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La France revient sur ses engagements en matière d’aide publique au développement

Publié le 30 avril 2025 dans Actualités , mis à jour le 6 juin 2025

Dans le contexte d’une réduction historique de l’aide publique au développement française, Focus 2030 publie son évaluation indépendante de la politique d’aide au développement de la France depuis 2017. Réalisation des objectifs assignés, réformes envisagées, efforts de modernisation, trajectoires financières... Consulter le rapport « L’aide publique au développement de la France dans un monde en turbulences : la fin d’une ambition ? ».



Actrice historique de l’aide publique au développement et de la solidarité internationale, la France opère, depuis 2023, un recul sans précédent sur ses engagements. Après le report de cinq ans de l’objectif d’allouer 0,7 % de la richesse nationale à la solidarité internationale, elle a procédé à trois coupes successives dans son budget alloué à l’aide publique au développement. La loi de finances 2025 entérine ainsi une réduction de 39 % des crédits budgétaires de la mission «  Aide publique au développement  », soit une coupe historique de près de 2,3 milliards d’euros entre 2024 et 2025. Décryptage et réactions des acteurs de la société civile.

Historique des coupes opérées par la France dans son budget alloué à l’aide publique au développement :

  • 2023 : Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) repousse de 2025 à 2030 l’objectif d’allouer 0,7 % du RNB de la France à l’APD. L’APD totale de la France mesurée par l’OCDE enregistre un recul de 11 % par rapport à 2023.
  • 2024 : un décret porte annulation de crédits sur le budget général 2024 pour un montant de
    10 milliards d’euros, dont 742 millions d’euros en moins pour la mission APD, soit la mission la plus affectée en proportion.
  • 2025 : la loi de finances entérine une baisse de 37 % du budget alloué à la mission APD. Au moins d’avril, un décret porte cette coupe à 39 %, soit près de 2,3 milliards d’euros en moins pour la mission APD.


Une promesse non tenue depuis un demi-siècle encore repoussée de cinq ans

La France se classe aujourd’hui cinquième bailleur mondial d’aide publique au développement (APD). Elle a alloué en 2024 à cette politique publique 0,48 % de son revenu national brut (RNB), soit 14,3 milliards d’euros. Pour autant, elle n’a jamais tenu l’engagement international, adopté par les pays industrialisés en 1970 aux Nations unies, de consacrer 0,7 % de leurs revenus à l’APD.

En 2021, une nouvelle loi consacrait une avancée historique, prévoyant l’atteinte des 0,7 % du RNB consacrés à l’APD d’ici 2025. Pourtant, le gouvernement est discrètement revenu sur cet engagement à l’été 2023, repoussant l’atteinte de cet objectif à 2030, à l’occasion du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID).

Selon les projections de Focus 2030, le report de l’atteinte de cet objectif de 2025 à 2030, ainsi que les diverses coupes budgétaires concernant l’APD représentent un manque à gagner pour le développement international de plus de 35 milliards d’euros entre 2025 et 2030, à l’heure même où les pays les plus vulnérables font face à une contraction inédite de leurs marges de manœuvre fiscales, anéantissant leur capacité à répondre aux besoins essentiels de leurs populations et à mener à bien leur transition climatique.

En outre, l’APD de la France a d’ores et déjà diminué en 2023, pour la première fois en sept ans, et s’est maintenue à ce faible niveau en 2024. Selon les données de l’OCDE publiées en janvier 2025, l’APD de la France avait diminué de 13 % en 2023 par rapport à 2022. Elle est restée à un niveau inchangé en 2024, soit 0,48 % de son RNB (contre 0,56 % en 2022), en contradiction avec la trajectoire pourtant inscrite dans la loi 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Celle-ci envisageait en effet l’atteinte de 0,66 % du RNB de la France dédiés à l’APD en 2024.



2024 : une nouvelle coupe de l’APD, 10 fois supérieure aux autres lignes budgétaires

Alors que la France s’est maintes fois engagée sur la scène internationale en faveur d’un choc de financement concessionnel pour soutenir les pays les plus vulnérables au changement climatique et aux conséquences à long terme de la pandémie de Covid-19, tout particulièrement à l’occasion du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial de juin 2023, ces nouvelles orientations interrogent.

Ainsi, le 18 février 2024, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, a annoncé l’intention du gouvernement de compenser la baisse anticipée de la croissance française en 2024, par des économies de 10 milliards d’euros. Sur cette somme, 742 millions d’euros ont été amputés du budget de l’aide publique au développement.

L’aide publique au développement est ainsi affectée de manière disproportionnée par ces coupes budgétaires. Une réduction de 742 millions d’euros de la mission APD (qui représente environ un tiers de l’APD totale de la France) correspond en effet à une baisse de 12,5 % du budget de 5,9 milliards d’euros établi dans la Loi de finances pour 2024, pour s’établir à 5,1 milliards d’euros (contre 5,9 milliards en 2023). En comparaison, une réduction de 10 milliards d’euros sur l’ensemble des missions budgétaires de l’État correspond à une baisse de 1,3 %, pour atteindre 803 milliards d’euros. L’aide publique au développement, instrument vital pour des millions de personnes de par le monde, se voyait ainsi 10 fois plus amputée que les autres missions budgétaires en moyenne.

Au-delà de sa portée symbolique, cette coupe budgétaire affectera des millions de vies. À titre d’illustration, supprimer 742 millions d’euros du budget du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme correspond à 800 000 vies préservées en moins, à 18 millions de nouvelles infections aux trois maladies qui ne pourront être évitées, ou encore à 1,1 million de personnes qui ne pourront accéder à un traitement antirétroviral contre le VIH.


Loi de finance 2025 : suppression du Fonds de solidarité pour le développement et réduction historique de l’APD de près de 2.3 milliards d’euros

La loi de finance initiale (LFI) pour 2025 scelle une réduction historique de la mission Aide publique au développement, avec une baisse de plus de 2,1 milliards d’euros entre 2024 et 2025, à laquelle un décret du 25 avril 2025 a ajouté une réduction supplémentaire de 134 millions d’euros. La réduction, appliquée aux crédits de paiements pour 2024 (5,76 milliards d’euros), atteint ainsi 2,259 milliards d’euros.

En outre, la loi met également fin aux financements innovants de l’APD par la France. Une partie (738 millions d’euros) des recettes de la taxe sur les transactions financières et de la taxe de solidarité sur les billets d’avion était jusque-là affectée chaque année au Fonds de solidarité pour le développement (FSD) pour soutenir le financement par la France d’instruments multilatéraux (Fonds mondial, IFFIm, Unitaid, Fonds vert climat, Partenariat mondial pour l’éducation). La LFI 2025 officialise la suppression du FSD : l’ensemble du produit des deux taxes alimentera désormais le budget général, abrogeant ainsi le seul instrument qui soutenait directement l’APD de manière pérenne chaque année.

Le FSD est remplacé par une nouvelle ligne budgétaire du même nom, qui ajoute 738 millions d’euros de crédits de paiement à la mission APD en 2025, limitant artificiellement la baisse des crédits de paiement à 24 % (-1,4 milliard d’euros).

Dans un contexte où la coopération multilatérale et la solidarité internationale sont plus cruciales que jamais afin de relever les défis planétaires, ces décisions politiques apparaissent à contre-courant des besoins actuels. Comme le relève Oxfam, « avec cette trajectoire budgétaire, la plupart des objectifs inscrits noir sur blanc dans la loi d’orientation et de programmation de 2021 ne seront pas tenus ».


Réactions des ONG françaises

En réaction aux coupes de février 2024, de nombreuses ONG ont dénoncé le «  manque de cohérence  » de la France, à l’instar de Coordination SUD, plateforme nationale des ONG françaises, qui a souligné que «  les conséquences d’une telle annonce pèsent avant tout sur les populations qui vivent en situation de pauvreté et d’assistance humanitaire dans le monde  ». Le lancement du hashtag #StopàlabaisseAPD visait également à interpeller le gouvernement afin de ne pas procéder à de nouvelles coupes en 2025.

Pour ONE France, «  il n’est plus possible de penser le futur de notre pays sans se soucier de ce qu’il se passe dans le reste du monde  ». Le Réseau Action Climat s’est interrogé : «  comment la France compte atteindre sa promesse de consacrer 0.7 % de sa richesse nationale à l’aide internationale avec une telle baisse », tandis que Oxfam France a critiqué «  le sacrifice de la solidarité internationale en pleine triple crise mondiale humanitaire, climatique et des inégalités   » tout en rappelant que d’autres options politiques, notamment fiscales, sont possibles.

Global Citizen, ONE et Oxfam France ont dénoncé dans une campagne de sensibilisation publiée dans Le Monde, une « décision qui menace les plus vulnérables » et rappelé dans une vidéo l’importance de l’aide publique au développement dans un contexte d’explosion des besoins des pays vulnérables.

Un collectif de 25 député·e·s de la majorité et de l’opposition ont également dénoncé les coupes successives du budget de l’aide publique au développement dans une tribune publiée dans Le Nouvel Obs. Les parlementaires ont appelé à améliorer la collecte de la taxe sur les transactions financières afin de dégager de nouvelles ressources pour respecter les engagements français en matière d’APD et d’atteindre l’objectif du 0,7 %.

À la suite des révélations concernant de nouvelles réductions de l’APD dans le Projet de loi finances pour 2025, les organisations de la société civile et acteurs du développement se sont mobilisés à de nombreuses reprises - notamment dans la presse - pour condamner des coupes sur un budget pourtant « vital ».

  • Plus de 170 personnalités, dont des chercheur·euse·s et dirigeant·e·s d’ONG, ont appelé le ministre des Affaires étrangères à ne pas revenir sur les engagements de la France dans une tribune dans le journal Libération.
  • Dans une tribune publiée par Jeune Afrique, 83 dirigeant·e·s d’ONG ont demandé à la France de ne pas donner le mauvais exemple en matière d’aide publique au développement et de réaffirmer son engagement pour la coopération internationale.
  • Face à ces coupes, les ONG Action Santé Mondiale, Global Citizen et ONE ont appelé dans Le Monde à mobiliser davantage de financements via un renforcement de la taxe sur les transactions financières afin d’améliorer les finances publiques de la France, et d’augmenter son soutien aux populations les plus vulnérables.
  • Oxfam France a notamment dénoncé dans un communiqué de presse de « graves baisses de crédits », « dramatiques au vu des besoins humanitaires des populations les plus pauvres », et qui évitent « de faire contribuer les ultra-riches ». Dans une tribune publiée à l’occasion du Sommet de la Francophonie, Oxfam a également accusé la France de faire preuve d’hypocrisie : le gouvernement annonce des coupes budgétaires sur l’APD à l’heure où 70 millions de francophones - soit l’équivalent de la population française - ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence.
  • L’ONG ONE France a quant à elle appelé Emmanuel Macron à cesser de considérer la solidarité internationale comme une « variable d’ajustement budgétaire », notant que le budget consacré à l’APD préserve des millions de vies à travers le monde chaque année. ONE a également exhorté le gouvernement Bayrou à préserver les taxes solidaires et à honorer les engagements internationaux de la France dans une tribune publiée le 15 janvier 2025.
  • Par ailleurs, Global Citizen a lancé une pétition appelant la France à stopper des « coupes catastrophiques » dans l’aide publique au développement, et a signé avec une soixantaine d’autres organisations du monde entier (dont Action santé mondiale, ONE, Oxfam et Coordination Sud) une tribune dans Le Monde pour alerter sur les dommages causés par les coupes budgétaires sur les populations les plus vulnérables.
  • En réponse à la suppression du Fonds de solidarité pour le développement, Olivier Bruyeron, président de Coordination SUD, a rappelé dans un article de Libération que ce mécanisme garantissait non seulement la durabilité des financements, mais permettait également à deux secteurs profitant de la mondialisation (la finance et l’aviation) de contribuer à la solidarité internationale. Il a ajouté que sa suppression entraînerait une fragilisation du budget de l’aide publique au développement.

Des décisions budgétaires à l’encontre des aspirations des citoyennes

Dans le cadre du projet Development Engagement Lab, Focus 2030 et ses partenaires mesurent depuis 2013 l’évolution du soutien des Français·es à l’aide publique au développement. En février 2025, 59 % des personnes interrogées se déclaraient en faveur d’une hausse ou d’un maintien du budget consacré à l’APD.


Une médiatisation croissante des coupes de l’aide publique au développement

Focus 2030 analyse en temps réel la manière dont 110 médias français couvrent les enjeux de développement via MEDIA 2030, un baromètre mensuel mesurant le traitement médiatique des enjeux de développement.

Face aux coupes drastiques de l’APD observées dans de nombreux pays donateurs, France comprise, il s’avère qu’un nombre croissant de médias couvrent ce revirement historique et ses conséquences sur le terrain.

Découvrir MEDIA 2030


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