Publié le 21 juin 2023 dans Actualités
Les 22 et 23 juin 2023, un Sommet pour un nouveau pacte financier mondial se tiendra à Paris, organisé par la France. De nombreux dirigeant·e·s d’États, de gouvernements, d’organisations internationales, de la société civile et du secteur privé seront invités à discuter des solutions de financement du développement mondial et de la transition climatique. Afin de décrypter les enjeux de ce Sommet, Focus 2030 souhaite recueillir et mettre en avant le point de vue d’organisations expertes dans leurs domaines respectifs et réalise une série d’entretiens avec des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. Découvrez le dossier spécial sur le Sommet, ainsi que l’ensemble des autres entretiens avec des expert·e·s, personnalités et acteurs de la solidarité internationale en amont de l’évènement. |
Propos recueillis le 21 juin 2023 par Focus 2030.
Focus 2030 : Le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE est l’un des principaux piliers de l’architecture financière internationale depuis plus de 60 ans. Quel sera, selon vous, son rôle dans le nouveau pacte financier mondial qui sera discuté à Paris ?
Pilar Garrido : Les appels à une refonte de l’architecture financière internationale héritée de Bretton Woods se sont multipliés ces derniers temps : c’est la raison pour laquelle nous sommes toutes et tous réunis à Paris cette semaine. Le CAD est l’un des piliers de cette architecture. Il fournit une aide publique au développement (APD) qui est considérée comme "l’étalon-or" de l’aide étrangère depuis 1969. Les membres du CAD fournissent environ 80 % des contributions volontaires aux agences des Nations unies pour le développement, 89 % de la dernière reconstitution des ressources de l’Association internationale de développement (AID) et plus de 60 % des financements extérieurs reçus par les pays à faible revenu. Le rôle du CAD et celui de l’APD restent donc prépondérants dans l’architecture financière internationale.
Bien qu’un certain nombre de nouveaux donateurs soient apparus au cours des dernières décennies, le niveau de leur aide publique au développement est difficile à mesurer et à comparer, en raison des différences dans les définitions et les normes de reporting. Néanmoins, à l’instar du FMI et de la Banque mondiale, le CAD doit évoluer pour rester en phase avec les Objectifs de développement durable (ODD). L’OCDE, qui héberge le CAD, et les membres du Comité participent au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial afin de discuter des améliorations à apporter et de la voie à suivre. Plus tard dans l’année, lors de sa réunion à haut niveau, le CAD discutera d’un nouveau programme de travail autour d’une ambition renouvelée. Le Comité a l’intention de s’engager activement dans les discussions à venir sur la révision du programme d’action d’Addis-Abeba.
Focus 2030 : L’aide publique au développement (APD) a atteint un niveau record en 2022. Mais la majeure partie de l’augmentation est due à la réponse urgente aux crises (COVID-19 et la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine). Comment faire en sorte que l’APD réponde aux objectifs de développement à court et à long terme ?
Pilar Garrido : Les niveaux d’APD ont en effet atteint un niveau record en 2022, franchissant la barre des 200 milliards USD. Les réponses aux crises ont largement contribué à cette croissance : en 2021, les activités liées au COVID-19 ont représenté 12 % de l’APD, et en 2022, les coûts des réfugiés accueillis par les donateurs et l’aide à l’Ukraine ont représenté respectivement 14,4 % et 7,9 % de l’APD. C’est un bon signe : cela signifie que les membres du CAD sont agiles et que l’APD est suffisamment flexible pour répondre à des situations urgentes, y compris en anticipant certains décaissements déjà planifiés. Toutefois, au-delà des décaissements, il convient d’examiner les nouveaux engagements afin d’anticiper les tendances futures. À l’avenir, le défi consistera à maintenir le niveau d’APD atteint et, au fur et à mesure que les crises se résorbent, à réaffecter les fonds à des objectifs de développement durable à long terme.
La crise du COVID-19 a réaffirmé la nécessité d’investir dans la préparation aux chocs, qu’ils soient sanitaires, climatiques ou liés à des déplacements forcés de populations. En d’autres termes, il faut investir dans les biens publics mondiaux. Le CAD a déjà commencé à modifier son portefeuille : 60 % de l’APD est désormais consacrée à la production de biens publics mondiaux ou à la lutte contre les « maux publics mondiaux », contre 37 % dix ans auparavant. Ainsi, le CAD semble réussir à conjuguer les agendas à court et à long terme. Mais il devrait être clair que l’APD ne peut pas tout faire, et ne devrait probablement pas tout faire ! Nous sommes impatients d’avoir ces conversations lors du Sommet : comment l’APD peut-elle être dépensée au mieux à la fois pour les crises et pour le développement à plus long terme ? Pour répondre à cette question, nous devons tenir compte des priorités des pays, de leur contexte et de leur niveau de développement, ainsi que de leur capacité à mobiliser d’autres sources de financement, domestiques et étrangères, publiques et privées.
Focus 2030 : Cela soulève la question de la prise en compte des vulnérabilités, en particulier des vulnérabilités climatiques. Pensez-vous que le CAD prend suffisamment en compte la vulnérabilité dans l’allocation de l’APD ?
Pilar Garrido : La vulnérabilité est au cœur de l’agenda du financement du développement durable. Lorsque les petits États insulaires en développement ont relancé le débat sur la vulnérabilité, en mettant l’accent sur l’exposition aux chocs climatiques, la communauté internationale a réagi très positivement. Puis, un certain nombre de pays ont commencé à pointer du doigt leurs propres vulnérabilités, et il a semblé qu’une boîte de Pandore avait été ouverte. Le CAD est critiqué pour son utilisation du RNB par habitant comme critère d’éligibilité à l’APD. Tout en reconnaissant ses imperfections, le RNB reste la « moins pire » des mesures disponibles, compte tenu de l’accès limité aux données dans les pays les plus pauvres et des défis méthodologiques liés au calcul des indices de vulnérabilité multidimensionnelle (IVM). Le CAD a adopté une approche pragmatique : récemment, il a introduit la possibilité de réintégrer la liste d’éligibilité à l’APD pour les pays l’ayant récemment quitée mais affectés par des chocs. Il a également accepté la possibilité d’un moratoire sur la sortie de certains pays de la liste pendant la crise du COVID-19, en raison de l’incertitude des données. Au-delà de la question de l’intégration à la liste du CAD, les IVM pourraient certainement contribuer à améliorer l’allocation de l’APD. De nombreux membres du CAD sont en train de revoir leurs priorités nationales et leurs stratégies d’engagement.
Le Sommet de Paris se fait l’écho de la nécessité d’aborder la vulnérabilité dans ses multiples dimensions. De nombreux pays à revenu intermédiaire sont au bord du surendettement et le développement n’est pas un processus linéaire. Comme le montrent nos travaux sur le financement de la transition, le passage d’une catégorie de revenus à une autre peut constituer un obstacle en soi, même s’il s’agit de passer d’un revenu faible à un revenu intermédiaire : de nombreux donateurs se désengagent et les pays éprouvent des difficultés à gérer la viabilité de leur dette une fois qu’ils ont accès aux marchés de capitaux privés.
Il n’existe pas de solution unique en matière de coopération au développement, et la vulnérabilité devrait être utilisée comme un signal d’alarme indiquant qu’une attention encore plus grande est requise de la part des partenaires d’un pays. Les passages d’une catégorie de revenus à une autre doivent être célébrés et non déplorés. Pour y parvenir, les plus vulnérables ont besoin d’une attention particulière tout au long de leur processus de développement.
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