherche de consensus, tels que définis par le Pacte mondial des Nations unies et les principes de Kampala. Le fonds devrait respecter les principes de subsidiarité, de collaboration, de responsabilité et de non-exploitation et adopter une approche globale de la société - en incluant les communautés, les innovateurs sociaux, les gouvernements et le secteur privé dans la conception des mécanismes de distribution.

 

  • Cet entretien a été traduit par Focus 2030 depuis l’anglais. Se référer à ce lien pour le consulter en version originale.
     
  • Les opinions exprimées dans cet entretien sont celles de Jeroo Billimoria et ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

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