Publié le 9 juin 2023 dans Faits et chiffres
En amont du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, Focus 2030 a réalisé un dossier spécial afin de présenter les enjeux du Sommet et les solutions envisagées dans ce cadre. Retrouvez dans ce dossier des faits et chiffres, infographies, témoignages d’expert·es, campagnes de mobilisation citoyenne et résultats de sondage en rapport avec le Sommet. |
Le constat est sans appel : le monde est plus fracturé que jamais. Dérèglements climatiques, explosion des inégalités, hausse de la pauvreté ou encore surendettement des pays les plus fragiles mettent à mal une communauté internationale de plus en plus divisée.
Face à ce constat, la France organise les 22 et 23 juin un Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui a pour ambition d’initier une refonte de l’architecture financière mondiale et de mobiliser des financements massifs pour faire face au double défi du climat et de la lutte contre la pauvreté. Selon Oxfam, 27 000 milliards de dollars seraient nécessaires d’ici à 2030 pour répondre aux besoins des pays à revenus faible et intermédiaire. À titre de comparaison, l’aide publique au développement, qui a pourtant atteint un niveau record en 2022, n’est parvenu à mobiliser que 204 milliards de dollars, soit 5 % des besoins annuels identifiés par Oxfam.
Des engagements financiers ont déjà été pris par les pays industrialisés, certains de longue date : l’un des enjeux du sommet consistera à les réaffirmer.
L’aide publique au développement (APD) est une assistance financière fournie par les pays membres du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE dans le but d’améliorer le développement économique et le niveau de vie des pays en développement et de financer des biens publics mondiaux tels que la santé mondiale, l’éducation, l’égalité de genre. En 1970, les pays du CAD se sont engagés dans le cadre des Nations unies à consacrer 0,7 % de leur revenu national brut (RNB) à l’APD.
Néanmoins, cet engagement n’a jamais été atteint et n’est pas sur le point de l’être : en 2022, si l’APD a atteint un pic historique, elle ne représentait que 0,36 % du RNB des membres du CAD. Alors que jamais les besoins n’ont jamais aussi manifestes, certains pays ont même récemment réduit leur contribution à la solidarité internationale.
Le non respect de cette promesse depuis cinquante ans signifie dans les faits un manque à gagner considérable estimé à hauteur de 7 091 milliards (en dollars constants de 2021). En seulement 5 ans (de 2018 à 2022), une APD à 0,7 % aurait permis de mobiliser 1 000 milliards de dollars supplémentaires pour le développement des pays les plus fragiles.
Afin de mobiliser davantage de financements pour les pays en développement, il importe que les engagements pris par les pays du CAD soient respectés, et que l’aide soutienne en priorité les pays qui en ont le plus besoin. Le Sommet pour un nouveau pacte financier devrait être l’occasion pour les pays industrialisés de renouveler cet engagement et de remettre le développement au cœur de l’agenda international.
Néanmoins, si l’APD est le mécanisme privilégié pour le financement du développement international, notamment le soutien des services essentiels (santé, éducation, nutrition, égalité de genre), tous les observateurs reconnaissent que les montants mobilisés par ce biais ne sont pas suffisants pour faire face aux urgences actuelles, tout particulièrement le financement de la transition climatique.
Pour aller plus loin, découvrir le décryptage de ONE sur l’aide publique au développement
Mobiliser 100 milliards de dollars par an pour le climat est un engagement qui a été pris lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques de 2009 (COP15) à Copenhague. Les pays développés se sont engagés à mobiliser cette somme à compter de 2020 pour aider les pays en développement à lutter contre le changement climatique et à s’y adapter. Cette somme doit servir à financer des mesures telles que la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la mise en place de mesures d’adaptation ou le transfert de technologies moins polluantes.
Néanmoins, plus de 16 milliards de dollars manquaient à l‘appel en 2020, date butoir. Selon les estimations disponibles, les 100 milliards pourraient être atteints en 2023, potentiellement à l’occasion du Sommet.
Alors que les 100 milliards de dollars annuels devaient soutenir à parts égales l’adaptation aux changements climatiques et l’atténuation de leurs conséquences, les financements mobilisés visent actuellement en priorité l’atténuation qui profitent principalement aux pays émergents plutôt qu’aux pays à faible revenu (48,6 milliards pour l’atténuation, 28,6 milliards pour l’adaptation et 6 milliards ciblant les deux objectifs en 2020), limitant la capacité des pays les plus fragiles à faire face aux conséquences actuelles des changements climatiques.
De plus, la majorité des financements ont été distribués sous forme de prêts, et ont principalement ciblé l’Asie et les pays à revenu intermédiaire. Les pays les moins avancés, qui ont des difficultés à souscrire des prêts et qui sont majoritairement situés en Afrique subsaharienne, ne sont ainsi pas les bénéficiaires prioritaires des financements climat, alors même que nombre d’entre eux sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques. La manière dont sont comptabilisés les financements est également questionnée : selon Reuters, la dimension climatique de certains projets comptabilisés comme tels peut être questionnée.
Ainsi, si les 100 milliards pour le climat doivent être atteints, ils nécessitent également d’être repensés pour viser davantage les pays les plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques. C’est l’un des objectifs assumés du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui devrait notamment contribuer à favoriser l’accès à des subventions pour le climat pour les pays en incapacité à contracter des prêts.
Les droits de tirages spéciaux (DTS) sont des avoirs de réserve internationaux créés par le FMI afin de compléter les réserves de change de ses pays membres. Une allocation historique de DTS, pour un équivalent de 650 milliards de dollars US, a été effectuée par le FMI en août 2021 pour aider les pays à faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19. Néanmoins, les DTS étant alloués aux pays membres du FMI en fonction de leur quote-part, et donc de leur poids dans l’économie mondiale, les 59 pays les plus pauvres de la planète n’ont reçu que 4 % de cette allocation (autour de 26 milliards de dollars) contre 68 % pour les pays du G20 (442 milliards).
Face à ce déséquilibre, les pays du G20 se sont engagés en 2021 à redistribuer l’équivalent de 100 milliards de dollars de DTS aux économies les plus fragiles, notamment les plus endettées. Près de deux ans plus tard, seuls 76 milliards ont été promis.
Le Sommet vise également à encourager les détenteurs de droits de tirages spéciaux à les réallouer via des banques multilatérales de développement (telles que la Banque africaine de développement). Jusqu’à présent, seuls des mécanismes du FMI peuvent être utilisés à cette fin, or, ils font l’objet de critiques du fait des conditions associées. De nombreux blocages, notamment institutionnels, rendent cette opération délicate et des formes de soutiens équivalents sont actuellement en discussion. Certains, à l’instar du Center for Global Development s’interrogent toutefois sur la réalité de ces transferts et leur caractère opérationnel.
Initiative de Bridgetown : une réforme de l’architecture du financement du développement pour soutenir les pays vulnérables
Lancée en septembre 2022 par Mia Amor Mottley, première ministre de la Barbade, l’initiative de Bridgetown est un plan d’action qui vise à redonner un espace budgétaire aux pays en développement durement touchés par les conséquences directes et indirectes de la pandémie de COVID-19 et de la guerre en Ukraine, par les changements climatiques et par une crise de la dette aggravée par l’ensemble de ces facteurs. Cette initiative, qui a inspiré la tenue du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, repose sur trois étapes-clés :
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De nombreux mécanismes existent pour débloquer des fonds destinés aux pays en développement et les soutenir face aux multiples crises à l’oeuvre. Cependant, ces dispositifs ne sont pas aussi efficaces qu’ils pourraient l’être. L’un des objectifs du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial sera de progresser dans la réforme de ces institutions.
Les Banques multilatérales de développement (BMD) sont des institutions financières internationales qui ont été créées pour allouer des financements et prodiguer des conseils en matière de développement économique et social dans les pays en développement. Elles comprennent des institutions telles que la Banque mondiale (créée en 1944 dans le cadre des accords de Bretton Woods), la Banque européenne d’investissement, la Banque africaine de développement, la Banque asiatique de développement, etc.
Le contexte international a largement évolué depuis la création de ces institutions et les besoins des pays en développement pour répondre aux crises multiples (enjeux climatiques, de la dette, etc.) ont également changé. Face à ce constat, les institutions financières de développement sont régulièrement critiquées pour leur incapacité à adapter leur stratégie à ces enjeux.
Les fondements de ces critiques sont pluriels. D’une part, les prêts des BMD dépendent de la capacité des pays à rembourser. Plus la capacité de remboursement du pays receveur est mise en doute, plus les taux d’intérêts sont élevés, contraignant la capacité des pays qui en ont le plus besoin d’accéder à des financements. D’autre part, seule une petite partie des fonds des BMD sont reversés sous forme de dons, ce qui est insuffisant pour répondre aux besoins des pays les plus pauvres.
Les institutions financières internationales, en particulier les deux institutions du système de Bretton Woods, le Fonds monétaire international (FMI) et le Groupe de la Banque mondiale, sont donc désapprouvées pour leur incapacité à répondre aux besoins financiers des pays en développement, tout particulièrement ceux à faible revenu. Les processus de nomination de leurs dirigeant·es renforcent ce déficit de légitimité : traditionnellement, la personne à la tête du FMI est désignée par les gouverneurs européens et celle du Groupe de la Banque mondiale est désignée par le gouvernement américain. Ainsi, depuis 1946, 100 % des personnes élues à la tête du Groupe de la Banque mondiale sont de nationalité américaine et 100 % des personnes élues à la tête du FMI sont européennes. Les pays en développement ne sont donc pas impliqués dans le choix des directions de ces institutions.
De plus, les pouvoirs de vote reviennent en majorité aux pays possédant les quotes-parts les plus importantes, c’est-à-dire les pays industrialisés ou émergents. 12 pays possèdent à eux-seuls plus de la moitié des pouvoirs de vote du FMI et de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le développement (BIRD), la principale organisation émettrice de prêts du Groupe de la Banque mondiale.
Une étude indépendante commissionnée par le G20 a estimé que la capacité de prêt des BMD pouvait être largement augmentée. En effet, ces dernières ont en leur possession 1 800 milliards de dollars d’actifs : selon cette étude, entre 500 et 1 000 milliards de dollars supplémentaires pourraient être prêtés sans mettre leur réputation en danger auprès des agences de notation et sans augmenter leur capital. Ces fonds supplémentaires pourraient notamment financer la lutte contre les changements climatiques, qui est pour l’instant un secteur largement sous-investi par les BMD.
S’agissant de la Banque mondiale, il importerait que ses membres lui apportent un soutien accru, notamment à travers un refinancement de l’Association internationale de développement (IDA), l’institution de la Banque mondiale qui soutient les pays les plus pauvres de la planète et représente la plus importante source de contributions aux services sociaux de base dans ces pays.
Pour aller plus loin, découvrez l’analyse de I4CE
Si les sources de financement existantes ne sont pas suffisantes pour remplir les besoins des pays en développement, de nouveaux fonds pourraient être mobilisés par d’autres moyens : nouvelles taxes, introduction de nouveaux acteurs, allègement de la dette.
Les financements innovants sont des mécanismes financiers alternatifs généralement adossés à des secteurs économiques mondialisés et visant à corriger les effets négatifs de la mondialisation, via la mobilisation de fonds pour soutenir des projets de développement ou de lutte contre les changements climatiques, la pauvreté et les inégalités.
Un certain nombre de financements innovants sont déjà appliqués au niveau national, en particulier sous forme de taxes. En France par exemple, une taxe sur les transactions financières a été mise en place en 2012 qui a rapporté près d’1,8 milliards d’euros en 2020, dont 30 % ont été reversés au financement du développement. Mettre en œuvre de tels financements au niveau international pourrait permettre la mobilisation de montants très importants pour le développement et la lutte contre les changements climatiques. Les principaux types de financements innovants envisagés dans le cadre du sommet pour un nouveau pacte financier mondial sont répertoriés ci-dessous.
Pour nombre d’entre eux, ces financements innovants reposent sur le principe "pollueur-payeur" : les acteurs qui contribuent le plus au réchauffement climatique (extraction des énergies fossiles, transports maritimes et aériens) sont également ceux qui devraient contribuer le plus à la lutte contre ses conséquences. Ainsi, est-il envisagé par CARE France que la mise en œuvre de telles taxes pourrait notamment permettre d’abonder le futur fonds pertes et dommages, un fonds destiné à aider les pays les plus vulnérables à couvrir les coûts associés aux pertes et dommages présents et futurs causés par des événements climatiques extrêmes.
Pour aller plus loin, prendre connaissance du panorama réalisé par l’IDDRI
De nombreux pays en développement font face à une dette croissante, qui limite drastiquement leur capacité à financer des politiques sociales et à allouer des fonds pour faire face aux changements climatiques. Pour répondre à ce double défi, différentes solutions sont envisagées à court terme et sont discutées dans le cadre du sommet :
La gestion de la dette et sa restructuration sont régies par un mécanisme intitulé le "Common Framework" initié par le G20. L’objectif d’une réforme de ce "Common Framework" serait de rendre les demandes d’allègement et de restructuration de dette plus rapides, transparentes et efficaces, tout en garantissant la participation de tous les bailleurs (y compris la Chine) au processus. Le Club de Paris, une coalition informelle de créanciers publics qui se consacre à la recherche de solutions coordonnées et durables pour faire face aux problèmes de paiement des pays endettés, a été particulièrement efficace jusque-là, mais son champ d’action est de plus en plus limité. La part de la dette des pays à faible revenu due aux gouvernements créanciers qui n’appartiennent pas au Club de Paris (comme la Chine, l’Inde, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et d’autres) a en effet largement augmenté, de 18 % en 2010 à 49 % en 2021. Il est donc nécessaire d’intégrer tous les bailleurs, notamment les pays émergents et les fonds privés, pour trouver des solutions à la dette des pays en développement.
Pour aller plus loin, lire les recommendations d’Oxfam France et consulter l’outil de décomposition de la dette publique du Finance for Development Lab.
L’objectif d’impliquer le secteur privé dans le financement du développement des pays à faible revenu consiste à y susciter davantage d’investissements financiers de la part du secteur privé vers des projets ayant un impact social et environnemental positif afin de contribuer à la création d’emplois, au développement d’infrastructures, à l’amélioration des conditions de vie des populations locales, à la lutte contre le changement climatique.
Plusieurs pistes sont envisagées pour encourager ces investissements. L’une d’entre elles est la mise en œuvre d’une réglementation financière spécifique par les pays développés pour encourager les investissements verts dans les pays émergents et en développement.
A fortiori, l’un des moyens privilégiés actuellement pour accélérer la transition énergétique dans les pays en développement est la mise en œuvre de partenariats pour une transition énergétique juste (Just Energy Transition Partnerships ou JETPs). Ces partenariats, habituellement conclus entre plusieurs pays ou groupes de pays, pourraient être étendus au secteur privé, et particulièrement au secteur financier privé en collaboration avec les banques multilatérales de développement. Ces partenariats publics-privés pourraient permettre d’accroître les flux de financement dans les économies émergentes et en développement. Cette option est défendue par le Glasgow Financial Alliance for Net Zero, qui soutient par exemple qu’au moins 10 milliards de dollars supplémentaires pourraient être mobilisés par une contribution du secteur privé dans le cadre du JETP avec l’Indonésie.
D’autres instruments permettant de favoriser les investissements privés dans les pays à bas revenus et les pays émergents ont été proposés, tels que des mécanismes de garanties contre les risques de taux de changes, ou la revue des critères d’analyse de soutenabilité de la dette pour réactualiser les perspectives de risques.
Pour aller plus loin, lire l’analyse de la Ferdi
En somme, la mobilisation de centaines – voire de milliers – de milliards pour résoudre les enjeux actuels est possible, mais y parvenir nécessite une volonté politique ambitieuse. Le sommet pour un nouveau pacte financier mondial représente une opportunité pour tous les acteurs concernés de s’accorder sur des solutions communes et une feuille de route concrète, au moment le plus opportun. La nature des décisions qui seront prises à l’issue du Sommet demeure incertaine : création de coalition d’actions en faveur de certaines mesures rassemblant les gouvernements de bonne volonté, adoption de principes qui devraient gouverner les réformes à venir, la question demeure. Les ONG requièrent pour leur part des engagements fermes, concrets, transparents et ambitieux, dotés d’un cadre de redevabilité. Découvrez les campagnes de la société civile.
De toute évidence, ce sommet sera l’occasion de convenir d’orientations ou d’étapes-clés pour orienter les prises de décision futures, tout particulièrement lors de prochains événements tels que le G20, l’Assemblée générale des Nations unies, le Sommet des ODD de septembre 2023, les Assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale et la COP28.