Publié le 28 juillet 2021 dans Décryptages , mis à jour le 14 janvier 2025
Dans le contexte d’une réduction historique de l’aide publique au développement française depuis 2023, Focus 2030 publie son évaluation indépendante de la politique d’aide au développement de la France depuis 2017. Réalisation des objectifs assignés, réformes envisagées, efforts de modernisation, trajectoires financières... Consulter le rapport « L’aide publique au développement de la France dans un monde en turbulences : la fin d’une ambition ? ». |
La pandémie de Covid-19 a remis en exergue le rôle crucial de financement du développement que se doivent d’endosser les économies les plus riches pour l’atteinte collective des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies d’ici à 2030.
La France est le septième pays le plus riche de la planète en termes de produit intérieur brut (PIB). À ce titre, elle contribue à l’aide publique au développement (APD), qui correspond selon la définition du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE à « l’aide fournie par les États dans le but exprès de promouvoir le développement économique et d’améliorer les conditions de vie dans les pays en développement. »
Selon les chiffres du CAD pour l’année 2023, la France a alloué 13,9 milliards d’euros à l’aide publique au développement, soit 6,7 % de l’APD totale des 31 pays membres du CAD. Cette somme correspond à 0,48 % du revenu national brut de la France, au-dessus de la moyenne du CAD (0,37 %) mais en-deçà de l’engagement international de 0,7 %.
Le 4 août 2021, la France a promulgué une nouvelle loi encadrant sa politique d’aide au développement : la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, ou « loi développement solidaire », prévoyant l’atteinte des 0,7 % du RNB consacrés à l’APD d’ici 2025.
Pour autant, le gouvernement français est revenu sur cet engagement à l’été 2023, repoussant l’atteinte de cet objectif à 2030, à l’occasion du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID). De plus, des coupes budgétaires affectant l’aide publique au développement à hauteur de 742 millions d’euros ont été décrétées en février 2024, une dynamique qui se poursuivait dans le projet de loi de finances pour 2025 et ses amendements gouvernementaux qui prévoyaient une nouvelle réduction de l’APD de 1,9 milliard d’euros, avant la censure du gouvernement en décembre 2024. Analyse.
Les objectifs et les orientations de l’APD de la France étaient fixés depuis 2014 par la loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale. Cette loi devait être l’objet d’une révision au bout de cinq ans, ce qui est finalement survenu en 2021 à l’unanimité du Parlement.
La loi développement solidaire promulguée en août 2021 revêt un caractère central en matière de coopération pour le développement et de solidarité internationale, mais aussi de lutte contre la pauvreté et les inégalités mondiales, comme le réclame la poursuite des Objectifs de développement durable. Elle prévoit l’atteinte symbolique de 0,7 % du revenu national brut alloué à l’APD d’ici 2025, ce qui constituait un évènement attendu. Pour autant, le gouvernement est revenu sur cet engagement à l’été 2023, repoussant l’atteinte de cet objectif à 2030.
L’organisation institutionnelle du système français de coopération pour le développement est complexe.
Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (le CICID), instance de coordination principale, fixe, sous l’autorité du Premier ministre, les grandes orientations stratégiques de la politique de développement de la France. Sa dernière réunion s’est tenue en juillet 2023.
Le Conseil présidentiel du développement (CPD) a été instauré en 2018, afin de renforcer le pilotage de la politique de développement de la France. Présidé par le président de la République, il est chargé de prendre les décisions stratégiques dans la mise en œuvre de l’aide au développement française. Le second s’est tenu en mai 2023. Le troisième CPD devrait être organisé en mars 2025.
Enfin, le Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) est l’instance centrale de dialogue entre l’État et les acteurs de la société civile sur les objectifs et les orientations de la politique française de développement. Il est présidé par le ministre des Affaires étrangères et rassemble des élus et des représentants de la société civile investis dans le développement et la solidarité internationale. Le CNDSI n’a qu’un pouvoir consultatif mais se réunit plusieurs fois par an.
L’APD de la France est mise en œuvre à travers 24 programmes budgétaires distincts, répartis entre 14 missions gérées par 10 ministères, auxquels s’ajoutent des crédits extrabudgétaires. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) et le ministère de l’Économie et des finances supervisent la « mission APD », qui comptait pour 45 % de l’APD totale de la France en 2022 (6,9 milliards d’euros).
Les crédits budgétaires regroupés au sein de la mission APD, communément désignés comme le « cœur de l’aide », permettent de financer la coopération bilatérale de la France (dont l’aide projet, le soutien aux organisations de la société civile ou encore la coopération technique), sa contribution à l’aide mise en œuvre par la Commission européenne ainsi que son soutien à l’action des organisations internationales.
Depuis 2017, l’aide publique au développement de la France est entrée dans une période de croissance fortement attendue, non seulement par les acteurs de l’aide au développement et par les parlementaires, mais aussi et surtout par ses bénéficiaires. La trajectoire croissante de l’APD de la France (+36 % en termes réels entre 2018 et 2022) a cependant été inversée à partir de 2023.
En 2023, l’APD française s’est établie à 13,9 milliards d’euros, représentant 6,7 % de l’APD mondiale. Entre 2022 et 2023, son APD a diminué de 13 %. La France se situe ainsi au 5e rang des bailleurs en volume après les États-Unis, l’Allemagne, le Japon et le Royaume-Uni, mais elle se classe au 11e rang en proportion du RNB alloué à l’APD, à 0,48 %, au-dessus de la moyenne du CAD (0,37 %) mais en-deçà de l’engagement international de 0,7 %.
La loi développement solidaire a introduit une programmation financière de l’APD de la France jusqu’en 2022, pour atteindre 0,55 % du RNB alloué à l’APD à cette date. Cette programmation était absente de la précédente loi de 2014. Toutefois pour lui donner toute sa portée, il faudrait naturellement que cette programmation aille jusqu’en 2025. Cela est d’autant plus nécessaire que les actions mises en œuvre sur le terrain ont besoin de prévisibilité sur les moyens alloués.
La mention dans le texte que la France « s’efforcera d’atteindre 0,7 % du revenu national brut en 2025 » à destination de l’APD constituait une avancée importante, fixant, pour la première fois, une date pour atteindre l’objectif de 0,7 % du RNB à l’APD. Pourtant, lors de sa dernière réunion en juillet 2023, le CICID a repoussé l’atteinte de cet objectif, indiquant que la France « s’efforcera d’atteindre l’objectif de consacrer 0,7% du RNB à l’APD d’ici 2030 ».
En outre, en 2024, le gouvernement a procédé à une diminution drastique de l’aide publique au développement de la France, amorcée en février 2024 par une coupe de 742 millions d’euros de la mission APD (-13 %), et poursuivie dans le projet de loi de finances pour 2025 et ses amendements gouvernementaux, qui envisageaient une réduction supplémentaire de l’APD française de près de 2 milliard d’euros (-34,5 %) avant la censure du gouvernement en décembre 2024.
Selon les estimations de Focus 2030, le report de l’atteinte du 0,7 % à 2030 conjugué à ces deux coupes budgétaires pourraient constituer un manque à gagner de presque 22 milliards d’euros pour la solidarité internationale entre 2025 et 2030.
De plus, sur la période 2022-2025, la loi développement solidaire fixait l’objectif d’allouer 70 % de l’APD sous la forme de dons, un objectif déjà atteint lors de l’adoption de la loi et qui a depuis été largement dépassé (ils représentaient 87 % de l’APD totale en 2023, une proportion néanmoins plus faible que la moyenne des membres du CAD de l’OCDE, qui se situe autour de 92 %). Le CICID 2023 a entériné le renforcement de l’APD sous la forme de dons, sans toutefois fixer d’objectif quantifié, ainsi que l’expérimentation de prêts très concessionnels.
En 2015, après l’adoption de la précédente loi régissant l’APD de la France, la communauté internationale a adopté de nouveaux accords, au premier desquels, l’Agenda 2030 des Nations unies. La loi développement solidaire inscrit donc l’APD de la France dans le cadre des Objectifs de développement durable, ainsi que ceux de l’Accord de Paris sur le climat et du programme d’action d’Addis-Abeba sur le financement du développement.
La loi développement solidaire mentionne à 30 reprises les Objectifs de développement durable ou les ODD. De plus, le cadre de partenariat global, document annexé à la loi qui en précise, entre autres, le cadre de résultats, comporte des indicateurs de résultats alignés sur certaines cibles des ODD pour chacune des priorités de l’APD.
Le CICID 2023 a révisé les priorités stratégiques et géographiques de l’APD de la France.
Elle décline ainsi son action selon dix objectifs :
De plus, le CICID 2023 a décidé de la fin d’une liste de pays prioritaires de l’aide bilatérale de la France (préalablement 19 pays), au profit d’une cible fixée à 50 % de l’effort financier bilatéral de l’État vers les pays les moins avancés (PMA).
La loi développement solidaire accorde une place plus grande aux organisations de la société civile (OSC), reconnaissant leur droit d’initiative et prévoyant un doublement de l’APD transitant par elles. Ce faisant, la plus-value et l’expertise des organisations de la société civile en matière de lutte contre la pauvreté, la faim et les inégalités, de respect des droits humains, de protection de la planète, d’égalité femmes-hommes, etc. se voient renforcés.
Il prévoit également un renforcement des dispositifs de volontariat de solidarité internationale, intégrant pour la première fois la notion de réciprocité.
La loi développement solidaire consacre l’égalité femmes-hommes et filles-garçons en tant qu’objectif transversal de l’APD française. Le cadre de partenariat global annexé à la loi prévoit ainsi que 75 % des projets (contre 50 % depuis 2013) financés par l’APD de la France aient comme objectif principal ou significatif l’égalité femmes-hommes (selon le marqueur genre de l’OCDE) d’ici 2025, dont 20 % l’aient pour objectif principal.
La France a consacré 47 % de son APD à cet objectif en 2021-2022. Concrétiser les engagements de la loi (y compris l’atteinte du 0,7 % du RNB pour l’APD en 2025) signifierait allouer, d’ici à 2026, 17,3 milliards d’euros à l’APD, dont près de 7 milliards engagés pour la promotion de l’égalité femmes-hommes.
Enfin, la loi développement solidaire renforce la redevabilité de la politique de partenariat, en introduisant des indicateurs de résultats, une commission d’évaluation de la politique française de développement et une revue annuelle au Parlement de la mise en œuvre de la politique. De plus, elle prévoit la mise en place d’une base de données ouvertes regroupant les informations relatives à l’APD mise en œuvre par l’État et les opérateurs dont il assure la tutelle.
Inauguré le 17 décembre 2020 lors du premier Conseil présidentiel de développement, le Fonds d’innovation pour le développement (FID) consiste à impulser, accélérer et déployer à large échelle des solutions innovantes à haut potentiel de transformation, en réponse aux défis mondiaux majeurs en matière de développement, tout en s’appuyant sur la rigueur de l’évaluation scientifique et de l’expérimentation.
Présidé par Esther Duflo, co-lauréate du prix Nobel d’économie 2019, ce fonds est ouvert aux initiatives de tous horizons, déployées dans les pays à revenus faibles et intermédiaires et auprès des plus vulnérables. Sans restriction de définition des innovations (technique, sociale, environnementale, de gouvernance, de processus…), le FID concentre son action en privilégiant les secteurs de l’éducation – en priorité pour les filles – la santé, l’environnement et l’égalité de genre.
Hébergé à l’AFD dans le cadre d’une convention de gestion avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, le FID dispose d’une gouvernance et d’un mode opératoire en propre. Il est doté, pour sa première année, d’un budget de 15 millions d’euros. Il financera exclusivement sous forme de subventions des propositions émanant de tous types d’organisations : institutions de recherche, ONG, gouvernements, entreprises…
Les Français·es soutiennent de plus en plus l’aide publique au développement : plus de la moitié des citoyens se déclarent en faveur d’une augmentation ou d’un maintien de l’aide internationale à destination des pays les plus pauvres. Parallèlement, la proportion de ceux qui se déclarent partisans d’une baisse de l’aide internationale de la France s’est considérablement réduite, passant de 43 % en 2013 à 24 % en janvier 2024. En détail, on mesurait en 2017 que 46 % des Français·es considéraient qu’accorder 0,7 % du budget national à l’aide publique au développement ne constituait qu’un effort modeste.