Publié le 11 octobre 2024 dans Décryptages
Ce rapport est publié dans un contexte de restrictions budgétaires importantes qui affectent tout particulièrement l’aide publique au développement. Pour en apprendre davantage sur ces coupes, leurs conséquences et les réactions des organisations de la société civile, consulter l’analyse de Focus 2030 : « La France revient sur ses engagements en matière d’aide publique au développement ». |
L’Humanité fait face à un nombre sans précédent de crises concomitantes : guerres, changements climatiques, crise économique, recrudescence des épidémies, famines. Près de 700 millions de personnes vivent désormais en dessous du seuil de l’extrême pauvreté, mettant à mal trois décennies de progrès.
Répondre aux crises actuelles tout en préparant l’avenir requiert en effet une action politique coordonnée et des ressources à la hauteur des enjeux, dans les plus brefs délais. Le déficit annuel de 4 000 milliards de dollars d’investissements pour atteindre les Objectifs de développement durable dans les pays du « Sud global » souligne, dans un contexte démographique inédit, l’urgence d’une action collective et d’une redistribution plus équitable des ressources.
L’aide publique au développement (APD), bien qu’elle ne soit qu’un outil parmi d’autres pour mobiliser des ressources en faveur du développement, n’en demeure pas moins la seule politique publique redistributive en mesure de répondre aux urgences planétaires et aux besoins des populations les plus vulnérables.
La France assume depuis 2017 une part de cet effort qui mérite d’être soulignée. Pourtant, cette ambition, saluée par ses partenaires internationaux, semble aujourd’hui fragilisée.
En effet, la France opère depuis 2023 un revirement historique de sa politique d’aide publique au développement. En deux ans, ce sont plus de deux milliards d’euros qui risquent d’être amputés de l’effort budgétaire de l’État pour la solidarité internationale.
La présente étude démontre que l’aide publique au développement de la France, lorsqu’elle soutient des instruments et projets à fort impact et n’est pas détournée de sa fonction première, est sans aucun doute la politique publique la plus efficace en termes de coût-résultats.
Cette évaluation indépendante réalisée par Focus 2030 vise à mesurer l’évolution de la politique d’aide publique au développement de la France depuis 2017. Elle analyse la réalisation des objectifs assignés, les réformes envisagées, les efforts de modernisation ainsi que les trajectoires financières.
Depuis 2017, la France a accueilli un certain nombre de rencontres internationales, s’érigeant en défenseuse d’une réponse multilatérale aux crises mondiales. Parmi les événements marquants, elle a accueilli les conférences de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et du Fonds vert pour le climat, elle a co-présidé avec le Mexique le Forum Génération Égalité, et en 2023, elle a organisé à Paris le Sommet pour un Nouveau pacte financier mondial, qui a conduit une soixantaine de pays à soutenir le Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète, une feuille de route s’inscrivant dans la volonté de réformer l’architecture financière internationale pour mieux soutenir la lutte contre la pauvreté et pour la préservation de la planète.
Malgré ces initiatives, l’OCDE recommande à la France de mobiliser davantage de ressources afin de mettre en œuvre les décisions prises lors de ces sommets, et de mieux aligner ses actions nationales avec ses engagements internationaux.
D’ici 2030, plusieurs événements et reconstitutions multilatérales, dont la 4e Conférence internationale sur le financement du développement, le Sommet Nutrition For Growth, les reconstitutions de l’IDA, de Gavi, du Fonds mondial, d’Unitaid, ou encore du Fonds vert pour le climat, seront l’occasion pour la France de consolider ses engagements en faveur de la solidarité internationale.
La France s’est engagée en 1970 devant les Nations unies, aux côtés des autres pays industrialisés, à allouer 0,7 % de sa richesse nationale à l’APD. Elle n’a jamais atteint cet objectif, mais la trajectoire engagée depuis 2018 allait dans le bon sens : cible, atteinte de 0,55 % en 2022, et objectif de 0,7 % - inscrit en 2021 dans la loi - à atteindre d’ici 2025.
Cependant, cette trajectoire s’est récemment inversée, en témoigne une diminution de 11 % de l’APD française en 2023 (soit 1,6 milliard d’euros de moins qu’en 2022), un renoncement confirmé en 2023 par le CICID, qui a repoussé à 2030 l’objectif d’allouer 0,7 % du RNB à l’APD. En février 2024, le gouvernement français a procédé à une coupe budgétaire de 742 millions d’euros de la mission « aide publique au développement », cœur de l’APD française (-11 %). Et le projet de loi de finances pour 2025 envisage une nouvelle baisse de 23,3 %, soit une coupe de 1,3 milliard d’euros par rapport au budget 2024.
Ces différents renoncements représentent près de 21,2 milliards d’euros désinvestis du développement international d’ici à 2030.
La France alloue la majorité de son APD par le biais du canal bilatéral (57 %), néanmoins, son recours à l’aide multilatérale la distingue des autres pays de l’OCDE. En 2023, son APD transitait à 43 % par le canal multilatéral (6,1 milliards d’euros), un taux bien supérieur à la moyenne des pays du CAD (25 %). Près de la moitié de l’aide multilatérale française transitait par le budget de l’Union européenne en 2022.
La France est ainsi parmi les bailleurs majeurs d’un certain nombre d’organisations et fonds multilatéraux, tels que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, Gavi, l’Alliance du vaccin, Unitaid, le Fonds vert pour le climat ou le Partenariat mondial pour l’éducation.
Une partie, plafonnée à 738 millions d’euros, de ces contributions multilatérales est financée par la taxe sur les transactions financières (TTF) et la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA). De nombreux acteurs soulignent que ce montant pourrait aisément être multiplié jusqu’à cinq fois, via une collecte optimisée de ces taxes, un élargissement de leur assiette et une plus grande affectation à la solidarité.
L’aide publique au développement peut être allouée sous forme de dons ou de prêts dits concessionnels, soit à un taux plus bas que ceux du marché. La France s’est fixée en 2021 l’objectif d’allouer 70 % de son APD totale sous forme de dons, un objectif dépassé dès son adoption, pour atteindre 88 % en 2023. Elle demeure néanmoins en deçà de la moyenne des pays donateurs (92 %) et se classe 27e sur 31 pays, avec 19 pays du CAD allouant plus de 98 % de leur APD sous forme de dons.
Mécaniquement, la France se démarque par son important recours aux prêts, 19 % de son aide bilatérale en 2023, un taux bien supérieur à la moyenne du CAD (4 %). En outre, ses prêts sont moins concessionnels que le standard recommandé par l’OCDE, contribuant à aggraver la situation budgétaire de pays parfois contraints d’arbitrer entre le remboursement de leur dette et le financement de leurs services publics.
Cet important recours aux prêts plutôt qu’aux dons influence les secteurs soutenus via l’APD de la France, au détriment des secteurs sociaux tels que la santé et l’éducation. Ainsi, les secteurs identifiés comme prioritaires par le CICID en 2018 n’ont bénéficié de 41 % de l’APD de la France en 2022, malgré l’augmentation de 70 % de leur financement entre 2018 et 2022. En 2022, 29 % de l’APD française a été allouée au secteur des infrastructures et services économiques, tandis que l’éducation n’a reçu que 19 % (dont les deux tiers en frais de scolarité des étudiants étrangers) et la santé 9 %.
L’égalité de genre est un objectif de longue date de la politique de développement de la France. En 2021-2022, près de la moitié de son APD bilatérale (4,4 milliards de dollars par an) visait l’égalité femmes-hommes, en ligne avec la moyenne de l’OCDE mais encore loin de la cible de 75 % fixée pour 2025. En outre, le soutien de la France aux organisations multilatérales pour l’égalité de genre reste limité. Néanmoins, elle se distingue par son soutien aux organisations féministes et se positionnait comme le premier donateur d’APD bilatérale dans ce domaine en 2021-2022. Elle promeut également cet enjeu sur la scène internationale, à travers sa diplomatie féministe.
La France est l’un des pays déclarant le plus de financements au profit du climat. En 2022, elle indiquait allouer 59 % de ses engagements d’APD bilatérale aux enjeux climatiques, soit 7,6 milliards d’euros. Toutefois, alors que seuls 15 % de ces financements sont octroyés sous forme de dons - le reste étant des prêts -, cette forme de soutien pourrait aggraver la situation de pays au bord du surendettement. Seuls 18 % sont, par ailleurs, consacrés à l’adaptation climatique, contre 28 % en moyenne parmi les pays de l’OCDE.
Le CICID de 2018 déterminait une liste de 19 pays prioritaires de l’APD de la France, remplacée dans le CICID 2023 par un objectif d’allocation de 50 % de l’aide aux pays les moins avancés (PMA), dans le cadre du renforcement de l’action de la France dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Malgré ces orientations, la France concentrait principalement son aide sur les pays à revenu intermédiaire en 2022, qui ont reçu 48 % de ses décaissements d’APD totale, tandis que les PMA n’en ont bénéficié que de 19 %.
En matière de répartition géographique, l’Afrique était en 2022 le premier continent destinataire de l’APD française, recevant 40 % des décaissements, contre 13 % pour l’Asie et 8 % pour l’Europe. Cette répartition est restée stable depuis 2017.
Une part importante des montants déclarés par la France est dépensée sur le territoire national. En effet, la France, comme la majorité des autres pays du CAD, inclut dans son APD les frais de prise en charge, sur son sol, des étudiants étrangers et des réfugiés. Ces deux catégories représentaient en moyenne 26 % de son APD bilatérale entre 2018 et 2022, contre 14 % en moyenne parmi l’OCDE. Cette pratique suscite des critiques, de nombreux acteurs considérant ces montants comme de l’« aide gonflée » qui ne va pas vraiment vers les pays en développement.
Une partie de l’APD de la France transite par des organisations de la société civile (OSC), situées en France ou dans les pays destinataires de l’aide. La hausse des allocations vers les OSC est généralement encouragée, notamment par l’OCDE, en tant qu’organisations indépendantes qui ont un accès privilégié aux populations marginalisées et vulnérables. En 2017, 310 millions d’euros de l’APD de la France transitaient par les OSC, un montant qui a plus que doublé pour atteindre 711 millions en 2022.
Cependant, la France s’appuie moins sur les OSC que la moyenne des pays de l’OCDE (13 %), leur allouant seulement 7,8 % de son APD bilatérale en 2022. Malgré l’engagement de la Loi de programmation de 2021 de se rapprocher de cette moyenne, la loi de finances 2024 prévoit seulement 8 % d’APD bilatérale à destination des OSC jusqu’en 2026.
La mise en œuvre de la politique française pour le développement international reste marquée par un manque de transparence et de redevabilité, malgré quelques lents progrès. Les mesures en la matière instaurée par la loi de programmation de 2021 tardent à être mise en œuvre. Résultat, en 2024, l’ONG Publish What You Fund a classé l’Agence française de développement 35e sur 50 en termes de transparence de l’aide, notant une régression des bonnes pratiques depuis 2022. Le ministère des Affaires étrangères, absent du classement depuis 2020, gravitait alors autour des mêmes niveaux de transparence.