Focus 2030
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3 questions à Delphine O, Ambassadrice et Secrétaire générale du Forum Génération Égalité

Publié le 7 mars 2025 dans Actualités

Dans le cadre de son dossier spécial consacré à l’état des inégalités femmes-hommes dans le monde en 2025, Focus 2030 souhaite mettre en avant les personnalités qui participent chaque jour à la réalisation de l’égalité de genre.

 

 

Entretien avec Delphine O, Ambassadrice et Secrétaire Générale du Forum Génération Égalité

Focus 2030 : La France a adopté en 2019 une diplomatie féministe et a depuis initié plusieurs actions en faveur de l’égalité de genre sur la scène internationale dont la co-organisation du Forum Génération Égalité en 2021. Aujourd’hui, au moins 15 pays ont officiellement adopté une diplomatie féministe. Pourriez-vous nous préciser quelles sont les grandes priorités de la diplomatie féministe française et quelles initiatives concrètes ont été mises en place pour promouvoir les droits des femmes dans le monde ?

 

Delphine O : Après avoir annoncé l’adoption d’une diplomatie féministe en 2019, la France se dote cette année d’une Stratégie internationale pour une diplomatie féministe – un document de référence qui fixe le cadre stratégique, les priorités et les moyens de mise en œuvre de notre diplomatie féministe. Cette Stratégie s’appuie sur cinq piliers : réaffirmer nos priorités historiques notamment la lutte contre les violences fondées sur le genre et pour les droits et santé sexuels et reproductifs ; renforcer la diplomatie féministe dans les enceintes multilatérales (G7, G20, ONU, OCDE…) face au backlash réactionnaire ; continuer à investir dans l’égalité de genre, en soutenant financièrement les mouvements féministes notamment ; inscrire l’égalité de genre dans les grands dossier globaux : lutte contre le changement climatique, régulation du numérique, accords commerciaux, etc. ; et porter une approche féministe comme condition à la paix et la sécurité. Pour mener à bien ces cinq priorités, nous nous appuyons sur une méthode renouvelée, avec un pilotage interministériel et une ambition de transformer la culture institutionnelle en interne, pour que tou.tes les diplomates s’approprient cette diplomatie féministes.

Les initiatives lancées depuis 2019 sont nombreuses : Fonds mondial pour les survivantes de violences sexuelles dans les conflits avec le Dr. Mukwege, Initiative Marianne pour les droits de l’Homme, Fonds de soutien aux organisations féministes (qui a finance plus de 1400 associations dans 73 pays, faisant de la France le premier bailleur mondial pour les ONG féministes), et plus récemment, le Laboratoire pour les droits des femmes en ligne, la première plateforme multilatérale de lutte contre les cyberviolences sexistes et sexuelles. 

La diplomatie féministe, c’est aussi s’assurer que nous intégrons une perspective de genre dans tous les domaines d’activité. Par exemple, dans le cadre du Sommet pour l’action sur l’Intelligence artificielle qui a eu lieu à Paris en février, nous avons fait adopter la première déclaration internationale pour l’intégration d’une perspective de genre dans la gouvernance, la modélisation et l’implémentation de l’IA.

 


Focus 2030 : Dans un contexte marqué par la montée de mouvements conservateurs de plus en plus organisés et financés, qui cherchent à remettre en cause les droits des femmes et des minorités sexuelles, comment les pays engagés dans une diplomatie féministe peuvent-ils structurer une réponse diplomatique efficace ? Quelles alliances et stratégies peuvent être développées pour garantir la protection et le renforcement de ces droits face à ces résistances ?

 

Delphine O : Comme toujours, il s’agit de construire des coalitions d’acteurs de bonne volonté, sur tous les continents, pour faire barrage au backlash. La réponse diplomatique face aux coups de butoir des pays conservateurs dans les enceintes multilatérales, face à leurs tentatives systématiques de détricotage du « langage agréé » des résolutions de l’ONU, passe par une meilleure anticipation dans les négociations, et l’adoption de lignes claires face aux blocages/ lignes rouges de la partie adverse. Il faut aussi davantage former les diplomates dans tous les postes, surtout dans les représentations permanentes auprès d’organisations internationales (New York, Genève, etc.), y compris les diplomates qui ne sont pas habitués à négocier les enjeux de genre. 

La réponse s’appuie aussi sur une concertation étroite avec les pays dits affinitaires (sur qui nous savons pouvoir compter pour défendre les droits des femmes, avec qui nous votons régulièrement à l’ONU), mais aussi en allant chercher des alliés parmi d’autres pays moins évidents à première vue. Nous avons construit patiemment depuis des années des relations avec des petits ou moyens pays, qui n’ont pas intérêt à voir s’effondrer le système multilatéral ni le corpus de textes internationaux sur les droits des femmes. Nous continuons à renforcer et diversifier ces alliances, au gré des changements de gouvernements et de politiques, afin de conserver une majorité dans les enceintes internationales. 

 


Focus 2030 : Après le Mexique, l’Allemagne et les Pays-Bas, la France s’apprête à accueillir une conférence internationale sur la diplomatie féministe. Quels en seront les enjeux majeurs et les résultats attendus ? Comment maintenir une mobilisation internationale forte alors que certains États, historiquement engagés pour les droits des femmes, semblent aujourd’hui se désengager sous l’effet conjugué de changements d’orientation politique et de coupes budgétaires affectant le financement de l’égalité femmes-hommes dans le monde ?

 

Delphine O : La France accueillera effectivement la quatrième édition de la Conférence des politiques extérieures féministes, après l’Allemagne (2022), les Pays-Bas (2023) et le Mexique (2024). Ces conférences constituent des moments essentiels de mobilisation autour des droits des femmes, et rassemblent bien plus largement que la quinzaine de pays ayant officiellement adopté une diplomatie féministe. La conférence de la Haye avait ainsi accueilli plus de 700 participant.es, tandis que 40 délégations gouvernementales ont participé à la conférence de Mexico. 

Dans un contexte international de régression des droits des femmes et d’attaques sans précédent contre les textes internationaux qui les protègent, la France souhaite faire de cette 4e Conférence une plateforme de mobilisation et de plaidoyer, afin de renforcer la visibilité des pays et des acteurs qui promeuvent l’égalité de genre et le multilatéralisme. Avec les pays participants, nous porterons une voix forte du « pushback against the pushback », qui enverra un signal clair : les droits des femmes ne sont pas négociables, et nous continuerons collectivement à défendre les droits universels des femmes et des filles. Nous souhaitons aussi envisager la possibilité que les parties prenantes prennent des engagements collectifs lors de cette conférence.

NB : Les opinions exprimées dans cet entretien sont celles de l’interviewée et ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

 

 

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