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3 questions à Justin Vaïsse, Fondateur et Directeur général du Forum de Paris sur la Paix

Publié le 9 juin 2023 dans Actualités

Les 22 et 23 juin 2023, un Sommet pour un nouveau pacte financier mondial se tiendra à Paris, organisé par la France. De nombreux dirigeant·e·s d’États, de gouvernements, d’organisations internationales, de la société civile et du secteur privé seront invités à discuter des solutions de financement du développement mondial et de la transition climatique. 

Afin de décrypter les enjeux de ce Sommet, Focus 2030 souhaite recueillir et mettre en avant le point de vue d’organisations expertes dans leurs domaines respectifs et réalise une série d’entretiens avec des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. 

Découvrez le dossier spécial sur le Sommet, ainsi que l’ensemble des autres entretiens avec des expert·e·s, personnalités et acteurs de la solidarité internationale en amont de l’évènement.

 

3 questions à Justin Vaïsse, Fondateur et Directeur général du Forum de Paris sur la Paix

Propos recueillis le 28 mai 2023 par Focus 2030.

Focus 2030 : Le Forum de Paris sur la Paix, plateforme de dialogue et de coopération autour des solutions de gouvernance mondiale, participe à la construction du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui se déroulera à Paris les 22 et 23 juin prochains. Ce Sommet visera avant tout à proposer des solutions financières aux défis climatiques, de la dette et du développement auxquels font face les pays les plus vulnérables. Quelle est la philosophie du Sommet ? Comment faire entendre au mieux les revendications de tous les groupes concernés, au-delà de la seule participation des représentant·e·s étatiques ?

 

Justin Vaïsse : On n’est plus au temps du Congrès de Vienne, et je crois que depuis une trentaine d’années, les décideurs internationaux ont compris qu’il était important d’inclure la voix de la société civile quand se prenaient des décisions collectives touchant l’avenir de l’humanité - pour des raisons de légitimité notamment. C’est bien sûr autour du processus des COP que cette participation multi-acteurs s’est le plus observée, avec la COP21 de 2015 à Paris comme point d’orgue.

Entendons-nous bien : dans ces sommets, la société civile n’est pas à égalité avec les décideurs gouvernementaux, qui décident en dernier recours. Le cœur du réacteur, si l’on peut dire, reste intergouvernemental. Mais la présence et la participation d’une société civile nombreuse sur les lieux de la rencontre change la donne, car elle permet de faire pression sur les négociateurs, de contraindre leurs choix et de pousser à plus d’ambition et de redevabilité. La transparence qu’elle apporte permet aussi de réduire les manœuvres diplomatiques et les hypocrisies (par exemple les doubles discours entre la scène de la négociation et la scène intérieure).

Pour en venir au sommet de juin, le Forum de Paris sur la paix contribue à construire cette plateforme d’engagement de la société civile afin de faire entendre les voix du Sud, afin que la population présente au Palais Brongniart soit plus représentative du monde entier et notamment des groupes les plus affectés par les décisions qui, je l’espère, seront prises.


Focus 2030 : Le Sommet suscite de nombreux espoirs pour trouver des solutions financières aux défis que nous venons d’évoquer. Selon vous, à quoi ressemblerait un succès du Sommet, et sous quelles conditions ?

 

Justin Vaïsse : On voit bien que les institutions de Bretton Woods ne sont plus adaptées au monde dans lequel nous vivons, avec ses catastrophes climatiques plus fréquentes qui bouleversent en un jour les plans de financement et de remboursement de long terme et font reculer les pays touchés de plusieurs années, avec la nécessité de financer l’adaptation climatique pour laquelle le secteur privé a évidemment peu d’appétit, mais aussi avec les transformations de la notion même de développement, très remise en cause ces dernières années. Quand on aide à protéger la forêt amazonienne en développant des alternatives économiques locales, est-ce qu’on lutte contre la pauvreté au Brésil ou est-ce qu’on lutte contre le changement climatique dans notre propre intérêt ? Et puis il y a une urgence, celle de traiter le problème de la dette qui a explosé en raison de la hausse des taux d’intérêt qui menace de nombreux pays à revenu bas ou intermédiaire.

Pour moi, les deux principaux marqueurs de succès du sommet seraient d’une part, un nouveau consensus sur les moyens et outils de financement du développement et du climat, qui soit un consensus Nord-Sud, et d’autre part une série d’avancées plus concrètes, des délivrables à confirmer au cours des réunions internationales suivantes (G20, AGNU, COP28 notamment), qui permettent notamment de faire évoluer les institutions de Bretton Woods et leurs pratiques. La liste est bien connue : clauses suspensives de dette en cas de catastrophe climatique, conversion des DTS en moyens financiers pour les pays du Sud, augmentation des prêts de la Banque mondiale, etc. J’ajouterais enfin l’ouverture d’un chantier sur de nouvelles sources de revenu : ça prendra du temps mais ça me semble indispensable de ne pas s’en tenir aux ressources fiscales traditionnelles. Il me semble évident que les hydrocarbures devraient financer les renouvelables à grande échelle, par exemple – à nous de trouver les mécanismes pour cela. 

Et si l’on prend un pas de recul, je trouverais formidable que la société civile soit entendue et permette de se rapprocher d’une forme de consensus Nord-Sud notamment, car la question de l’allocation des flux financiers vers la pauvreté ou vers le climat est vraiment essentielle - et sur ce point le désaccord sur l’arbitrage n’est pas simplement entre Nord et Sud, mais aussi entre pays du Sud. J’ajouterais un dernier objectif, celui de sensibiliser les populations du Nord à leur responsabilité dans cette affaire. Il ne s’agit pas de battre sa coulpe, mais simplement de reconnaître que l’essentiel du changement climatique est causé par les pays du Nord, que la hausse des taux d’intérêt vient également de chez nous, et que c’est nous qui avons la main sur les principaux leviers d’action. Derrière le consensus Nord-Sud, il y a un gros travail Nord à faire. 


Focus 2030 : Ce Sommet se tient à un moment international particulier, au cours duquel on observe une polarisation importante entre différents États qui se cristallise en particulier autour des mesures internationales de lutte contre les changements climatiques et pour la réduction de la dette. Est-il possible de créer un consensus autour d’une réforme de l’architecture financière internationale dans un tel contexte ?

 

Justin Vaïsse : C’est tout à fait exact : ce sommet intervient dans un contexte de polarisation, notamment entre Chine et États-Unis, pour ne pas parler de la guerre en Ukraine. J’ai été très frappé, lors de mon passage à Washington pendant les réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale, par la prégnance de la rivalité sino-américaine dans ces questions financières, alors que ce n’était pas vraiment le cas auparavant. Le fait est que la Chine détient à présent une part significative de la dette des pays du Sud, donc il est difficile faire de restructuration sans elle, mais elle n’est pas présente au sein du Club de Paris et ne pèse qu’environ 6 % à la Banque mondiale et au FMI au lieu des 16 % ou plus auquel son PIB lui donnerait droit – et là, ce sont les pays occidentaux qui devraient bouger. D’un autre côté, elle se montre elle-même souvent réticente à effacer la dette des pays en difficulté, et ses créances sont parfois opaques. Sans entrer dans le détail de ce débat, il est évident que nous avons besoin de plus de coordination, et l’annonce d’une participation de haut niveau côté chinois au Sommet, sans doute le Premier ministre, est de bonne augure.

 

  • Les opinions exprimées dans cet entretien sont celles de Justin Vaïsse et ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

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