Focus 2030
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Trois questions à Anita Zaidi, Présidente, Département pour l’égalité des genres, Fondation Gates

Publié le 24 mars 2025 dans Actualités

La prochaine édition du Sommet Nutrition for Growth, organisée par la France les 27 et 28 mars 2025 à Paris, constitue une occasion unique d’engager la communauté internationale dans une lutte plus efficace contre la malnutrition. En amont de ce Sommet international, Focus 2030 consacre un dossier spécial aux enjeux de (mal)nutrition dans le monde et met en avant les points de vue et attentes d’organisations, de personnalités ou d’acteurs du domaine de la nutrition.

 

 

3 questions à Anita Zaidi, Présidente du département pour l’égalité des genres, Fondation Gates

Focus 2030 : Au moins deux tiers - soit plus d’un milliard - d’adolescentes et de femmes souffrent de sous-nutrition (insuffisance pondérale et retard de croissance), de carences en micronutriments et d’anémie, avec des conséquences dévastatrices sur leur vie et leur bien-être. Quels sont, selon vous, les plus grands obstacles et défis à relever aujourd’hui pour combler l’écart nutritionnel entre les femmes et les hommes ?

Anita Zaidi : La mission de la Fondation Gates est de s’assurer que la bonne santé ne soit pas un privilège lié à la naissance. Elle ne devrait pas dépendre du genre, du lieu de naissance ou des ressources financières des individus. Lorsque je travaillais comme pédiatre au Pakistan au début de ma carrière, j’ai constaté chaque jour les conséquences de cette inégalité sur la vie ou la mort de mes patients.

J’ai passé de nombreuses années dans une communauté en périphérie de Karachi, appelée Rehri Goth, où un enfant sur dix mourait avant d’atteindre l’âge de cinq ans. Cette tragédie était directement liée au manque de soins disponibles pour les femmes durant la grossesse et l’accouchement. Dans cette même communauté, environ 60 % des femmes enceintes souffraient d’anémie.

L’anémie, causée par une carence en fer, a de graves répercussions sur la santé, allant de la diminution des capacités mentales et physiques aux hémorragies post-partum – première cause de mortalité maternelle dans le monde. Cette maladie potentiellement mortelle touche plus d’un tiers des femmes enceintes et des enfants de moins de cinq ans à l’échelle mondiale.

Depuis trop longtemps, la santé et la nutrition des femmes ont été marginalisées : sous-financées, insuffisamment étudiées et négligées. Par conséquent, des recherches obsolètes ont dicté les recommandations en matière de nutrition pour les femmes des pays à revenu faible et intermédiaire, tandis que les professionnels de ces pays n’ont pas eu accès aux outils les plus efficaces pour répondre aux besoins nutritionnels spécifiques des femmes.

Les moyens de prévenir et de traiter l’anémie existent : les taux ont considérablement diminué dans les pays occidentaux. Il s’agit désormais d’améliorer l’accès à une meilleure nutrition, d’enrichir les aliments de base en nutriments essentiels comme le fer, de fournir des suppléments en micronutriments aux femmes enceintes et d’améliorer le diagnostic et le traitement de l’anémie. Nous explorons également de nouvelles approches, comme l’administration de fer en intraveineuse pour les femmes souffrant d’anémie sévère, en particulier dans les régions où les taux sont les plus élevés.

Malgré l’ampleur croissante du problème et la disponibilité des solutions, le financement consacré à la lutte contre l’anémie a diminué ces dernières années. Aujourd’hui, aucune région du monde n’est en bonne voie d’atteindre l’objectif global de réduction de moitié des taux d’anémie d’ici 2030.

Ceci est inacceptable. Nous nous engageons à collaborer avec les gouvernements et d’autres partenaires pour inverser cette tendance et faire en sorte que la grossesse et l’accouchement soient des moments de célébration et non de peur pour toutes les femmes, où qu’elles vivent.

 

Focus 2030 : Selon vous, quelles sont les solutions les plus efficaces pour lutter contre la malnutrition des femmes et des filles ?

Anita Zaidi : Commençons par une bonne nouvelle : à l’échelle du monde, nous n’avons jamais vécu une période où s’offrent autant d’opportunités pour améliorer la nutrition maternelle et infantile. La malnutrition est une problématique complexe qui découle de nombreuses causes sous-jacentes et nécessite des interventions dans plusieurs secteurs. Au cours des 20 dernières années, des progrès considérables ont été réalisés. Nous disposons aujourd’hui de connaissances accrues et d’outils plus performants pour y faire face.

L’un des enseignements clés de ces progrès se fonde sur l’importance fondamentale de la nutrition des femmes, non seulement pour leur propre santé, mais aussi pour celle de leur enfant. Par exemple, plus de la moitié des cas de retard de croissance au cours des deux premières années de la vie d’un enfant surviennent pendant la grossesse et les six premiers mois de vie, soulignant ainsi le rôle essentiel de la nutrition maternelle.

Notre récent rapport Goalkeepers met en avant des solutions particulièrement efficaces pour lutter contre la malnutrition - ce que notre fondation appelle les “meilleurs investissements”, des interventions ayant un fort impact pour un coût relativement faible. L’une d’elles, qui me passionne particulièrement, est le supplément de micronutriments multiples (MMS), un complément prénatal complet. Pris quotidiennement pendant la grossesse, le MMS prévient l’anémie, favorise une grossesse en bonne santé et réduit les risques d’accouchement prématuré ou de faible poids à la naissance. Ce qui est remarquable, c’est que le MMS est encore plus efficace que les suppléments classiques en fer et acide folique. Il est plus facile à prendre et pourrait préserver près d’un demi-million de vies dans le monde d’ici 2040. Son coût ? Seulement 2,50 dollars par grossesse.

Intégrer le MMS dans les soins prénataux de qualité est l’un des investissements les plus judicieux pour les femmes et les nouveaux nés partout dans le monde. C’est une avancée majeure pour améliorer les problèmes à la naissance, garantir que les mères et leurs bébés reçoivent les nutriments et les soins nécessaires, et leur permettre de survivre et de s’épanouir.

Mais les solutions ne se limitent pas au système de santé - le système alimentaire joue également un rôle crucial. L’une des stratégies que notre fondation met en avant est l’enrichissement des aliments de base comme le blé, l’huile et le sel. Cette approche économique permet de prévenir la malnutrition et les problèmes de santé liés aux carences en vitamines - par exemple, la cécité infantile causée par un manque de vitamine A.

Pour quelques centimes, les industries agroalimentaires peuvent ajouter des nutriments essentiels aux aliments courants, garantissant ainsi que même les populations les plus vulnérables reçoivent les éléments nutritifs nécessaires. Par exemple, en Éthiopie, l’ajout de micronutriments au sel pourrait prévenir près de 75 % des décès et des mortinaissances liés aux anomalies du tube neural.

En regardant vers l’avenir, je suis également enthousiaste quant à la prochaine génération d’outils, notamment ceux axés sur la restauration et le maintien d’un microbiome intestinal sain. Au cours de la prochaine décennie, grâce à une collaboration continue entre différents secteurs mobilisés, ces innovations deviendront accessibles à un plus grand nombre de femmes et d’enfants, accélérant ainsi la réduction des décès évitables.

 

Focus 2030 : De nombreux pays développés, dont la France, l’Allemagne ou les États-Unis, réduisent ou suppriment leur aide au développement, alors même que les besoins augmentent et que les crises humanitaires et environnementales s’intensifient. Dans ce contexte, les organisations philanthropiques jouent un rôle de plus en plus important pour relever les défis mondiaux. Quelles sont vos attentes pour le prochain sommet Nutrition for Growth (N4G) à Paris les 27 et 28 mars 2025, et comment envisagez-vous la contribution de votre fondation à son succès ?

Anita Zaidi : Je ne peux ignorer le contexte financier contraint dans lequel nous opérons. Il est profondément préoccupant de voir que, dans de nombreux pays, les services de santé et de nutrition - qu’ils soient d’urgence ou de routine - sont interrompus en raison d’un manque de priorisation et de ressources.

Le sommet Nutrition for Growth ne pouvait pas tomber à un moment plus crucial. J’y rejoindrai la France, un donateur et partenaire clé en matière de santé mondiale, ainsi que d’autres organisations philanthropiques, agences des Nations unies, ONG et partenaires du développement. Ensemble, nous ferons le point sur les actions nécessaires pour garantir un meilleur accès à la nutrition pour les femmes et les enfants du monde entier. Je plaiderai auprès des autres donateurs pour que, plus que jamais, nous maintenions le financement des programmes de nutrition et de santé infantile, qui comptent parmi les investissements les plus rentables en matière de sécurité et de prospérité mondiales. Les enjeux n’ont jamais été aussi élevés et des millions de vies sont en jeu.

La Fondation Gates reste fermement engagée à financer des interventions vitales en matière de nutrition et de santé infantile. Mais, bien que la philanthropie joue un rôle essentiel, aucune fondation - ni même un groupe de fondations - ne peut égaler l’ampleur, les ressources humaines, l’expertise et le leadership que les grands pays donateurs apportent. Ces partenaires sont absolument indispensables.

Cette année marque les 25 ans de progrès de la Fondation Gates. C’est une occasion de célébrer le chemin parcouru, mais surtout de réaffirmer notre engagement envers l’avenir. Les avancées que nous avons réalisées avec nos partenaires constituent une base solide pour un impact encore plus grand à venir. Continuons sur cette lancée, en défendant la santé, l’équité et les opportunités pour tous.

 

NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

 

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