Publié le 8 novembre 2023 dans Décryptages
Les 22 et 23 juin 2023, s’est tenu à Paris le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Depuis, les dirigeant·e·s d’États, les gouvernements, les organisations internationales, la société civile et le secteur privé ont été invités à discuter et mettre en oeuvre des solutions pouvant répondre aux crises du climat et de la pauvreté, étroitement liées. Réforme de l’architecture financière internationale, financements innovants, annulation et rééchelonnement de dettes sont autant de sujets discutés pour adapter le financement du développement aux besoins des pays les plus vulnérables. Afin de décrypter les enjeux actuels du financement du développement, Focus 2030 met en avant le point de vue d’expert·es à travers une série d’entretiens avec des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. Découvrez notre dossier spécial consacré aux enjeux de la refonte de l’architecture financière internationale, qui dresse un bilan des progrès et obstacles observés depuis la tenue du Sommet pour un Nouveau pacte financier mondial. |
Propos recueillis le 7 novembre 2023 par Focus 2030.
Focus 2030 : La 6ème édition du Forum de Paris sur la Paix, qui aura lieu les 10 et 11 novembre prochains, vise à trouver des solutions aux défis planétaires au sein d’une communauté internationale toujours plus divisée. Quel regard portez-vous sur cette fragmentation du monde et son impact sur la réalisation des Objectifs de développement durable ?
Chrysoula Zacharopoulou : Admettons déjà l’importance du constat : même si la tension entre le « Sud Global » et le « Nord » est une fiction savamment élaborée par certaines puissances, il y a bel et bien des fractures géopolitiques qui affectent la coopération internationale.
Je dis qu’il y a là une partie de fiction car l’idée d’une opposition Nord-Sud ne résiste pas à l’épreuve des faits. Le dernier exemple en date, c’est l’entrée de l’Union africaine comme membre permanent du G20. Tout indique qu’un multilatéralisme plus efficace et surtout plus inclusif peut advenir. Et la France y travaille.
Mais il faut regarder les fractures telles qu’elles sont. Quand je négocie des investissements solidaires pour la transition énergétique de certains de nos partenaires force est de constater que l’impact de l’agression russe de l’Ukraine puis la crise au Proche-Orient ont des répercussions mondiales et des conséquences directes sur notre aptitude à réaliser l’Agenda 2030. Regardez l’évolution de l’inflation mondiale après l’invasion de l’Ukraine et vous comprenez tout de suite pourquoi la liste des Etats en risque de surendettement dressée par le FMI s’est considérablement allongée.
Cette fragmentation géopolitique engage le pronostic vital de notre agenda pour protéger les biens publics mondiaux : l’Agenda 2030. Elle présente trois risques.
Le premier risque, c’est de reléguer les défis du temps long (le développement durable) derrière l’urgence des théâtres politico-militaires et des drames humanitaires. Je combats cette tragédie des horizons chaque jour. La France lutte contre ce défi avec constance et vigilance. En 2022 nous avons été le seul pays à apporter une aide d’urgence à l’Ukraine et en même temps à continuer à augmenter massivement nos investissements solidaires en Afrique ainsi que notre finance climat.
Le deuxième risque, c’est de voir s’arrêter le cours du progrès. Car le constat est sans appel. Outre le retard causé par les déficits de financement, cette accumulation de crises a un coût : seulement 15 % des cibles des ODD sont en bonne voie. Je ne prends qu’un exemple : l’exacerbation des tensions sino-américaines a un impact direct sur la réalisation de l’Accord de Paris. C’est pour cela que l’Europe instaure une relation équilibrée avec la Chine : elle est tout à la fois un rival systémique, un concurrent économique mais aussi un partenaire indispensable pour la protection des biens publics mondiaux.
Le troisième risque, c’est celui d’une instrumentalisation des interdépendances internationales par des puissances cyniques. Prenez le cas de la Russie : après avoir envahi l’Ukraine, Moscou a délibérément pris en otage la sécurité alimentaire de millions de personnes vulnérables, particulièrement en Afrique. En bloquant les exports de céréales depuis la Mer noire. Et en bombardant les infrastructures agricoles ukrainiennes. Dans le même temps, la France fournissait près d’un milliard d’euros en 2022 pour la sécurité alimentaire mondiale et l’Union européenne acheminait plus de 70 millions de tonnes de céréales en dehors d’Ukraine via ses « corridors de la solidarité ».
Face à ces trois risques, la France a pris le parti de l’action. Ne jamais renoncer à l’ambition de l’Agenda 2030 ni à l’espoir d’un multilatéralisme efficace et créer de nouveaux espaces de coopération pour dépasser ces lignes de fractures et avancer malgré l’adversité. Je ne prends qu’un exemple : le Sommet pour un Nouveau pacte financier mondial organisé par le président de la République Emmanuel Macron en juin a permis d’enclencher une dynamique importante pour transformer les institutions financières internationales. Une dynamique fondée sur le Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète soutenu par près de 40 Etats.
Focus 2030 : Le Forum de Paris sur la Paix sera l’occasion d’évaluer les progrès observés depuis l’adoption du Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète. Quelle est votre analyse des avancées de la réforme de l’architecture financière internationale depuis le Sommet pour un Nouveau pacte financier mondial ?
Chrysoula Zacharopoulou : Tout d’abord, permettez-moi de rappeler un fait important : le Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète est basé sur quatre principes. Ceux-ci posent une doctrine sur une politique partenariale que la France pratique depuis un moment déjà. Par exemple, l’un des quatre principes du Pacte consiste à flécher les investissements solidaires en fonction des priorités politiques nationales du pays soutenu. Cette logique, c’est précisément la philosophie des Partenariats de Juste Transition Energétique (JETP en anglais) que nous avons noués avec l’Afrique du Sud, l’Indonésie, le Vietnam ou encore le Sénégal.
J’ajoute que ce Sommet pour un Nouveau pacte financier mondial s’inscrit dans la ligne très claire des Sommets initiés par le président de la République pour trouver des nouveaux espaces de solidarité internationale alors même que les espaces de coopération se réduisent sous la contrainte des tensions géopolitiques. Dès 2017, le One Planet Summit correspond à cette ambition pour réaliser l’ODD 13 (Action climatique) : trouver des nouvelles sources de financement pour l’action climatique grâce à un format de négociations repensé. Les variantes du Sommet, consacrées à la biodiversité en 2021, puis aux océans en 2022 (One Ocean Summit) et aux forêts (One Forest Summit) en 2023, montrent la capacité d’innovation de la diplomatie française pour réaliser les ODD 14 et 15 en dépit d’un multilatéralisme sous tension.
S’agissant du Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète, les choses s’accélèrent : 39 Etats soutiennent cette ambition de réforme du système financier international. Cette dynamique est perceptible partout : du Sommet Afrique-Climat à Nairobi jusqu’au G20 de Delhi, les références au Pacte sont nombreuses.
Les premiers résultats financiers sont là : la mobilisation de 200 milliards de dollars additionnels par les Banques multilatérales de développement fait désormais consensus. Et les évolutions politiques commencent : la mission de la Banque mondiale évolue pour mieux intégrer la prise en compte des vulnérabilités climatiques ou l’exposition au risque pandémique. Avec le FMI, les résultats du Sommet pour un Nouveau pacte financier mondial sont perceptibles : nous avons atteint la cible de 100 milliards de Droits de tirage spéciaux réalloués aux pays les plus vulnérables. Je constate aussi que les mécanismes de suspension de la charge de la dette pour les pays frappés par des catastrophes climatiques sont en train de se généraliser.
Enfin, il y a des progrès sur la fiscalité internationale pour dégager des nouvelles ressources pour lutter à la fois contre la crise climatique et l’extrême pauvreté. Concrètement, l’Organisation maritime internationale a validé l’objectif de neutralité carbone du transport maritime en 2050 et étudie l’intérêt d’une tarification carbone pour atteindre cette cible. Cette dynamique a vocation à s’élargir : nous lançons avec le Kenya un groupe de haut niveau pour étudier de nouvelles sources de recettes fiscales qui pourraient financer la transition climatique.
Vous le voyez : le Sommet du mois de juin a vraiment posé un « nouveau pacte financier mondial ». Cette lame de fond concerne même la gouvernance des institutions financières internationales. Nous soutenons un renforcement de l’efficacité de la Banque mondiale, mais aussi une augmentation de son capital, pour donner une voix plus forte aux pays émergents et en développement. Ces pouvoirs accrus des pays émergents impliqueraient naturellement des responsabilités accrues : notamment en matière d’alignement sur les objectifs de l’Accord de Paris et de transparence lorsqu’il s’agit de travailler ensemble au traitement de la dette des pays les plus vulnérables.
Focus 2030 : Quelles sont les prochaines étapes de cet agenda, et quel sera le rôle de la France dans cette dynamique internationale ?
Chrysoula Zacharopoulou : Après le Forum de Paris sur la Paix, la prochaine grande étape est bien sûr la COP 28. Pour une raison élémentaire : la réforme du système financier international n’est pas une fin en soi. Elle sert un objectif plus grand encore : la réalisation de l’Agenda 2030… au cœur duquel le sujet le plus brûlant est clairement la crise jumelle climat-biodiversité.
Vous savez bien que cette ambition pour un nouveau pacte financier mondial est en partie née à la COP 27, lors d’un échange entre le président Macron et la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley ! A la COP 28, notre ambition sera donc de concrétiser le Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète dans tous les domaines possibles : atténuation, adaptation, pertes et préjudices, protection des forêts tropicales… et bien d’autres.
Commencera à ce moment la présidence brésilienne du G20. La France se retrouve parfaitement dans les priorités du Président Lula qui s’était exprimé avec force lors du Sommet pour un Nouveau pacte financier mondial. De la réforme de la gouvernance mondiale, que nous espérons plus juste et plus efficace, à la transformation des banques multilatérales de développement, nous portons beaucoup de priorités ensemble.
J’ai de bons espoirs car il y a des signes précurseurs : sur la sécurité alimentaire par exemple, le Brésil vient de rejoindre la coprésidence de la coalition mondiale pour l’alimentation scolaire pilotée jusqu’alors par la Finlande et la France. Je prends cet exemple car derrière les cantines, on perçoit très bien le « système » que forment les ODD : en garantissant une repas quotidien et de qualité à chaque enfant, on répond bien sûr à l’Objectif « Faim Zéro », mais on encourage aussi la scolarisation des enfants (ODD 4), on soutient l’égalité filles-garçons (ODD 5) et, quand la dynamique prend, on peut transformer les systèmes alimentaires dans une logique de production et de consommation durables (ODD 12) afin de protéger le climat (ODD 13) ainsi que les écosystèmes terrestres (ODD 15). Ce partenariat avec le Brésil se poursuivra jusqu’en 2025 avec la COP 30 à Belem, nous y célèbrerons les 10 ans de l’Accord de Paris.
Enfin, je n’oublie pas un objectif que le Secrétaire général des Nations unies et le président de la République se sont donnés : mobiliser le plus grand nombre pour la réalisation des ODD. C’est, je le rappelle, un axe majeur de notre feuille de route pour l’Agenda 2030, documenté un état des lieux très précis présenté à l’ONU cet été : notre Revue Nationale Volontaire. Et pour cela, quoi de mieux que les Jeux Olympiques et Paralympiques, qui se tiendront à Paris en 2024 ? Les Jeux – qui touchent tout le monde - seront précédés par des Jeux Olympiques du Développement Durable. C’est la meilleure manière de réaliser la promesse de l’Agenda 2030 : « ne laisser personne de côté », y compris dans le portage politique de cette ambition pour un futur désirable.
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