Publié le 1er mars 2024 dans Faits et chiffres , Décryptages
Dossier spécial sur l’état des inégalités femmes hommes-dans le monde en 2024 : Cet état des lieux des DSSR est l’une des composantes d’un dossier spécial consacré aux inégalités de genre dans le monde en 2024. |
Les droits et la santé sexuels et reproductifs (DSSR) sont considérés comme des piliers de l’émancipation féminine et du développement durable par de nombreuses organisations féministes et acteur·ice·s de la société civile. L’amélioration de l’accès aux DSSR pour les femmes et les filles revêt une importance centrale dans la réalisation de la couverture sanitaire universelle et constitue un enjeu essentiel pour atteindre les Objectifs de développement durable.
Les DSSR renvoient à un triple enjeu : de droits humains et de libertés individuelles, d’égalité de genre et de développement durable des sociétés, et enfin de santé publique. La dernière étape dans la définition des DSSR a été l’ouverture de ces droits aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres + (LGBT+) dans les années 1990.
Malgré des avancées au cours des deux dernières décennies, d’importants défis persistent et une mobilisation financière accrue ainsi qu’une prise de conscience de la communauté internationale sont nécessaires pour répondre aux besoins actuels. Pour répondre à ces enjeux, la France a lancé en 2023 une nouvelle stratégie internationale pour les DSSR pour la période 2023-2027.
Les droits et la santé sexuels et reproductifs (DSSR) désignent l’ensemble des droits garantissant aux individus de disposer de leur corps et de prendre librement toute décision qui relève de la sexualité et de la procréation. Ils ne se limitent donc pas au seul champ de la santé maternelle et recouvrent d’autres aspects fondamentaux comme l’information et l’éducation à la sexualité, l’accès à la contraception, la prévention et le dépistage des maladies sexuellement transmissibles, etc.
Selon le document du Fonds des Nations unies pour la population publié à l’occasion du Sommet de Nairobi célébrant le 25e anniversaire de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD25), « une bonne santé sexuelle et reproductive est un état de complet bien-être physique, mental et social dans tous les domaines liés à la sexualité et au système reproductif. Tous les individus ont le droit de prendre des décisions concernant leur corps et d’accéder à des services qui soutiennent ce droit. Chaque individu a le droit de faire ses propres choix concernant sa santé sexuelle et reproductive, ce qui implique que chaque personne devrait pouvoir avoir une vie sexuelle plaisante et sans danger, la capacité de se reproduire et la liberté de décider si, quand et à quelle fréquence elle le fera ».
Au cours des trois dernières décennies, des évolutions significatives ont marqué le paysage des DSSR.
Le « programme du Caire » adopté en 1994 lors de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD), de même que la Conférence de Beijing sur les femmes en 1995 ont marqué un tournant décisif dans la reconnaissance des DSSR. Une nouvelle approche fondée sur les droits humains a permis d’enregistrer dans les décennies suivantes d’importants progrès dans le domaine de la santé des femmes. Par exemple, entre 2000 et 2020, le taux de mortalité maternelle a chuté d’environ 34 % dans le monde.
Les DSSR sont également largement pris en compte dans l’« Agenda 2030 » et ses 17 Objectifs de développement durable (ODD), adoptés en septembre 2015 par les 193 États membres de l’Organisation des Nations unies. En effet la question spécifique des DSSR apparaît à la fois dans le cadre de l’ODD 5 qui vise à « Réaliser l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles » (cible 5.6) et l’ODD 3 - « Donner aux individus les moyens de vivre une vie saine et promouvoir le bien-être à tous les âges » (cible 3.7).
En 2021, les DSSR ont bénéficié par ailleurs d’une attention accrue à l’occasion du Forum Génération Égalité, organisé par ONU Femmes et les gouvernements de la France et du Mexique. Des gouvernements, ONG et organisations internationales ont élaboré à cette occasion un Plan d’accélération mondial pour l’égalité des sexes, incluant une série d’actions et d’engagements notamment en faveur de la liberté à disposer de son corps et des DSSR.
Malgré ces avancées, d’importants défis persistent. La montée des conservatismes et des mouvements anti-choix met en péril les acquis obtenus, tandis que les crises humanitaires, climatiques et sanitaires les relèguent souvent au second plan. La pandémie de Covid-19 a notamment eu des conséquences dévastatrices sur les progrès réalisés, en perturbant les services de santé essentiels à l’échelle mondiale et en affectant particulièrement les femmes
Un défi majeur réside dans le déficit de financements dédiés aux DSSR, qui entrave la mise en œuvre de programmes efficaces et compromet la réalisation des objectifs ambitieux fixés.
Les volumes d’aide intégrant la problématique de l’égalité entre les femmes et les hommes ont été multipliés par 7 depuis 2000, atteignant 59 milliards de dollars en 2020. Pourtant, parmi les 5,7 milliards de dollars alloués annuellement à la promotion de l’égalité en tant qu’objectif principal en moyenne en 2020 et 2021, seul un milliard a été dirigé vers des programmes de santé reproductive (19 %)
En outre, selon le rapport Donors Delivering for SRHR 2024 de la Deutsche Stiftung Weltbevölkerung (DSW), seulement 6 % de l’APD bilatérale des pays du comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE étaient consacrés aux DSSR en 2021, soit 14,18 milliards de dollars. Cette même année, la France alloue 2,75 % de son APD aux DSSR, contre 16,5 % pour les États-Unis, 5,38 % pour les Pays-Bas et 4,6 % pour le Canada.
Le Forum Génération Égalité, accueilli par la France à Paris en 2021, en co-présidence avec le Mexique et sous l’égide d’ONU Femmes, a lancé six Coalitions d’Action, dont la Coalition d’Action sur les Droits et Santé Sexuels et Reproductifs. À cette occasion, la France s’est engagée à hauteur de 400 millions d’euros en faveur de l’égalité femmes-hommes entre 2021 et 2025, et en particulier pour les DSSR via le programme Supplies du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) et le soutien au centre de l’Organisation pour le Dialogue pour l’Avortement Sécurisé (ODAS) en Afrique de l’Ouest.
En 2016, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères avait dévoilé la première Stratégie sur l’action extérieure de la France concernant les enjeux de population, de droits, et de santé sexuels et reproductifs 2016-2020, en soutien à la mise en œuvre du Programme d’action du Caire (1994). En 2023, la France annonce le lancement de sa nouvelle Stratégie internationale en matière de droits et santé sexuels et reproductifs 2023-2027.
Trois changements clés distinguent la Stratégie internationale française en matière de DSSR de la précédente : une approche centrée sur les droits, mettant les individus au cœur de la stratégie ; six priorités thématiques guidant l’action de la France ; et une reconnaissance des DSSR comme pierre angulaire de la diplomatie féministe française.
Les six priorités thématiques de la stratégie :
À travers cette stratégie, la France prend l’engagement de respecter les obligations financières convenues lors du Forum Génération Égalité. Elle vise également à accroître ses efforts de plaidoyer en faveur des DSSR à l’échelle internationale, même dans des contextes de crise et de conflit. De plus, elle prévoit de renforcer ses partenariats impliquant plusieurs acteurs et de communiquer ces ambitions à tous les intervenants de sa politique étrangère.
Malgré ces progrès en matière de promotion des DSSR dans le monde, les financements alloués à cet enjeu et l’engagement politique de la France en leur faveur demeurent limités. Par exemple, en suspendant son aide financière à l’agence de l’ONU pour les réfugié·es palestinien·nes (UNRWA), la France se désengage des initiatives pour combattre les violences sexistes et sexuelles et l’absence d’accès aux DSSR des femmes à Gaza. Selon les dernières données disponibles, la France se situe au 16ème rang des 30 pays du Comité d’aide au développement de l’OCDE qui financent les DSSR à l’échelle du monde.
De plus, le plan d’austérité adopté par la France en février 2024, annonçant une réduction de 742 millions d’euros alloués à l’aide publique au développement, affaiblit grandement cette ambition féministe et la promotion des DSSR, de quoi s’interroger sur un potentiel écart entre le discours de la France pour promouvoir l’égalité des genres et les DSSR et les efforts financiers effectivement décaissés dans le cadre de son aide au développement.
Découvrez la stratégie internationale de la France en matière de droits et santé sexuels et reproductifs (2023-2027) dans son intégralité.