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4 questions à Najat Vallaud-Belkacem, Directrice France de ONE, sur l’action de la France en faveur de la solidarité internationale ces cinq dernières années et ses attentes pour le prochain quinquennat

Publié le 10 mars 2022 dans Actualités

En amont de l’élection présidentielle en France, Focus 2030 se mobilise pour créer les conditions d’un débat éclairé sur les enjeux de solidarité internationale, sur le financement du développement et la défense du multilatéralisme, et plus largement sur le rôle de la France dans le monde. Quels engagements la France devrait-elle prendre pour contribuer de façon significative à la lutte contre les inégalités mondiales, et plus largement à la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) dans le monde ? En complément de son Bilan de la politique de développement international de la France durant le quinquennat d’Emmanuel Macron, Focus 2030 a recueilli le point de vue des organisations expertes dans leurs domaines respectifs.



Entretien avec Najat Vallaud-Belkacem, Directrice France de ONE.

Focus 2030 : Quel bilan dressez-vous du quinquennat d’Emmanuel Macron en matière de solidarité internationale et de développement, et tout particulièrement sur les enjeux portés par votre organisation ?

Najat Vallaud-Belkacem : Le quinquennat d’Emmanuel Macron a permis d’améliorer la politique de développement de la France sur de nombreux aspects. L’évènement le plus marquant des cinq dernières années aura été l’adoption de la nouvelle loi sur le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiale en août 2021, loi qui pour la première fois dans l’histoire de notre pays entérine l’objectif d’atteindre le versement de 0,7% de notre RNB à l’aide publique au développement (APD) au plus tard en 2025. Mais ce n’est pas tout : cette loi prévoit également une APD plus féministe, qui ciblera davantage les pays les plus pauvres et qui sera également mieux évaluée et plus transparente, autant de demandes que portait notre ONG depuis de nombreuses années. Quand on regarde la quantité de financements disponibles pour la solidarité internationale, les résultats sont clairement là : l’engagement des 0,55% du RNB à l’APD en 2022 du Président est respecté, et nous avons un cap clair vers les 0,7%. Cependant, il y a encore des progrès à faire sur la qualité de ces financements : les secteurs sociaux de base sont encore largement sous-financés au sein de notre APD, et nous devons être encore plus ambitieux sur la part de notre aide qui finance les pays les plus pauvres.

Emmanuel Macron a également été un véritable défenseur de la nécessité de soutenir les pays pauvres face à la crise du COVID-19 et de ses conséquences sanitaires, mais aussi économiques et sociales. Nous avons été le premier pays à partager nos doses de vaccins avec les pays pauvres, à en publier un calendrier précis et actualisé, à évoquer publiquement et œuvrer au sein du G20 pour un allègement de la dette des pays africains, à annoncer une redistribution de 20% de nos droits de tirage spéciaux en faveur des pays africains et nous avons été à l’origine de la création du mécanisme ACT-A, aux côtés des Européens et de l’OMS. Malheureusement, ce soutien politique ne s’est pas accompagné d’un soutien financier fort, et ce malgré les augmentations prévues de notre APD. Notre contribution financière à ACT-A ne représente à ce jour que la moitié de ce qui aurait dû être notre juste part, et le détail des financements alloués par l’AFD à la lutte contre le COVID-19 dans les pays pauvres reste très opaque, ce qui nous empêche d’en juger l’impact et la pertinence.

Autre regret du quinquennat qu’il faut mentionner : l’absence de soutien réel de la France à la demande des pays africains de lever les brevets sur les vaccins et autres outils de lutte contre le COVID-19, et le manque d’ambition du gouvernement sur la taxe sur les transactions financières (TTF). Cette taxe est un financement innovant qui existe en France depuis 2012 et que nous aurions pu utiliser pour dégager des ressources financières additionnelles afin de soutenir les pays africains face à la pandémie, en augmentant ses recettes et en l’élargissant à d’autres pays européens. Rien de tout cela n’a été fait. Pire : l’élargissement de l’assiette de la taxe était prévu et a été annulé par le nouveau gouvernement en juillet 2017, privant la solidarité internationale de milliards de dollars additionnels. Nous n’avons pas su rééquilibrer les profits emmagasinés par le secteur financier depuis mars 2020 pour les rediriger vers le soutien aux plus pauvres du monde. La base juridique de la TTF a même « disparu » des textes de lois à la suite d’une erreur de rédaction, erreur dont nous attendons toujours aujourd’hui la correction.



Focus 2030 : Quels grands défis la France devra-t-elle contribuer à résoudre lors des cinq prochaines années ? Qu’attendez-vous des candidat·e·s à l’élection présidentielle à ce sujet ?

Najat Vallaud-Belkacem : Le prochain quinquennat sera crucial en matière de solidarité internationale, et la France a un véritable rôle de leadership à jouer sur la scène internationale afin d’impulser des décisions ambitieuses. Les dégâts de la pandémie sont nombreux et remettent déjà en question plusieurs décennies de progrès en matière de lutte contre les inégalités mondiales : pour la première fois depuis les années 1990, l’extrême pauvreté augmente dans le monde. Nous avons déjà perdu 3 années de progrès face au fléau de l’extrême pauvreté, il faut de toute urgence inverser la tendance.

Nous avons déjà perdu 3 années de progrès face au fléau de l’extrême pauvreté, il faut de toute urgence inverser la tendance.

Nous attendons des candidats à l’élection présidentielle des engagements clairs, qui répondent notamment à nos recommandations :

  • D’ici 100 jours : mettre fin à la pandémie partout sur la planète ;
    • Permettre la vaccination de 70% de la population mondiale avant septembre 2022
    • Soutenir les économies africaines face à la crise
    • Augmenter les recettes de la taxe sur les transactions financières pour dégager des financements additionnels et nécessaires en temps de crise
  • D’ici un an : soutenir la relance des pays africains et créer des opportunités pour toutes et tous ;
    • Investir dans la création d’emplois verts en Afrique
    • Continuer d’accroître la quantité et la qualité de notre aide publique au développement pour atteindre 0,7% de notre RNB
    • Libérer l’Afrique du fardeau de la dette
  • D’ici 5 ans : agir d’égal à égal en tant que véritable partenaire du continent africain.
    • Lutter contre les flux financiers illicites
    • Se préparer aux futures pandémies
    • Inclure les pays africains dans la gouvernance mondiale



Focus 2030 : Quelles actions menez-vous dans le cadre de cette élection présidentielle ?

Najat Vallaud-Belkacem : L’ONG ONE France a lancé une grande campagne le 9 février dernier dont l’objectif est clair : mobiliser le plus grand nombre de citoyens sur l’ensemble du territoire français, en vue d’appeler les candidates et candidats à l’élection présidentielle à présenter publiquement les mesures qu’ils mettront en œuvre avant 2027 pour répondre aux grands défis actuels du continent africain.

Nous avons opté pour une campagne volontairement décalée. Musique, mode, culture pop : les codes des années 90 reviennent en force dans les médias et sur les réseaux sociaux, notamment auprès des jeunes générations. Nous avons fait le parallèle avec la terrible statistique de la Banque mondiale, qui indique que depuis 2020 et pour la première fois depuis les années 1990, le nombre de personnes dans le monde vivant sous le seuil d’extrême pauvreté augmente. Ce cruel paradoxe nous a inspiré une campagne qui met en avant le retour des 90s « pour le meilleur et pour le pire », à travers des visuels des candidates et candidats relookés avec les codes vestimentaires de cette décennie. Derrière cette touche humoristique, le but est bien de les interpeller sur la nécessité d’agir au plus vite pour contrer ce retour en arrière.

Afin d’inverser la tendance, nous demandons donc aux candidates et aux candidats des engagements sérieux pour que les cinq prochaines années soient celles d’un monde plus juste et solidaire, dans lequel nous sommes toutes et tous égaux.

Le défi est majeur : nous ne pouvons évidemment pas nous permettre de retourner trois décennies en arrière en matière d’inégalités. Afin d’inverser la tendance, nous demandons donc aux candidates et aux candidats des engagements sérieux pour que les cinq prochaines années soient celles d’un monde plus juste et solidaire, dans lequel nous sommes toutes et tous égaux. Nous pouvons bien évidemment compter sur le soutien de nos 70 jeunes Ambassadeurs et Ambassadrices de ONE, des bénévoles engagés à nos côtés, qui aux quatre coins de la France interpelleront les candidats jusqu’au 10 avril pour les inciter à présenter des propositions ambitieuses en matière de lutte contre les inégalités mondiales.

La campagne s’articule autour d’une vidéo mettant en scène Pascal Légitimus, d’un dispositif d’interpellation et d’un outil de suivi des engagements des candidates et candidats en ligne. Via notre plateforme sur internet, les citoyens pourront les solliciter directement sur leurs profils Facebook, Twitter et leur messagerie électronique.

Enfin, nous organisons en partenariat avec Libération le mardi 22 mars un grand oral des candidates et candidats à l’élection présidentielle sur l’extrême urgence d’un monde solidaire. Nous espérons pouvoir compter sur leur participation et obtenir de chacun d’entre eux des engagements et des réponses claires aux questions qui seront posées par nos Jeunes Ambassadeurs et les journalistes.



Focus 2030 : Considérez-vous que les débats qui entourent l’élection présidentielle prennent suffisamment en compte les enjeux internationaux jusqu’à présent ?

Najat Vallaud-Belkacem : Malheureusement, face à l’urgence de la situation, nous assistons à une absence quasi-totale des problématiques de solidarité internationale dans le débat public. Ces questions concernent pourtant très directement l’avenir des Françaises et des Français. Nous vivons dans un monde interconnecté, que ce soit par l’apparition de nouveaux variants ou par le changement climatique, nous ne pouvons plus nous contenter d’avoir des politiques uniquement centrées sur la France. En tant que grande puissance mondiale, la France devra jouer un rôle de premier plan pour contribuer à formuler une réponse internationale à cet enjeu : nous attendons de notre pays qu’il exerce son leadership en montrant l’exemple. Le ou la futur·e Président·e de la République devra ainsi créer un nouveau partenariat avec l’Afrique, soutenu par des moyens à la hauteur des besoins.

Nos sujets doivent plus que jamais être mis sur le devant de la scène, en espérant que cette crise sera un déclic pour repenser les règles du jeu international afin de répondre aux grands défis mondiaux.

C’est d’autant plus regrettable qu’il y a une véritable appétence des citoyens, et notamment de la jeune génération, pour les sujets de solidarité internationale. Ils se sentent concernés, et tout comme pour le changement climatique ou les migrations, ils ont bien compris que ce sont des problématiques que nous ne pouvons pas régler au niveau national. Nos destins sont liés et notre monde est interconnecté : nous l’avons constaté avec l’exemple concret des variants du Covid-19, aucun d’entre nous ne sera à l’abri tant que le monde entier ne l’est pas.

Il est très frustrant de voir à quel point les sujets de solidarité internationale sont inaudibles dans cette campagne présidentielle. Pourtant, ce n’est pas une fatalité : l’Histoire nous apprend que la France a souvent été pionnière quant aux questions de solidarité et d’universalisme. L’urgence dans laquelle se trouvent les populations les plus vulnérables du continent africain n’est pas nouvelle, mais elle est évidemment exacerbée par les conséquences de la pandémie. Nos sujets doivent donc plus que jamais être mis sur le devant de la scène, en espérant que cette crise sera un déclic pour repenser les règles du jeu international afin de répondre aux grands défis mondiaux. Les grandes crises ont souvent suscité de nouvelles manières de considérer les équilibres économiques et sociaux : je pense par exemple au Plan Marshall ou aux accords de Bretton Woods après la Seconde Guerre mondiale. C’est une vraie opportunité pour le ou la futur·e président·e de la République de porter une vision du chemin que doit prendre notre gouvernance mondiale.


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