Focus 2030
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Edito

Le rétablissement du « Global Gag rule » par la nouvelle administration états-unienne, interdisant tout financement public aux ONG internationales mobilisées pour l’accès à l’avortement, rappelle avec force que l’égalité de genre demeure un combat mondial, fragile et constamment remis en question.

Alors que la communauté internationale s’était engagée à atteindre l’égalité femmes-hommes d’ici 2030, les crises successives - conflits armés, reculs démocratiques, changements climatiques, et désormais coupes drastiques dans l’aide publique au développement - menacent les quelques avancées et exacerbent les inégalités. 

Entre 2019 et 2022, près de 40 % des pays de la planète, représentant une population de plus d’un milliard de femmes et de filles, ont connu une stagnation ou un recul en matière d’égalité de genre.

Ainsi, au rythme des progrès actuels, il faudra encore patienter 300 ans pour atteindre l’égalité femmes-hommes à l’échelle du monde constate, amère, l’ONU.

Le recul des droits des femmes dans de nombreux pays résulte d’un véritable retournement de l’Histoire, que certains qualifient de « backlash global », orchestré et financé par des gouvernements conservateurs et des mouvements anti-droits de plus en plus influents.

À peine entamée, l’année 2025 a ainsi vu se manifester une série de reculs inédits affectant tout particulièrement les droits sexuels et reproductifs, et par conséquent l’autonomie des femmes et des filles à prendre leur vie en main. Cette marche arrière toute constitue une attaque en règle des Objectifs de développement durable (ODD), plus que jamais en péril, alors que la date butoir approche à grands pas.

« Stop talking, start funding ! », scandaient déjà en 2021 les mouvements féministes mobilisés lors du Forum Génération Égalité organisé en France et au Mexique. Quatre ans plus tard, l’heure des comptes a sonné et force est de constater que le financement en faveur de l’égalité de genre n’a pas suivi.

Alors que nous célébrons cette année les 30 ans de la Déclaration et du Programme d’action de Pékin, ce plan d’action ambitieux est plus que jamais en danger.

Face à ces défis, ce dossier spécial de Focus 2030 dresse un état des lieux des droits des femmes à travers le monde, tout en mettant en lumière les résistances et les initiatives de celles et ceux qui luttent pour faire de l’égalité une réalité.

Décryptage.

 

 


Sommaire

- Inégalités femmes-hommes : l’ampleur des défis en faits et chiffres

- Perspectives sur la CSW69 et évaluation des progrès des 30 dernières années

- L’argent ou le nerf de la guerre : des financements toujours insuffisants pour promouvoir l’égalité de genre dans le monde

- État mondial des droits et de la santé sexuels et reproductifs à l’heure du backlash

- Un monde polarisé : internationale réactionnaire vs Diplomatie féministe ?

- Interviews exclusives de personnalités mobilisées sur les inégalités de genre

- Campagnes, mobilisations des organisations de la société civile et publications

 


Inégalités femmes-hommes : l’ampleur des défis en faits et chiffres

 

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Perspectives sur la CSW69 et évaluation des progrès des 30 dernières années

La 69ᵉ session de la Commission de la condition de la femme (CSW69) des Nations unies se tiendra du 10 au 21 mars 2025 à New York. Cette session marquera le 30ᵉ anniversaire de la 4ᵉ Conférence mondiale sur les femmes de 1995 (Beijing+30). À cette occasion, la communauté internationale procédera à une évaluation de la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, tout en identifiant les raisons entravant actuellement la pleine réalisation de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. 

La France enverra une délégation de 22 député·es et sénateur·rices à New York dans le cadre de la CSW69, dans un contexte marqué par l’inscription dans la Constitution française, il y a un an, du droit à l’avortement, mais aussi par la réactivation du Global Gag rule suspendant les financements américains en matière de droits et santé sexuels et reproductifs (DSSR). 

 

🔗 En savoir plus sur la 69e CSW et Beijing+30

🔗 Lire l’analyse de la 69e CSW de GénérationCinq

 

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L’argent ou le nerf de la guerre : des financements toujours insuffisants pour promouvoir l’égalité de genre dans le monde

Quels pays donateurs soutiennent l’égalité femmes-hommes dans leur aide publique au développement ?

En 2015, tous les pays se sont engagés à atteindre 17 Objectifs de développement durable (ODD) d’ici à 2030, dont l’ODD 5 visant l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et des filles du monde entier. Maintenir des financements suffisants, notamment dans les pays les plus pauvres, est indispensable pour y parvenir.

L’aide publique au développement (APD) du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE constitue à cet égard une source de financement essentielle. Entre 2022 et 2023, les 31 pays donateurs du CAD et l’UE se sont engagés à consacrer en moyenne 68 milliards de dollars par an à cet objectif, soit 45,7 % de leur APD bilatérale. Sur cette somme, 5,7 milliards étaient dédiés à des projets plaçant l’égalité femmes-hommes comme objectif principal, et 62,9 milliards à des projets y contribuant de manière significative.

 

En volume, les premiers donateurs d’APD en faveur de l’égalité femmes-hommes sont également les plus importants donateurs d’APD totale (Allemagne, Japon, États-Unis, France, Canada).

Pour autant, aucun pays n’a atteint l’objectif international d’orienter au moins 85 % de son APD en faveur de l’égalité femmes-hommes, bien que les Pays-Bas s’en approchent, à 84,7 %. Seuls les Pays-Bas et l’Espagne consacrent au moins 20 % de leur APD à la promotion directe de l’égalité.

 

 

🔗 En savoir plus sur les pays donateurs qui soutiennent l’égalité femmes-hommes via leur aide publique au développement

 

L’égalité de genre, victime des coupes dans l’APD

En France, la loi de finances 2025 adoptée par le Parlement a entériné une coupe historique de 2,1 milliards d’euros de l’aide publique au développement (APD), soit une baisse de 37 % de la mission budgétaire dédiée, contre 10 % en moyenne pour les autres missions budgétaires. Cela pourrait représenter jusqu’à 936 millions d’euros en moins pour l’égalité de genre en 2025, selon les projections de Focus 2030. Cette réduction de l’aide internationale de la France s’inscrit dans un contexte d’attaque en règle de l’APD, avec des coupes effectives ou envisagées de la part de l’Union européenne, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Belgique, du Royaume-Uni et de la Suède, bien que dans des proportions et des volumes plus modestes.

 

🔗 En savoir plus sur l’aide publique au développement de la France en matière d’égalité femmes-hommes

Les organisations féministes, premières mobilisées mais dernières financées

Malgré leur rôle crucial, les organisations féministes reçoivent un soutien d’à peine 0,6 milliard de dollar par an, soit moins de 1 % de l’APD dédiée à l’égalité de genre. En 2023, le montant total alloué par les membres du CAD de l’OCDE aux organisations et mouvements féministes s’élevait à 645 millions de dollars.

 

La France a rejoint le groupe des bailleurs principaux pour les organisations féministes en 2019, année de lancement de son fonds de soutien aux organisations féministes, doté de 134 millions d’euros en 2021-2022, renouvelé pour les cinq années suivantes à hauteur de 250 millions d’euros. Entre 2022 et 2023, la France a alloué en moyenne 97 millions de dollars par an aux organisations et mouvements féministes dans le monde.

 

 

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État mondial des droits et de la santé sexuels et reproductifs à l’heure du backlash

Un état des lieux inquiétant

Les droits et la santé sexuels et reproductifs (DSSR) sont essentiels à l’émancipation des femmes et à l’atteinte des Objectifs de développement durable. Les DSSR désignent l’ensemble des droits garantissant aux individus le fait de disposer de leur corps et de prendre librement toute décision concernant la sexualité et la procréation. Ils ne se limitent donc pas au seul champ de la santé maternelle, mais recouvrent d’autres aspects fondamentaux comme l’information et l’éducation à la sexualité, l’accès à la contraception, la prévention et le dépistage des maladies sexuellement transmissibles, etc.

Malgré des avancées notables, comme la reconnaissance des DSSR lors des conférences du Caire (1994) et de Beijing (1995), ainsi que leur intégration dans l’Agenda 2030 des Nations unies, des défis persistent. La mortalité maternelle a diminué de 34 % entre 2000 et 2020, mais les restrictions sur l’avortement, les crises sanitaires et la montée des mouvements anti-droits menacent ces progrès.

Aujourd’hui, 40 % des femmes en âge de procréer vivent sous le joug de lois restrictives en matière d’avortement, entraînant chaque année des milliers de décès liés aux avortements non sécurisés. De plus, 270 millions de femmes n’ont pas accès à une méthode moderne de contraception, et près de 4,4 millions de filles, soit 12 000 filles par jour, sont exposées à des mutilations génitales féminines.

 

 

Des financements insuffisants

Les volumes d’aide intégrant la problématique de l’égalité entre les femmes et les hommes ont été multipliés par 7 depuis 2000, atteignant 53 milliards de dollars en 2023. Pourtant, parmi les 5,8 milliards de dollars annuels déboursés en moyenne, en 2022 et 2023, en faveur de la promotion de l’égalité en tant qu’objectif principal, seul un milliard a été dirigé vers des programmes de santé reproductive

 

Le rapport Tracking What Counts 2023/2024 de Countdown 2030 Europe souligne une augmentation des financements européens pour les droits et santé sexuels et reproductifs (DSSR). En 2023, les donateurs européens ont maintenu leurs financements en santé sexuelle et reproductive et planification familiale (SSR/PF) à 1,7 milliard d’euros, tandis que le financement global des DSSR a progressé de 10 %, atteignant 3,2 milliards d’euros. 

À noter : la France a augmenté son APD dédiée aux DSSR de 31 % en 2023 par rapport à 2022, pour atteindre 471 millions d’euros. En revanche, les donateurs européens ont, pour la première fois depuis 2019, réduit leur financement à l’UNFPA (Fonds des Nations unies pour la population), dont les fonds destinés au partenariat UNFPA Supplies, un programme dédié à l’élargissement de l’accès aux produits de planification familiale, qui ont connu une forte réduction de 31 %.

 

 

 

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Un monde polarisé : internationale réactionnaire vs Diplomatie féministe ?

Focus États-Unis : autrefois premier contributeur aux DSSR dans le monde, aujourd’hui première menace

Dès son retour à la Maison Blanche, le Président Donald Trump à réinstauré le Global Gag Rule  (ou Politique de Mexico) et acté une pause de 90 jours de l’aide au développement américaine, privant des millions de femmes d’accès aux services de planification familiale et aux soins de santé reproductifs. Ces décisions, lourdes de conséquences, risquent d’entraîner dans certains pays une hausse des grossesses non désirées et des avortements à risque (et par conséquent une hausse de la mortalité maternelle), ou encore la résurgence de maladies, compromettant des décennies de progrès.

Avec plus de 9 milliards de dollars de financements en 2022, soit 66 % du total, les États-Unis représentent les principaux donateurs en matière de DSSR. L’USAID, l’agence de développement bilatérale américaine, est le deuxième fournisseur de contraceptifs dans les pays en développement, et joue un rôle clé auprès de nombreuses organisations de planification familiale.

Le pays est également le premier donateur de l’UNFPA, soutenu à hauteur de 160 millions de dollars en 2023, et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), vis-à-vis de laquelle une procédure de retrait a été initiée dès l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier 2025.

Des conséquences réelles  : selon l’institut Guttmacher, 130 390 femmes en moyenne bénéficiaient chaque jour de soins contraceptifs financés par les États-Unis. Du fait de la suspension de l’aide américaine, environ 11,7 millions de femmes et de jeunes filles se verront refuser l’accès aux contraceptifs en 2025. En 2025, sur la base des tendances mondiales, cela pourrait entraîner 4,2 millions de grossesses non désirées et causer 8 340 décès liés à des complications durant la grossesse et l’accouchement.

Des mouvements conservateurs de plus en plus financés et organisés

L’activisme anti-égalité de genre, également appelé "anti-droits", en Europe, soutenu par des alliances entre extrémistes religieux et partis politiques d’extrême droite, alimente une offensive continue contre les droits sexuels et reproductifs. Plus de 50 acteurs anti-droits opèrent sur le continent, exploitant des récits anti-égalité pour polariser l’électorat et déstabiliser les démocraties. Un rapport du European Parliamentary Forum for Sexual & Reproductive Rights (EPF) a révélé que 707,2 millions de dollars de financements anti-droits ont été mobilisés entre 2009 et 2018, provenant de 54 organisations, y compris des ONG, des fondations et des partis politiques, principalement basées aux États-Unis, en Russie et en Europe.

Certains États conservateurs se sont rassemblés autour de la Déclaration de consensus de Genève sur la promotion de la santé des femmes et le renforcement de la famille, réitérée récemment par l’administration Trump, qui a contribué à son adoption en 2020. Soutenue par 36 pays, cette déclaration s’oppose à l’avortement et promeut une vision conservatrice de la famille et des droits des minorités sexuelles. 

 
 

Des pays progressistes réunis autour de l’adoption de « politiques étrangères féministes »

Depuis la Suède en 2014, quinze pays ont officiellement adopté une politique étrangère féministe, ou « diplomatie féministe », qui vise à instaurer une nouvelle approche des relations internationales plaçant en leur sein l’égalité de genre et les droits des femmes. Ces initiatives visent à corriger les inégalités systémiques en intégrant une perspective féministe dans la diplomatie, l’aide publique au développement, mais aussi dans les domaines de la paix et de la sécurité.

Au delà des pays ayant adopté formellement une politique étrangère féministe, une vingtaine de pays se mobilisent autour du Groupe des politiques étrangères féministes ("Feminist Foreign Policy Plus" ou FFP+), une coalition de pays et d’organisations qui soutiennent et promeuvent cette approche de la diplomatie à l’échelle internationale. Ce groupe a été créé pour renforcer ces initiatives en partageant les meilleures pratiques, en développant des stratégies communes et en plaidant pour des politiques qui intègrent une approche de genre.

La France a dévoilé sa stratégie pour une diplomatie féministe (2025-2030) le 7 mars 2025, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, visant à promouvoir l’égalité de genre et les droits des femmes dans les relations internationales. Cette stratégie s’articule autour de 5 piliers :

  1. Défendre les droits et libertés
  2. Favoriser la participation et la représentation dans tout les processus de décision
  3. Lutter contre toutes les formes d’inégalités et de violences fondées sur le genre
  4. Assurer l’accès aux ressources et mobiliser des financements
  5. Adopter et promouvoir une méthodologie féministe

La France prendra la co-présidence du Groupe des politiques étrangères féministes (FFP+), et accueillera en octobre 2025 la 4e conférence consacrée aux politiques étrangères féministes. Cet évènement réunira des gouvernements, ONG et experts engagés pour mettre l’égalité de genre au centre de l’action internationale. 

Lire le communiqué de presse de Coordination Sud : "Diplomatie féministe : il est temps de concrétiser les engagements"

 

 

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Interviews exclusives de personnalités mobilisées sur les inégalités de genre

 

Campagnes, mobilisations des organisations de la société civile et publications


 

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