Focus 2030
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4 questions à Aurélie Gal-Régniez, Directrice exécutive d’Equipop, sur l’action de la France en faveur de l’égalité femmes-hommes ces cinq dernières années et ses attentes pour le prochain quinquennat

Publié le 10 mars 2022 dans Actualités

En amont de l’élection présidentielle en France, Focus 2030 se mobilise pour créer les conditions d’un débat éclairé sur les enjeux de solidarité internationale, sur le financement du développement et la défense du multilatéralisme, et plus largement sur le rôle de la France dans le monde. Quels engagements la France devrait-elle prendre pour contribuer de façon significative à la lutte contre les inégalités mondiales, et plus largement à la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) dans le monde ? En complément de son Bilan de la politique de développement international de la France durant le quinquennat d’Emmanuel Macron, Focus 2030 a recueilli le point de vue des organisations expertes dans leurs domaines respectifs.



Entretien avec Aurélie Gal-Régniez, Directrice exécutive d’Equipop.

Focus 2030 : Quel bilan dressez-vous du quinquennat d’Emmanuel Macron en matière d’égalité femmes-hommes dans le monde ?

Aurélie Gal-Régniez : L’engagement de ce gouvernement en faveur d’une diplomatie féministe ainsi que son début de traduction opérationnelle sont indéniablement à saluer mais la route à parcourir est encore longue pour, comme l’a souligné le Haut Conseil à l’Égalité dans son rapport de fin 2020, « passer d’un slogan mobilisateur à une véritable dynamique de changement ».

Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur du chantier à mener. Le féminisme est un projet de transformation radicale afin de mettre fin au sexisme et aux inégalités qui structurent nos sociétés. Mener une diplomatie féministe est exigeant, mener une politique étrangère féministe plus encore. L’approche concernant de multiples domaines - solidarité internationale, commerce, défense, diplomatie - constitue un puissant levier pour construire un monde juste et durable. Cela suppose d’élaborer un diagnostic lucide et partagé sur les causes des inégalités, de se doter d’un agenda précis et de moyens suffisants, de travailler à un changement de méthodes et de culture institutionnelle.

Le début du quinquennat a coïncidé, dans le sillage de #Metoo, à une période de mobilisations inédites pour les droits des femmes à travers le monde. La France a su entendre cette demande citoyenne et s’est positionnée officiellement comme porteuse d’une « diplomatie féministe », aux côtés de pays comme la Suède, le Canada, le Luxembourg, le Mexique ou encore plus récemment l’Allemagne ou l’Espagne. Ce positionnement a été réaffirmé avec constance tout au long de ce quinquennat dans plusieurs espaces diplomatiques, en particulier multilatéraux.

Les prises de parole fortes de la France sur la scène internationale se sont aussi accompagnées d’engagements financiers, même si ceux-ci restent très insuffisants comparativement aux autres pays engagés dans la même démarche. Parmi les financements les plus significatifs, on peut citer le soutien de 120 millions d’euros aux associations féministes, mis en œuvre via l’Agence Française de Développement et le réseau des ambassades. Par ailleurs, la France a adopté une loi « développement solidaire » qui consacre la diplomatie féministe dans son article premier et qui fixe qu’en 2025, 75 % de son aide au développement intègrera l’égalité femmes-hommes parmi ses objectifs, et que 20% de son aide en fera son objectif principal.

La diplomatie féministe est portée par un petit noyau de personnes convaincues, reste à ce qu’elle se diffuse dans l’ensemble des institutions grâce à un étayage stratégique robuste.

Tout ceci n’est pas rien, particulièrement dans un contexte international où les acquis en matière de droits des femmes sont régulièrement remis en cause, et où la France part de loin, étant classée parmi les moins bons élèves des pays donateurs en matière d’aide genrée. Mais ceci reste encore largement des intentions dont il s’agira d’évaluer la mise en œuvre réelle.

On peut déjà identifier de nombreux obstacles et résistances. En effet, si la France a affirmé haut et fort son ambition de mener une diplomatie féministe, contrairement à un pays comme la Suède, elle ne s’est pas dotée d’une doctrine et d’un socle de principes directeurs. La diplomatie féministe est ainsi portée par un petit noyau de personnes convaincues, reste à ce qu’elle se diffuse dans l’ensemble des institutions grâce à un étayage stratégique robuste.

Au sein des institutions publiques, il manque aussi cruellement de professionnel·le·s dédié·e·s à ces enjeux. Il faut étoffer les équipes, renforcer l’effort de formation à tous les niveaux et poursuivre l’augmentation du nombre de femmes occupant des postes de haute direction au sein du gouvernement. Ce dernier point constitue un indicateur commun de la mesure dans laquelle une institution cherche à remettre en question la culture patriarcale. Or, notons qu’aujourd’hui, le quai d’Orsay est dirigé par quatre hommes et que les femmes ambassadrices restent très minoritaires.

Un autre enjeu majeur, peut-être le plus déterminant, est la capacité de la France à bâtir des partenariats solides avec les associations féministes et les mouvements de femmes transnationaux. A travers son fonds de soutien aux associations féministes, ce sont de tels partenariats qui pourraient se développer. Cela suppose encore de faire évoluer les modalités de financements et d’inscrire cette volonté dans la durée.

Enfin, ce bilan ne peut pas esquiver une nécessaire mise en cohérence de ces orientations internationales et des efforts au national. La crédibilité de la diplomatie féministe de la France dépend aussi des investissements financiers, de l’exemplarité institutionnelle et des avancées législatives qu’elle porte sur son propre territoire. Le bilan à ce niveau est loin de répondre aux attentes.



Focus 2030 : Et plus spécifiquement en matière de Droits et Santé Sexuels et Reproductifs (DSSR), que retenez-vous du quinquennat qui s’achève ?

Aurélie Gal-Régniez : Depuis le discours de Ouagadougou d’Emmanuel Macron en 2017, qui se concentrait sur une approche démographique et avait une absence totale de perspective féministe, la France a considérablement amélioré son positionnement. L’approche « par les droits » s’est progressivement imposée et la France est, dans les enceintes internationales, une vraie défenseure des DSSR. Le droit à l’avortement a notamment été proclamé haut et fort à de nombreuses reprises, y compris dans des contextes assez difficiles, et par le Président de la République lui-même – ce qui, au passage, entrait là aussi parfois en dissonance avec ses paroles sur le plan national, lorsqu’il s’exprimait sur l’allongement des délais de recours à l’IVG.

Cette année paraîtra la deuxième stratégie de la France en matière de DSSR. Elle devra être assortie d’un budget clair et en augmentation. Ce sera l’épreuve de vérité pour déterminer si un palier a réellement été franchi.

Quant aux financements pour les DSSR, qui étaient très réduits au début du quinquennat, ils ont indéniablement augmenté, notamment en ce qui concerne l’UNFPA, principale agence onusienne investie sur ces enjeux, et certains financements fléchés par l’AFD. Mais en 2022, les montants totaux ne répondent pas suffisament aux besoins en la matière ; ils ne sont pas encore en cohérence avec la force du discours diplomatique. Cette année paraîtra la deuxième stratégie de la France en matière de DSSR. Elle devra être assortie d’un budget clair et en augmentation. Ce sera l’épreuve de vérité pour déterminer si un palier a réellement été franchi.



Focus 2030 : Quels grands défis la France devra-t-elle contribuer à résoudre lors des cinq prochaines années ? Qu’attendez-vous des candidat·e·s à l’élection présidentielle à ce sujet ?

Aurélie Gal-Régniez : Nous traversons une période où les crises environnementales, sanitaires, politiques, économiques, sociales se multiplient. Ces crises sont imbriquées et ont une dimension mondiale. Elles exacerbent et révèlent les inégalités tout comme nos « passions tristes », angoisse et repli identitaire notamment. Cette époque commande donc de repenser l’organisation de nos sociétés. Le défi est immense.

Il semble indispensable que les politiques publiques se fixent des objectifs et des indicateurs en phase avec le XXIe siècle tels que la lutte contre les inégalités, l’augmentation du niveau de bien-être ou la préservation de l’environnement.

Dans ce contexte, j’exprimerai deux attentes. La première est un changement de grille de lecture. Il semble indispensable que les politiques publiques se fixent des objectifs et des indicateurs en phase avec le XXIe siècle tels que la lutte contre les inégalités, l’augmentation du niveau de bien-être ou la préservation de l’environnement en sortant du court-termisme et en adoptant une vision globale.

La deuxième est un changement de méthode. Notre société, comme de nombreuses autres, s’est structurée autour du dualisme marché-État. La crise sanitaire a montré encore une fois que d’autres actrices jouent un rôle majeur, en particulier les associations. Au-delà d’une force de réparation, ces dernières contribuent à imaginer et construire un vivre ensemble alternatif à celui qui s’épuise aujourd’hui. Il est donc primordial que les pouvoirs publics intègrent le monde associatif comme un réel partenaire dans la co-construction des politiques et la mise en œuvre des réponses aux enjeux de notre époque. C’est en consolidant des alliances larges que les transformations nécessaires pourront être conduites. Or, malgré l’hommage rendu aux mobilisations citoyennes, malgré les encouragements prononcés depuis les lieux de pouvoir pour les initiatives associatives, en faveur notamment des droits et de la santé, nous sommes loin d’une coopération rénovée et équilibrée entre associations, État et entreprises lucratives. Pour répondre à ces défis, les approches féministes constituent des voies prometteuses qu’il est coupable d’ignorer.

Enfin, en ce qui concerne plus spécifiquement la solidarité internationale, mes attentes sont en lien avec la capacité des candidates et candidats à comprendre l’importance de construire des politiques étrangères féministes et à s’en saisir, mais j’y reviendrai.



Focus 2030 : Quelles actions menez-vous dans le cadre de cette élection présidentielle ?

Aurélie Gal-Régniez : Nous essayons d’informer et d’interpeller les personnes candidates et leurs équipes sur les enjeux qui nous paraissent centraux : adoption d’approches féministes, portage de la solidarité internationale, construction de véritables partenariats avec le monde associatif. Nous le faisons dans un dialogue bilatéral avec les équipes de campagne.

Nous le faisons aussi en contribuant à des mobilisations communes avec Coordination SUD, le Collectif Générations Féministes, le Collectif Santé Mondiale, la Fondation des Femmes dans le cadre de sa campagne « Écoutez-nous Bien » et de son Train de l’Égalité qui parcourt la France pendant deux semaines en amont du 8 mars, ou encore Oxfam et CARE à travers un rapport sur le bilan du quinquennat en matière d’égalité femmes-hommes.

Quelle que soit la configuration, nous agissons toujours avec le double souci de faire remonter les voix des partenaires avec lesquelles nous travaillons sur différents territoires de notre planète et de connecter les enjeux nationaux avec les défis mondiaux.



Focus 2030 : Considérez-vous que les débats qui entourent l’élection présidentielle prennent suffisamment en compte les enjeux d’égalité femmes-hommes et les enjeux internationaux jusqu’à présent ?

Aurélie Gal-Régniez : Non, de manière générale. La politique extérieure féministe est par exemple un angle mort, quasiment. Il faut que les personnes candidates et leurs équipes s’emparent de cet enjeu et en fassent un marqueur fort de la campagne. Nous leur demandons de définir leur vision d’une politique étrangère féministe pour le prochain quinquennat. Nous allons continuer à imposer cet enjeu crucial dans le débat public. Notre action ne s’arrête pas aux temps électoraux. Pour cela, la construction de partenariats solides et divers est déterminante. Citoyen·ne·s, activistes, politiques, chercheur·e·s, journalistes, acteurs et actrices économiques, professionnel·le·s socio-sanitaires : c’est en unissant nos forces dans le respect de nos spécificités que nous pouvons contribuer à des changements systémiques nécessaires.


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