Publié le 9 mars 2023 dans Sondages , Actualités
À l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, Focus 2030 met en valeur l’action et l’expertise de celles et ceux qui se mobilisent quotidiennement pour l’égalité femmes-hommes dans le monde. Découvrez notre dossier spécial. Découvrez également le communiqué de presse et les premiers résultats de la nouvelle enquête du Développement Engagement Lab sur l’égalité femmes-hommes en Allemagne, en France, aux États-Unis et au Royaume-Uni. |
Focus 2030 : Jennifer Hudson, vous êtes la directrice du Development Engagement Lab (un projet dont Focus 2030 est partenaire), professeure de Comportement Politique et doyenne de la faculté des sciences sociales et historiques de l’UCL à Londres. Depuis 2015, vous suivez les attitudes et la perception du public sur les questions liées au développement et à la solidarité internationale dans quatre pays (Allemagne, Royaume-Uni, États-Unis et France). Le cas échéant, quels changements dans le soutien du public à l’égalité de genre en tant qu’enjeu mondial avez-vous observés dans vos études comparatives, particulièrement depuis l’émergence du mouvement #MeToo ?
Jennifer Hudson : Notre dernier sondage sur le genre, finalisée en février 2023, est l’une des études les plus approfondies sur les opinions du public à l’égard de l’égalité de genre en France, en Allemagne, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Nous nous sommes lancés dans cette enquête en grande partie parce que nous avions remarqué - avec nos ONG et nos partenaires gouvernementaux dans ces quatre pays - que l’égalité de genre obtient généralement des résultats relativement faibles par rapport à d’autres priorités internationales. C’est le cas depuis que nous avons commencé à suivre l’évolution de la situation en 2019, sans grand changement.
Focus 2030 : Concernant ce sondage, quels sont ses principaux résultats ? Sur la base des données que vous avez recueillies, quels sont les meilleurs moteurs pour que les individus soutiennent l’égalité entre les femmes et les hommes dans le monde ? Existe-t-il des groupes spécifiques d’individus qui sont plus favorables ou plus réticents à l’égalité entre les femmes et les hommes et aux actions de leur gouvernement à cet égard ?
Jennifer Hudson : Les résultats varient d’un pays à l’autre, mais il y a un consensus notable sur certaines thématiques. Par exemple, nous avons constaté que les personnes en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis sont tous d’avis que les progrès en matière d’égalité de genre ont été plus lents dans les pays en développement que dans leur propre pays. Les raisons pour lesquelles les hommes et les femmes sont traités différemment sont également similaires dans tous les pays étudiés : Les quatre pays estiment que « la résistance des hommes au changement » et « le rôle de la culture et de l’histoire » sont les principaux facteurs responsables dans leur propre pays, tandis que la différence de traitement entre les genres dans les pays en développement est due à la « religion » et au « rôle de la culture et de l’histoire ». Nous avons également été assez surpris de constater la popularité et le degré d’accord, d’un pays à l’autre, des déclarations qui sous-tendent la lutte contre l’inégalité entre les hommes et les femmes. La déclaration la plus populaire est « s’attaquer à l’inégalité femmes-hommes est la chose à faire sur le plan moral », les quatre pays ayant exprimé un accord majoritaire à ce sujet. Non loin derrière, « mettre fin à la discrimination à l’encontre des femmes et des filles est nécessaire pour mettre fin à la pauvreté dans le monde » a également recueilli un soutien majoritaire.
L’avortement est toutefois un domaine dans lequel nous avons constaté des divergences d’opinion. Il convient de préciser que tous les pays sont favorables à la protection du droit à l’avortement, tant dans leur propre pays que dans les pays en développement, mais les États-Unis y sont nettement moins favorables que les autres pays, avec un taux de 58 %. La France est le pays le plus favorable, avec 80 % d’avis que la protection des droits à l’avortement à l’étranger est « importante » ou « très importante », contre 70 % en Allemagne et 78 % en Grande-Bretagne.
Nous n’avons pas effectué d’analyse des moteurs dans ces enquêtes, mais nous avons trouvé deux résultats intéressants concernant la manière dont les gens soutiennent l’égalité entre les femmes et les hommes : nous avons constaté que l’inclusion des termes « féministe » ou « intégrant la dimension de genre » dans le nom d’une politique tend à diminuer le soutien dans tous les pays, à l’exception de la France, bien que le soutien à la politique dans tous les pays reste majoritaire.
Nous avons également constaté que le fait d’indiquer qu’un autre pays accorde une priorité élevée aux dépenses en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes tend à renforcer le soutien à l’augmentation des dépenses en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes dans le propre pays des personnes interrogées - un constat important pour les décideur·se·s politiques et les militant·e·s.
En termes de groupes, les femmes soutiennent davantage les efforts visant à réduire les inégalités entre les genres, de même que les jeunes (âgés de 18 à 24 ans), tandis que le soutien diminue chez les personnes âgées de plus de 65 ans. Les partisans d’Emmanuel Macron sont également plus favorables. À notre grande surprise, en France, les personnes les plus diplômées (Master, Grandes écoles, Doctorat) sont parmi les moins favorables. Toujours en France, les personnes qui gagnent entre 50 000 et 59 000 euros par an sont plus susceptibles de voter pour un candidat qui soutient la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes.
Focus 2030 : Avez-vous remarqué des particularités dans la façon dont le public français se distingue des autres pays étudiés ? Comment la politique étrangère féministe est-elle reçue et comprise par le public ?
Jennifer Hudson : Les résultats montrent que la France est une exception à bien des égards. Lorsque nous examinons en particulier la perception qu’a le public de l’ampleur des problèmes auxquels sont confrontées les femmes, comme le fossé mondial en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, le public français le perçoit comme un problème beaucoup plus important que les autres pays. Ils sont également moins optimistes quant à la réduction de cet écart : seuls 14 % d’entre eux se disent optimistes quant à sa réduction, alors que l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis affichent des taux d’optimisme de l’ordre de 20 %.
Les Français·es interrogé·e·s sont également moins nombreux à penser que les femmes et les hommes sont devenus plus égaux au cours des dix dernières années. Il s’agit là d’une différence remarquable : seuls 44 % des Français ont constaté des progrès au cours de la dernière décennie, contre 70 % en Allemagne, 58 % et 57 % en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Tout cela nous indique que les Français·es observent clairement une situation plus difficile à la fois chez eux et à l’étranger par rapport à d’autres pays.
Toutefois, les Français·es sont davantage convaincus que lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes est moralement juste, puisque 75 % d’entre eux estiment que la réduction des inégalités entre les hommes et les femmes est « la chose moralement juste à faire », par rapport aux autres pays, dont le pourcentage varie entre 54 % aux États-Unis et 65 % en Grande-Bretagne, soit dix points de pourcentage de moins que la France. Cela explique pourquoi les Français·es n’hésitent pas à adopter des politiques qui mentionnent explicitement le féminisme ou la lutte contre l’inégalité entre les genres, alors que les autres pays sont moins enclins à soutenir des politiques présentées de cette manière.
Le message de la France est un appel fort et clair au changement du statu quo pour les femmes et les jeunes filles, à la fois dans leur pays et à l’étranger.
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NB : Les opinions exprimées dans cet entretien sont celles de l’interviewée et ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.