Publié le 9 juin 2023 dans Faits et chiffres
En amont du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, Focus 2030 a réalisé un dossier spécial afin de présenter les enjeux du Sommet et les solutions qu’il pourrait apporter. Retrouvez dans ce dossier des faits et chiffres, infographies, témoignages d’expert·es, campagnes de mobilisation citoyenne et résultats de sondage en rapport avec le Sommet. |
Les Objectifs de développement durable (ODD), adoptés par les Nations unies en 2015, représentent à ce jour le cadre international le plus ambitieux pour promouvoir un développement international durable et inclusif. Ces 17 objectifs visent, entre autres, à éliminer d’ici à 2030 la pauvreté, la faim, les inégalités de genre et à promouvoir la bonne santé, l’éducation, le respect de l’environnement ou encore la paix.
Grâce aux efforts de la communauté internationale, de réels progrès ont été constatés depuis 1990 dans de nombreux domaines : baisse de la pauvreté, meilleurs taux de scolarisation, hausse de l’espérance de vie, laissant présager une convergence entre conditions de vie au sein des pays les plus fragiles et les plus industrialisés.
On observe toutefois depuis 2020 un ralentissement des progrès, voire un inversement des tendance jusque là à l’oeuvre, tout particulièrement en raison des conséquences sanitaires, économiques et sociales de la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, et des manifestations toujours plus évidentes des changements climatiques. Ces crises mondiales ont provoqué un choc sans précédent : alors que l’atteinte des ODD était déjà incertaine, leur réussite semble aujourd’hui largement compromise constate avec regret l’Organisation des Nations unies.
Si ces crises ont affecté tous les pays, leurs conséquences ne se sont pas ressenties de manière égales. Ainsi, les pays les plus fragiles ont été beaucoup plus touchés que les autres. Ces derniers doivent faire face à une proportion grandissante de leurs dépenses en paiements d’intérêts et remboursement de dette, restreignant leur capacité à financer des politiques publiques concourant à l’atteinte des ODD.
Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) signale ainsi que 52 économies en développement, dont au moins 25 parmi les plus menacées par les conséquences des changements climatiques, connaissent de graves problèmes d’endettement.
Selon Oxfam, 27 000 milliards de dollars devront être mobilisés pour « lutter contre la pauvreté, les inégalités et faire face aux changements climatiques dans les pays en développement » d’ici à 2030, soit environ 3 900 milliards par an.
C’est dans ce contexte que la France organisera les 22 et 23 juin 2023 un Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, dont l’ambition est d’impulser une transformation structurelle de l’architecture financière mondiale afin de financer l’urgence écologique tout en continuant de lutter contre la pauvreté. Retrouvez ci-dessous un aperçu des principaux enjeux auxquels le Sommet entend apporter des pistes de solutions.
757 millions de personnes vivaient sous le seuil de l’extrême pauvreté en 2020, contre 684 en 2019
Depuis les années 1990, la plupart des indicateurs de mesure du développement affichaient des dynamiques positives. La lutte contre la pauvreté, symbolisée par l’ODD 1, en est un exemple significatif. En 30 ans, le nombre de personnes vivant sous le seuil de l’extrême pauvreté (fixé à moins de 2,15 dollars par jour par la Banque mondiale) a diminué de manière importante, pour passer de presque 2 milliards en 1990 à 684 millions en 2019. Néanmoins, en 2020, ce nombre a augmenté pour la première fois en 20 ans, et sa diminution est largement ralentie depuis selon les estimations de la Banque mondiale.
En 2024, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté est estimé à 692 millions, soit un retour au niveau de 2019. Ainsi, la pandémie de Covid-19 et la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie, accentuée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les chocs climatiques dans certains grands pays producteurs, ont eu un impact tangible sur le nombre de personnes vivant sous le seuil d’extrême pauvreté, ralentissant considérablement les efforts fournis depuis plusieurs décennies, et l’atteinte de l’ODD 1 semble aujourd’hui fortement menacée : 622 millions de personnes vivront toujours sous ce seuil en 2030.
Outre l’enjeu de la pauvreté, les ODD visent également à améliorer les conditions de vie de l’ensemble de la population mondiale dans tous leurs aspects : alimentation, éducation, santé, accès à l’eau, égalité des genres, etc. Ces enjeux sont étroitement liés, et tous ont subi les conséquences des crises internationales récentes.
190 millions de personnes supplémentaires souffrent de la faim depuis la pandémie de Covid-19 et le début de la guerre en Ukraine
L’ODD 2 vise à éliminer la faim d’ici à 2030. Selon une estimation des Nations unies en 2021, la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 a conduit 118 millions de personnes supplémentaires à souffrir de sous-alimentation, s’ajoutant aux 693 millions de personnes déjà touchées avant la pandémie. En 2022, le PNUD estimait que 71 millions de personnes seraient également touchées par la faim, trois mois seulement après le début du conflit ukrainien. Ainsi, si cette guerre affecte en priorité les Ukrainien·ne·s, ses conséquences aggravent l’insécurité alimentaire sur l’ensemble de la planète.
Pour la première fois en 100 ans, l’espérance de vie mondiale a reculé de 73 à 71 ans entre 2019 et 2021
L’accès à la santé, promu par l’ODD 3, a été largement affecté par la pandémie de Covid-19. Surmortalité (au moins 20 millions de morts associées au Covid-19 depuis le début de la pandémie en 2020), pénuries de matériel médical et inégalités vaccinales sont autant de conséquences de la pandémie qui ont mis un frein aux progrès réalisés jusque là en matière de bonne santé et de bien-être. L’espérance de vie mondiale a diminué pour la première fois depuis un siècle, passant de 72,8 ans en 2019 à 71 ans en 2021. Par ailleurs, le nombre de personnes en besoin urgent de soins a augmenté en 2023 (339 millions), en raison de nombreuses crises humanitaires en cours notamment en Ukraine, au Yémen, en Afghanistan.
Au rythme des progrès actuel, l’égalité femme-hommes ne sera atteinte qu’en 2154, soit un recul de 30 ans par rapport aux estimations pré-Covid-19
En 2019, le Forum économique mondial estimait que 100 ans supplémentaires seraient nécessaires à l’atteinte de l’égalité de genre dans le monde. Alors que cette donnée témoignait déjà de grandes difficultés pour l’atteinte de l’ODD 5 d’ici à 2030, la pandémie de Covid-19 a repoussé cette échéance d’une génération supplémentaire, à 132 ans en 2022. Les femmes ont en effet été davantage affectées par les conséquences de la pandémie que les hommes : elles sont plus nombreuses à vivre sous le seuil d’extrême pauvreté, surreprésentées dans les emplois informels (et ainsi privées de protection sociale), davantage susceptibles d’être victimes de violences basées sur le genre dans l’enceinte même de leur domicile, etc. Les Nations unies estiment d’ores et déjà que les conséquences humanitaires et économiques de la guerre en Ukraine ne feront qu’aggraver ces tendances.
La pandémie de Covid-19 a eu un impact négatif sur l’indice de développement humain dans 90 % des pays du monde
La mesure du recul mondial en matière de développement humain peut être synthétisée en un seul indicateur, l’indice de développement humain (IDH). Calculé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), cet indice mesure le développement économique des pays et la qualité de vie de leurs habitant·es à partir de l’agrégation du PIB par habitant, de l’espérance de vie à la naissance et du niveau d’éducation des enfants. Un impact négatif de la pandémie de Covid-19 sur l’IDH a été observé dans 90 % des pays du monde selon le Rapport sur le développement humain 2022 du PNUD. Après des années de progrès continus depuis 1990, l’IDH a reculé pour la première fois entre 2019 et 2021.
Ce graphique met également en avant l’inégalité historique de développement entre différentes zones géographiques et économiques. Par exemple, la différence d’IDH entre les pays les moins avancés et les pays de l’OCDE est très importante et ne s’est quasiment pas réduite en 30 ans (0,40 points d’écarts en 1990 contre 0,38 en 2021). Ces données mettent ainsi en lumière un développement à deux vitesses, qui ne permet pas aux pays les moins avancés et en développement (particulièrement du Sud global) d’atteindre les niveaux de qualité de vie des pays industrialisés (essentiellement du Nord), mettant à mal la promesse de l’agenda 2030.
45 % de la population mondiale vit dans des régions vulnérables aux changements climatiques
Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), publié en mars 2023, dresse un tableau alarmant de l’avancement des changements climatiques. Alors que les accords de Paris de 2015 avaient pour objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C par rapport aux températures préindustrielles, les experts du Giec ont estimé qu’au rythme actuel, ce niveau pourrait s’élever à 3,2°C en 2100.
Ce constat est d’autant plus préoccupant que le réchauffement climatique menace directement une grande partie de la population mondiale : 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des régions particulièrement vulnérables aux changements climatiques, et sont ainsi 15 fois plus susceptibles de décéder des impacts directs ou indirects d’inondations, sécheresses et tempêtes que les personnes vivant dans des régions moins vulnérables, comme le présente la carte ci-dessous. De nombreux pays vulnérables sont également des pays à faible revenu. Nombre d’entre eux se situent sur le continent africain.
La décennie 2020-2030 est selon le Giec une « décennie critique », au cours de laquelle des politiques ambitieuses et des financements suffisants doivent être mobilisés pour limiter le réchauffement climatique. En 2009, les pays industrialisés se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, une promesse qui n’a pour l’instant pas été tenue : seuls 89 milliards de dollars ont été alloués à 2020. Comme nous le révèle le graphique ci-dessous, les pays industrialisés sont d’un point de vue historique ceux qui ont émis le plus de gaz à effet de serre concourant aux changements climatiques.
Il est aujourd’hui crucial pour les pays développés de fournir un soutien financier aux pays les plus fragiles, afin qu’ils puissent prendre des mesures pour s’adapter aux changements climatiques et atténuer leurs impacts, tout en faisant face aux pertes et aux dommages causés par les catastrophes climatiques. Le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial a pour objectif d’examiner les différentes options de financement qui pourraient être mises en place pour répondre à ces enjeux (adaptation et atténuation) sans puiser dans les ressources consacrées à l’aide au développement visant à soutenir les besoins essentiels des populations (santé, éducation, égalité de genre, etc.).
52 économies en développement sont confrontées à de graves difficultés liées à leur endettement
Selon le PNUD, 52 économies en développement sont confrontées à de graves difficultés liées à leur endettement, affectant leur capacité à financer des services publics essentiels tels que la santé, l’éducation, l’accès à l’eau potable ou la lutte contre les changements climatiques. La pandémie de Covid-19, la hausse des prix des matières premières, ou encore l’augmentation des taux d’intérêt mondiaux ont accru leurs besoins en financements tout en augmentant le coût des emprunts. Ainsi, les pays en développement allouent aujourd’hui une part toujours plus importante de leurs recettes publiques au remboursement de la dette.
Selon Debt Justice, les pays dont les remboursements de la dette sont les plus élevés (soit plus de 15 % des recettes publiques) ont vu leurs dépenses publiques diminuer de 3 % en moyenne entre 2019 et 2023. 37 pays faisaient face à dans cette situation en 2023.
En 2020, trois pays consacraient au moins 50 % de leurs revenus au remboursement de leur dette souveraine ; à ce rythme, ils seront quatre en 2024, dont deux pays (le Sri Lanka et la Dominique) qui y dédieront plus de 75 % de leurs recettes.
Afin de relever les défis liés au développement, à la dette et aux enjeux climatiques auxquels sont confrontés les pays à revenus faible et intermédiaire, Oxfam estime que 27 400 milliards de dollars seront à mobiliser d’ici 2030, soit 3 900 milliards de dollars par an :
La mobilisation de tels montants nécessite des décisions politiques tant au niveau national qu’international. En effet, en comparaison, l’aide publique au développement n’a mobilisé que 204 milliards de dollars en 2022, soit 5 % des besoins annuels identifiés par Oxfam. C’est le principal objectif du Sommet pour un nouveau pacte financier, qui vise à impulser une refonte de l’architecture financière internationale et renforcer les ambitions nationales en vue d’allouer de nouveaux financements pour relever ces défis.