Focus 2030
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3 questions à Najat Vallaud-Belkacem, Directrice exécutive de ONE sur l’égalité femmes-hommes dans le monde en amont du Forum Génération Égalité

Publié le 4 mars 2021 dans Actualités

À la veille du Forum Génération Égalité, Focus 2030 et Women Deliver ont mené un sondage inédit interrogeant 17 160 adultes représentatifs de la population de 17 pays pour saisir leurs opinions et expériences des inégalités de genre : « Les aspirations citoyennes en faveur de l’égalité femmes-hommes : une volonté de changement ». Cette étude a été conçue de manière à fournir à tous les acteurs - gouvernementaux, parlementaires, associatifs et médiatiques - un éclairage inédit sur les attitudes et les perceptions du public, afin d’identifier des actions prioritaires susceptibles d’inspirer des engagements ambitieux en faveur de l’égalité entre les sexes à l’occasion du Forum.





Entretien avec Najat Vallaud-Belkacem, Directrice exécutive de ONE

Focus 2030 : ONE participe à la mobilisation de la société civile en vue du Forum Génération Égalité qui se tiendra au Mexique puis en France cette année. Pouvez-vous détailler ce que ONE attend de ce Forum et les actions que vous envisagez de mener dans ce cadre à l’échelle internationale ?

Najat Vallaud-Belkacem : Le Forum Génération Egalité est une initiative politique très bienvenue, qui génère déjà des attentes profondes et légitimes auprès de la société civile féministe. Ce Forum intervient aussi durant une année cruciale pour la cause de l’éducation dans le monde. Même avant la pandémie de COVID-19, nous vivions une crise silencieuse : une crise mondiale de l’éducation. Dans les pays les plus pauvres, 90% des enfants âgés de dix ans ne savent ni lire ni comprendre une phrase simple à l’écrit. Le taux d’alphabétisation n’est que l’une des facettes des difficultés d’apprentissage, qui se heurtent à un double obstacle : l’accès mais aussi la qualité de l’éducation. Autant de freins aggravés par la pandémie de COVID-19 : au plus fort de la crise, 90% des élèves inscrits, soit 1,6 milliard d’enfants dans le monde, ont été contraints d’arrêter d’aller en classe. Or c’est une des leçons retenues de l’épidémie d’Ebola : dans les pays en développement, les filles ont davantage subi le décrochage scolaire. Au Sierra Leone par exemple, dans les zones les plus touchées, les filles ont payé le plus lourd tribut : 16 % des filles étaient alors moins susceptibles de retourner à l’école après leur réouverture, et dans certaines communautés, les grossesses chez les adolescentes ont augmenté de 65 %. Suite au COVID-19, on craint déjà que les filles soient moins susceptibles de reprendre le chemin de l’école après la pandémie. Le Forum Génération Egalité doit être l’occasion pour les pays de s’engager en vue d’un avenir où les femmes et les filles pourront avoir accès à une éducation de qualité. Il n’existe pas de coalition d’action dédiée à l’éducation au sein de la gouvernance du Forum, mais nous veillerons à ce que ce sujet soit bien intégré de manière transversale à tous les plans d’action.

Une autre question transversale de ce Forum, qui ne rentre pas dans une case thématique, c’est le besoin urgent de redevabilité politique. Trop souvent, les sommets internationaux réunissent une poignée d’initié·e·s dont le travail ne sera pas connu et approprié du grand public, et sans savoir par la suite dans quelle mesure les engagements pris auront pu être mis en œuvre concrètement. Le féminisme s’impose certes de plus en plus dans le discours public, mais nous avons trop souvent l’impression que les changements concrets sont à la traîne. Selon le Forum économique mondial, au rythme actuel où nous allons, il faudra plus de 99 ans pour atteindre l’égalité femmes-hommes dans le monde. D’autant plus que le combat pour l’égalité fait l’objet de fortes résistances face auxquelles il faut rester vigilantes, comme on peut le voir en Europe récemment face aux menaces de reculs du droit à l’avortement. Pour contrer ces tendances, il faut que le Forum s’impose comme un contre-discours de la société civile et des Etats, un « pushback against the pushback », qui s’assure que les promesses qui seront faites soient bien tenues. C’est pourquoi le Forum a besoin d’un mécanisme de redevabilité indépendant, qui fasse le suivi des engagements pris sur l’égalité femmes-hommes. Pour garantir que les engagements pris ne tombent pas dans l’oubli sitôt passé 2021, ce format innovant pourrait ainsi rendre compte des progrès accomplis et des manques à combler pour tous les pays participants au Forum.

Chez ONE, nous allons mobiliser notre plaidoyer, nos prises de parole dans les médias et notre pouvoir de mobilisation citoyenne pour s’assurer que le Forum ne perde pas de vue ces sujets, et pour que l’égalité femmes-hommes soit hissée à l’agenda politique français. Nous avons récemment accueilli notre nouvelle promotion de bénévoles, les jeunes Ambassadeurs et Ambassadrices de ONE, des jeunes de toute la France surmotivés pour donner tort aux prévisions du Forum économique mondial, et voir advenir l’égalité de notre vivant.



Focus 2030 : Notre sondage, mené auprès des citoyen·ne·s de 17 pays, sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans le monde révèle que « La majorité (60%) des personnes interrogées considère que parvenir à l’égalité des sexes est essentiel pour mettre fin à la pauvreté dans tous les pays ». Pouvez-vous nous en dire plus sur le lien entre l’égalité des sexes et l’extrême pauvreté, et quelles seraient les mesures prioritaires à mettre en œuvre selon vous ? En quoi le Forum Génération Égalité peut-il contribuer à des avancées en la matière ?

Najat Vallaud-Belkacem : Ce sondage met en lumière que les citoyens et citoyennes sont conscients des interdépendances qui existent entre la pauvreté et les inégalités femmes-hommes. Et ils ont raison : les liens entre les deux phénomènes sont très largement documentés. Par les inégalités d’accès à l’éducation, à l’autonomie économique, à la propriété foncière, à des services sociaux adaptés, les femmes et les filles subissent souvent de manière accrue les conséquences de la pauvreté. Mais à l’inverse, mettre en œuvre des politiques publiques qui priorisent l’égalité a aussi un pouvoir potentiellement transformatif sur la pauvreté. D’après la Banque africaine de développement, les femmes réinvestissent jusqu’à 90% de leurs revenus dans l’éducation, la santé et l’alimentation de leurs familles et communautés, pour seulement 40% des hommes.

La question de l’éducation est centrale pour l’égalité femmes-hommes. C’est par ce biais que les femmes et les filles auront des outils pour s’assurer de leur autonomie, notamment économique. L’éducation est par exemple essentielle pour prévenir les grossesses adolescentes. Les grossesses précoces et non désirées ont des effets très néfastes sur la vie des adolescentes à la fois en termes de santé, de situation économique et sociale et de résultats scolaires. Elles risquent l’expulsion de l’école et de la maison, mais aussi d’être exposées à la stigmatisation par la famille, la vulnérabilité à la violence, une plus grande pauvreté, la mortalité maternelle et des complications de santé. En effet, les complications liées à la grossesse et à l’accouchement sont la deuxième cause de décès chez les 15-19 ans, avec environ 70 000 adolescentes touchées chaque année. Pour y remédier, le Forum doit porter de manière forte le sujet de l’éducation, et s’assurer que des engagements, à la fois politiques et financiers, soient pris dans toutes les coalitions d’action.

En France, le Parlement est en train de voter une loi sur le développement international, qui inscrit les grandes priorités de l’aide publique au développement française sur les prochaines années. De concert avec d’autres ONG et des parlementaires, nous avons déjà obtenu une hausse sans précédent de notre ambition en termes d’aide « genrée » : 75% de l’aide française devra contribuer à l’égalité femmes-hommes sur le terrain, et 20% en fera son objectif principal. Le Forum peut aussi être l’opportunité d’aborder la question de l’aide au développement féministe, et de faire remonter les bonnes pratiques et des indicateurs d’impact à la fois de la part des pays du Nord et du Sud qui y seront présents.



Focus 2030 : Notre sondage révèle également que « 27 % des personnes interrogées anticipent une augmentation des inégalités entre les hommes et les femmes du fait de la crise sanitaire. » Ce constat est davantage partagé par les répondant·e·s des pays à revenus intermédiaires. ONE s’est récemment intéressé aux conséquences de la pandémie de Covid-19 sur les femmes, à quel point cette crise pourrait-elle menacer les progrès en matière d’égalité femmes-hommes et plus spécifiquement dans les pays pauvres, et quelles seraient les mesures prioritaires à mettre en œuvre pour y remédier ?

Najat Vallaud-Belkacem : C’est un constat qui saute aux yeux : bien que les hommes soient plus touchés par la mortalité du virus, les conséquences se répercutent de manière aigue sur les femmes, que j’aborde notamment dans mon livre « La société des vulnérables : leçons féministes d’une crise ». En témoignent par exemple la surreprésentation des femmes dans les métiers essentiels du « care », ou encore l’explosion des violences domestiques en temps de confinement. Ces inégalités sont aussi observées dans les pays pauvres, de pair avec le risque de décrochages scolaires, des perturbations de services de santé sexuelle et reproductive, dont les accouchements assurés dans de bonnes conditions, des contraceptions et des soins de santé pré- et post-nataux. Surreprésentées dans les emplois informels et peu rémunérés, les femmes peuvent aussi voir leurs moyens de subsistance menacés. Equal Measures 2030, en partenariat avec ONE, estime dans son dernier rapport qu’environ 2,1 milliards de femmes et de filles vivent dans des pays qui n’atteindront aucune des cibles de l’Objectif de développement durable n°5 sur l’égalité femmes-hommes.

Le Forum doit être une réponse à la situation de ces femmes et de ces filles, et constituer un jalon pour remettre ces pays sur la voie de l’atteinte des ODD. Face à la pandémie, il est essentiel que les pays prennent en compte les obstacles spécifiques des femmes et des filles dans leur gestion de la crise sociale et économique, notamment dans les pays pauvres en renforçant l’accès aux services sociaux de base. Les plans d’action prévus par le Forum jusqu’en 2025 doivent intégrer la dimension de la pandémie, ses effets à court et à long terme sur les femmes. Les politiques de gestion de crise ne doivent pas seulement être prévues pour les femmes, elles doivent aussi être pensées par des femmes. Quelque soit le pays, la crise sanitaire a mis en avant l’invisibilisation des femmes dans les processus de décisions, dans le champ médiatique et dans l’appel aux experts, alors que leurs voix sont tout autant essentielles pour penser le monde d’après.



Extraits du rapport :

« La corrélation entre l’égalité entre les femmes et les hommes d’un côté et l’éradication de la pauvreté de l’autre, est présente dans l’esprit de la majorité des personnes interrogées dans les 17 pays (60 % en moyenne sur les 17 pays). Quelques 22 % des répondants ne sont « ni en accord, ni en désaccord » avec cette idée, tandis que seulement 13 % des personnes interrogées ne sont « pas d’accord ». (…) La corrélation entre l’égalité des sexes et la lutte contre la pauvreté est davantage identifiée par les femmes que par les hommes, en particulier en Australie (une différence de 16 points de pourcentage), au Canada (15 points de pourcentage), en Grande-Bretagne, en Tunisie (14 points de pourcentage) et en Colombie (13 points de pourcentage). Ces données suggèrent que le grand public soutiendrait l’Objectif de développement (ODD) 1 (éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde) et l’ODD 5 (parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les filles et les femmes) tout autant qu’il comprendrait l’interdépendance entre les ODD, sans même en connaître ni le principe ni l’agenda politique. »

Retrouver plus de détails page 98 du rapport


« En moyenne, 27 % des personnes interrogées dans les 17 pays sondés anticipent une augmentation des inégalités entre les hommes et les femmes du fait de la crise sanitaire. En regardant de plus près, il s’avère que les personnes interrogées issus de pays à revenu intermédiaire (Colombie, Inde, Kenya, Mexique et Afrique du Sud) craignent davantage une augmentation des inégalités de genre liée à la pandémie de Covid-19 que les répondants issus des pays à revenu élevé. »

Retrouver plus de détails page 82 et 83 du rapport


Documents à télécharger

Sondage international - Les aspirations citoyennes en faveur de l’égalité femmes-hommes