Publié le 10 mars 2022 dans Décryptages
Crise climatique, crise sanitaire, crise de l’accueil des réfugiés, crise économique et sociale, crise du multilatéralisme : les cinq dernières années auront été marquées par une série de bouleversements sans précédent à l’échelle de la planète.
La France, septième puissance économique mondiale, membre permanent du Conseil de sécurité, cinquième au rang des donateurs d’aide publique au développement, a-t-elle été au rendez-vous face à ces crises ?
C’est la question à laquelle ce bilan entend apporter des éléments de réponse.
Focus 2030 a analysé la politique de solidarité internationale menée par la France durant le quinquennat d’Emmanuel Macron, ce, au regard des objectifs qu’elle s’est elle-même fixés lors de la dernière réunion du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), instance définissant les grandes orientations du gouvernement en la matière pour les années à venir.
Aide publique au développement (APD), santé mondiale, égalité femmes-hommes, éducation, lutte contre les dérèglements climatiques, soutien aux pays les plus fragiles, relation avec le continent africain : comment ces déclarations et manifestations d’intention s’incarnent-elles à l’épreuve des faits ?
Durant cette période, en contraste avec une tendance aux replis nationaux ou régionaux observés de par le monde, force est de constater que la France a multiplié les appels à l’action multilatérale, en accueillant notamment de grands évènements internationaux : les conférences de reconstitution du Fonds vert pour le climat, du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et du Partenariat mondial pour l’éducation, de même qu’en assurant la présidence du sommet du G7 en 2019, ou encore en initiant des conférences au format original tels que le Forum de Paris sur la paix, le One Planet Summit, et le Forum Génération Égalité.
L’adoption à l’unanimité, à l’été 2021, de la Loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales a, selon la plupart des observateurs, traduit une nouvelle ambition de la France en la matière (recherche de l’impact, volume de l’aide, soutien à l’innovation, changement de méthodes).
Pour autant, au-delà de la multiplication des initiatives, quel bilan tirer de leur mise en oeuvre et de leur impact ? Retour sur les grandes réformes d’une politique publique pas comme les autres dont l’issue peut ou non changer la vie de millions de personnes au-delà même de l’hexagone.
Durant le dernier quinquennat, l’aide publique au développement de la France a atteint un niveau record. Elle est ainsi passée de 9,5 milliards d’euros en 2017 (0,4 % de son revenu national brut), à 14,6 milliards prévus en 2022 (0,55 %), soit 5 milliards d’euros supplémentaires consacrés à cette politique. Par ailleurs, la nouvelle loi de programmation sur le développement solidaire fixe, pour la toute première fois, une date pour l’atteinte de l’objectif – pourtant formulé en 1970 aux Nations unies – de consacrer 0,7 % de sa richesse nationale à l’aide publique au développement : 2025.
Pour autant, et malgré une volonté de changement manifeste, cette hausse des moyens ne s’est pas accompagnée d’une réforme en profondeur de la mise en œuvre de l’APD française. Ainsi, les efforts de modernisation entrepris depuis 2018 tardent à en renforcer la transparence et la redevabilité. Aujourd’hui encore les documents détaillant l’utilisation des fonds et l’atteinte des résultats demeurent difficilement accessibles et lisibles.
Par ailleurs, les priorités géographiques de l’aide française demeurent théoriques. Seuls 4 des 19 pays pourtant considérés comme prioritaires par le CICID figuraient parmi les 20 premiers bénéficiaires de l’APD en 2019. Le soutien aux pays les plus pauvres de la planète pose encore question : plus de 60 % de l’APD bilatérale de la France est allouée à des pays à revenu intermédiaire, contre moins de 10 % à des pays à faible revenu.
Enfin, en dépit d’un soutien financier grandissant aux organisations de la société civile dans leurs actions de solidarité internationale, seule 6,5 % de l’aide de la France transite par ces dernières, faisant de la France l’un des pays qui repose le moins sur les acteurs non gouvernementaux pour lutter contre la pauvreté et les inégalités parmi les pays de l’OCDE (15 % en moyenne en 2019).
Depuis 2017, la diplomatie française a tenté de renouveler ses relations avec l’ensemble du continent africain, et sa jeunesse en particulier, en élargissant sa coopération au-delà des pays du « pré-carré » français et en tentant, avec plus ou moins de succès, de modifier son image, détériorée par son histoire coloniale et néocoloniale : discours de Ouagadougou, renforcement des relations diplomatiques, scientifiques et économiques, travail mémoriel, organisation du Nouveau Sommet Afrique-France…
En dépit de ces initiatives, et comme l’ont souligné les témoignages des intervenants au Nouveau Sommet Afrique-France, la France demeure critiquée pour son action sur le continent africain, en raison de son passé, de la présence permanente de ses bases militaires, de son soutien historique aux régimes autoritaires, ou encore des conséquences en cascade pour le continent des opérations militaires menées en Lybie en 2011 auxquelles la France a pris part.
Au cours des cinq dernières années, la France a su mobiliser ses partenaires (européens, du G7 et dans une moindre mesure du G20) autour des priorités de sa politique de développement international : portage politique d’une réponse coordonnée à la pandémie de Covid-19 et des instruments multilatéraux en santé mondiale, adoption d’une diplomatie féministe, accueil et soutien de conférences internationales en faveur de l’éducation ou encore du climat.
Pourtant, cet engagement tarde à se concrétiser financièrement. La France demeure le pays du G7 ayant apporté la plus faible contribution financière à la réponse mondiale à la pandémie de Covid-19 compte-tenu de sa richesse, elle est en-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE en matière de promotion de l’égalité femmes-hommes, la majeure partie de sa contribution pour l’éducation est toujours allouée à des organismes basés sur le territoire national, et ses financements climat ne respectent pas la nécessité d’un équilibre, pourtant promu par l’Accord de Paris, entre les projets d’atténuation et les projets d’adaptation au changement climatique.
La France a alloué 835 millions d’euros d’APD à la santé mondiale en 2019, principalement à travers le canal multilatéral. Ainsi, tout au long de ce quinquennat, elle a activement soutenu les organisations internationales œuvrant en faveur de la santé mondiale (Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, Gavi, l’Alliance du vaccin, ou encore Organisation mondiale de la santé). Cependant, si la France a contribué à la mise en place d’une réponse coordonnée pour un accès mondial équitable aux outils de lutte contre la pandémie de Covid-19 (Accélérateur ACT ou ACT-A), elle n’a engagé en 2020-2021 qu’un quart de l’effort financier attendu de sa part compte-tenu de sa richesse.
Volet international de la grande cause du quinquennat, la France a adopté une diplomatie féministe en 2018 qui s’est traduite par trois engagements notables : l’intégration de l’égalité femmes-hommes comme enjeu transversal de la présidence française du G7 en 2019, l’accueil et la coprésidence avec le Mexique du Forum Génération Égalité en 2021, et la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes comme objectif transversal de la nouvelle loi de programmation sur le développement, avec l’engagement de consacrer 75 % de l’APD de la France à la promotion directe ou indirecte de l’égalité femmes-hommes d’ici 2025.
Confrontés aux attentes fortes de la part de la société civile, les engagements financiers pris ne permettent pas encore à la France d’être à la hauteur de ses ambitions et de jouer sur un pied d’égalité avec les autres pays ayant adopté une diplomatie féministe, comme la Suède et le Canada.
Entre 2017 et 2019, la France a augmenté son APD en faveur de l’éducation, notamment à travers une hausse drastique de son soutien au Partenariat mondial pour l’éducation. Elle a ainsi atteint 1,4 milliard d’euros en 2019. Pour autant, la moitié de cette contribution demeure constituée de frais de scolarité en France d’étudiants étrangers (frais d’écolage et bourses), et ne bénéficie donc pas directement aux pays éligibles à l’APD.
Durant ce quinquennat, la France a poursuivi son engagement multilatéral en faveur du climat, concrétisé par une contribution en 2019 de 6 milliards d’euros en faveur des pays affectés par le changement climatique, et l’engagement de réitérer cet apport jusqu’en 2025. Elle a par exemple doublé sa contribution au Fonds vert pour le climat (5 milliards d’euros pour 2020-2023).
Il est cependant à noter que seul un tiers de ses financements climat est consacré à des projets d’adaptation au changement climatique, en-deçà des modalités prévues par l’Accord de Paris. Par ailleurs, les efforts de la France en faveur du climat sur le plan national sont insuffisants, comme l’a constaté le Haut Conseil pour le climat, la classant en 2021 au 23e rang sur 57 pays dans l’indice de performance en matière de changement climatique.
L’adoption, à l’été 2021, de la loi de programmation sur le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales, concrétise des avancées notables, tant sur la méthode, sur les moyens financiers, que sur l’alignement des priorités sur les Objectifs de développement durable des Nations unies. La France devra confirmer dans les années à venir sa capacité à tenir ses engagements dans la durée, qu’il s’agisse de moderniser ses instruments de coopération et d’en accroître la transparence, de confirmer la trajectoire financière de son aide publique au développement, ou de renouveler – en profondeur – son partenariat avec le continent africain.
Plus largement, la France se doit d’assumer sa part de responsabilité vis-à-vis des générations futures, que ce soit dans la préparation aux prochaines pandémies, la lutte et l’adaptation aux changements climatiques, la résolution des défis démographiques, ou encore la régulation de la finance, autant de thèmes que les acteurs de la société civile du Nord et du Sud porteront à destination des responsables politiques, en vue de l’accélération de la réalisation des ODD, mise à mal par la pandémie de Covid-19.