Publié le 23 août 2021 dans Décryptages
Les droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international (FMI) ont fait l’objet d’une attention particulière de la part de la communauté internationale dès le 15 avril 2020 car ils pourraient aider les pays à faible revenu à financer leur réponse sanitaire et économique à la pandémie de Covid-19.
Que sont les DTS, quel rôle pourraient-ils jouer dans la réponse mondiale à la pandémie, et sous quelles conditions ? Décryptage.
Les DTS sont des avoirs de réserve internationaux créés en 1969 par le FMI afin de compléter les réserves de change de ses pays membres. Il ne s’agit pas d’une monnaie, mais plutôt d’une ligne budgétaire dans la balance des paiements des pays membres du FMI (190 actuellement), qu’ils peuvent échanger contre des devises :
Avant 2021, cette procédure a été utilisée trois fois (1970-1972, 1979-1981 et 2009). Au total, ces allocations ont représenté l’équivalent de 318 milliards de dollars US, dont 251 milliards en réponse à la crise financière de 2009.
La valeur des DTS est calculée en fonction des taux de change d’un panier de monnaies, actuellement le dollar US (dont le cours détermine 42 % de la valeur des DTS), l’euro (31 %), le yuan chinois (11 %), le yen japonais (8 %) et la livre sterling (8 %). Ce panier est revu tous les cinq ans afin de refléter l’importance relative de ces monnaies dans les échanges internationaux. Chaque monnaie, qu’elle fasse ou non partie du panier, a un taux de change correspondant en DTS, révisé quotidiennement.
Le FMI estime qu’à l’échelle mondiale, les gouvernements ont investi 16 000 milliards de dollars pour faire face aux conséquences sanitaires, économiques et sociales de la pandémie la première année. Sur ce total, 82 % ont été dépensés par 11 des pays du G20 (à hauteur de 12 % de leur PIB en moyenne), contre 0,25 % par les 59 pays à faible revenu (3 % de leur PIB).
Les pays à faible revenu n’ont pas les réserves de change suffisantes pour financer les mesures nécessaires pour répondre à la pandémie de Covid-19. Le FMI estime ainsi qu’il leur manque 200 milliards de dollars US pour financer leur riposte sanitaire et économique, et 250 milliards supplémentaires pour rattraper le temps perdu en matière de croissance économique.
Les DTS pourraient ainsi contribuer au financement de l’importation de tests, diagnostics et vaccins, ou encore à consolider les réserves de change des pays pour renforcer la confiance des investisseurs.
Imaginons que le Paraguay, dont la quote-part au FMI s’élève à 0,04 %, n’ait pas les réserves de dollars US suffisantes pour importer des vaccins Covid-19 fabriqués à l’étranger. Dans le cadre d’une émission générale de 100 DTS, le Paraguay recevrait 4 DTS et les États-Unis, dont la quote-part s’élève à 17,4 %, 1 740 DTS. Ces montants sont inscrits dans leurs balances des paiements respectives et répartis également entre avoirs en DTS et allocations en DTS. Afin d’augmenter ses réserves de dollars US, le Paraguay peut vendre ses DTS aux États-Unis, sur la base d’un accord d’échange volontaire. Ses avoirs en DTS diminuent, tandis que ses allocations de DTS augmentent (ainsi que ses réserves de dollars). Le Paraguay paie alors un intérêt au FMI sur la différence entre ses avoirs et ses allocations de DTS. À l’inverse, les États-Unis reçoivent un intérêt sur leur surplus d’avoirs en DTS. Depuis janvier 2021, le taux d’intérêt sur les DTS s’élève à 0,05 %. Le Paraguay peut ensuite librement utiliser ses nouvelles réserves de dollars US. |
Le 23 août 2021, le FMI a procédé à une nouvelle allocation générale de DTS, pour l’équivalent de 650 milliards de dollars. Ce montant est en-dessous du seuil nécessitant l’accord du Congrès américain (car les États-Unis ont reçu un montant inférieur à leur quote-part actuelle au FMI), permettant d’accélérer sa mise en œuvre.
Bien qu’il s’agisse de l’allocation la plus élevée de l’histoire, des centaines d’organisations ont appelé à une émission de DTS à hauteur de 3 000 milliards de dollars US.
En effet, le FMI distribuant les DTS parmi ses 190 pays membres au prorata de leur position relative dans l’économie mondiale, les 59 pays les plus pauvres de la planète n’ont collectivement reçu que 4 % de cette allocation (autour de 26 milliards de dollars US), quand ceux du G20 en ont reçu 68 % (442 milliards).
En comparaison, les 27 États membres de l’UE se sont accordés sur un plan de relance à hauteur de 750 milliards d’euros (environ 900 milliards de dollars US), et les États-Unis, 1 900 milliards de dollars.
Afin d’amplifier l’impact de cette nouvelle émission en faveur d’une réponse globale à la pandémie, des propositions de partage volontaire de DTS par les économies les plus riches vers celles en ayant le plus besoin sont actuellement en discussion. Complexe à mettre en place, car dépendant de nombreuses législations, aucun mécanisme susceptible d’encadrer ce processus n’existe actuellement.
Le 31 mai dernier, 32 dirigeant•e•s d’Afrique et d’Europe ont ainsi co-signé une tribune appelant la communauté internationale à transférer l’équivalent de 100 milliards de dollars US de DTS en faveur de l’Afrique. « La France y est prête », avait déjà affirmé le Président français lors du Sommet sur le financement des économies africaines le 18 mai. Les pays du G7 ont affirmé, dans le communiqué 2021 du Sommet, « examiner attentivement les options ». Le G20 a également exprimé son soutien pour un tel mécanisme lors de la 3e réunion des ministres des Finances et des Gouverneurs de banques centrales, les 9-10 juillet 2021.
Le 25 septembre, à l’occasion du Global Citizen Live, la France s’est engagée à « « réorienter 20 % de l’argent qu’elle reçoit du FMI vers le continent Africain », invitant les grandes puissances à faire de même.
Plus de détails sur le fonctionnement des droits de tirage spéciaux (vidéo explicative du FMI, en anglais) :